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Tour de France 2021 : balises lumineuses, sirènes d’alerte, mesures UCI... Comment mieux protéger les coureurs ?

Article rédigé par Théo Gicquel, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Des signaleurs numériques ont été ajoutés sur les routes du Tour de France pour annoncer les dangers aux coureurs (photo prise lors de la 6e étape du Tour 2020 entre Le Teil et le mont Aigoual). (Markus Laerum / Safe Cycling Race)

Meurtri par la mort de seize coureurs en dix ans et une nouvelle cascade de chutes depuis le début du Tour de France 2021, le monde du cyclisme tente depuis plusieurs années une lente mue vers une sécurité accrue.

Wouter Weylandt, Michael Goolaerts, Bjorg Lambrecht et tant d'autres ont perdu la vie sur un vélo ces dernières années. Remco Evenepoel ou Fabio Jakobsen ont, eux, frôlé la mort en 2020. Depuis samedi dernier, et le départ du Tour de France 2021, Tony Martin, Primoz Roglic ou Caleb Ewan, parmi des dizaines d'autres coureurs, ont tâté le macadam à grande vitesse, avec pour conséquences de multiples blessures. Chaque année ou presque, les violents carambolages viennent brutalement nous rappeler à quel point la vie de ces acrobates du bitume ne tient finalement qu'à un fil. 

Le 11 mars 2003, quand Andrei Kivilev a chuté mortellement sur la tête lors de Paris-Nice, les pleurs de son ami Alexandre Vinokourov, ainsi que le traumatisme du peloton et du public, ont incité l'UCI (Union cycliste internationale) à prendre une mesure radicale en imposant le port du casque à tous les coureurs.

Dix-sept ans après, l'effroyable accident entre Fabio Jakobsen et Dylan Groenewegen, survenu le 5 août 2020 lors du Tour de Pologne, a marqué les esprits. Alors que le Néerlandais a écopé de neuf mois de suspension pour son comportement dangereux (il avait propulsé son compatriote dans les barrières de sécurité à pleine vitesse alors qu'ils étaient à la lutte pour une victoire au sprint), le monde du cyclisme tente d'améliorer à son échelle la sécurité des coureurs en course. Après un début de Tour de France chaotique, la question est plus que jamais au cœur des préoccupations des principaux concernés, qui ont protesté silencieusement mardi, chacun tentant d'apporter son écot pour limiter les risques de chute.

La technologie au secours du peloton

Si l'UCI met en place à grande échelle des mesures contraignantes, les organisateurs, mais aussi les partenaires du monde du vélo et les cyclistes amateurs viennent apporter leur contribution. Markus Laerum est de ceux-là. Tout juste diplômé en 2016, ce cycliste amateur norvégien a subi un électrochoc télévisuel. "Je regardais la première étape du Tour de France 2016 et j'ai vu la chute brutale d'Alberto Contador et de Chris Froome sur un îlot directionnel. Je me suis demandé comment protéger les coureurs face à ces îlots. Je me suis ensuite rendu compte qu'il y en avait énormément, c'est comme ça que je me suis lancé", explique-t-il. 

Un signaleur numérique pour les coureurs lors du Tour de France 2020. (Crédits : Markus Laerum / Safe Cycling Race)

Ce fan de cyclisme crée alors son entreprise de balises de protection originales, Safe Cycling Race, qui convainc d'abord l'Arctic Race of Norway et le Tour d'Allemagne en 2018, aidée par un coup de pouce inopiné du... futur vainqueur du Tour cette année-là. "Geraint Thomas est allé voir les organisateurs du Tour d'Allemagne après une étape. Il a dit qu'il souhaitait l'installation de nos signaux car ils fonctionnaient à merveille. C'était le tournant pour nous", dévoile Laerum.

Cinq ans plus tard, Markus Laerum balise toutes les plus grandes courses du calendrier World Tour, et notamment le Tour de France depuis 2019 avec ses indicateurs particuliers : des panneaux lumineux clignotants pour les virages ou des sirènes bruyantes adaptées au type de danger imminent. "Nous avons vingt balises déployées à chaque étape du Tour, surtout vers l'arrivée car ce sont les endroits les plus dangereux pour les coureurs. Nous avons des écrans avec des flèches lumineuses interactives pour attirer l'œil des coureurs, de loin. Nous avons aussi des sirènes qui sonnent assez fort pour que l'avant, mais aussi l'arrière du peloton, puissent être avertis, avec différents sons pour chaque danger afin que les coureurs puissent s'y habituer à la longue", explique le jeune dirigeant de cette entreprise de quatre personnes. 

Une innovation qui n'est pas passée inaperçue, puisque les coureurs ne cessent de la solliciter depuis son arrivée, comme Mitchell Docker, le rouleur de la formation EF Pro Cycling : "J'étais assez impressionné car à l'arrivée d'un rétrécissement, normalement nous n'avons qu'un panneau statique au milieu de plein d'autres. Cette fois-ci, l'indication clignotait, elle attirait immédiatement l'œil. Ça m'a beaucoup aidé", expliquait-il lors de Paris-Nice 2019.

"La signalisation a beaucoup progressé"

L'ancien coureur et consultant de France Télévisions Yoann Offredo salue également l'arrivée de modèles de prévention différents, qui n'ont pas vocation à se substituer aux gendarmes de terrain et aux roadbooks, mais bien à les compléter. "Cela permet de savoir où on est dans le peloton, de nous situer dans l'espace et de savoir où sont les principaux dangers. C'est une très bonne mesure", constate-t-il. 

Jérôme Pineau, qui connaît parfaitement le stress du manager dans la voiture lors des étapes, y voit également une évolution salutaire. "La peur de la chute, on l'a toujours. Avoir un coureur au sol et devoir appeler la famille, ça nous préoccupe sur chaque course. On a vu beaucoup d'évolutions ces dernières années. On protège mieux les poteaux, les zones à risques. La signalisation a beaucoup progressé", constate le manager de l'équipe B&B Hotels P/B KTM. 

À côté de cette évolution que le public peut observer depuis le départ du Tour 2021 - vingt balises seront disposées sur chaque étape, pour un total de 2 000 disposées sur les différentes courses de l'année -, d'autres entreprises proposent des solutions alternatives, comme Boplan, dont les "bumper" jaune vif, des amortisseurs de chocs, jalonnent beaucoup de courses flandriennes, mais pas encore les routes du Tour de France.

L'entreprise belge propose également des barrières en polymère pour la protection des zones d'arrivée, où ont lieu la majorité des chutes lors des sprints massifs, comme lors de la troisième étape à Pontivy. C'est notamment en raison de la faible résistance de la barrière lors du Tour de Pologne que Fabio Jakobsen avait été si gravement blessé. 

De nombreuses courses flandriennes sont désormais équipées de barrières sans pieds afin d’éviter les chutes. (Boplan)

Des outils qui coûtent cher... mais qui "deviendront la norme"

Seul problème : ces innovations importantes sont isolées, et elles ont surtout un coût prohibitif. Si Boplan n'est pas encore présent partout et si Safe Cycling Race ne fournit que vingt indicateurs par étape, c'est aussi en raison du prix. "Safe Cycling Race nous avait envoyé un devis mais cela coûtait cher. Nous n'étions pas encore assez mûrs. Mais on y viendra. Ces outils sont amenés à devenir la norme chez tout le monde. Toutes ces avancées vont se propager à beaucoup de courses", anticipe Romain Caubin, membre de l'organisation de la Route d'Occitanie, épreuve par étapes disputée trois semaines avant le Tour de France.

Pour allier sécurité et réduction des coûts, lui comme d'autres préfèrent contourner le problème pour éviter ensuite aux coureurs de contourner les obstacles : "C'est surtout dans le choix des sites qu'on agit pour éviter les dos d'âne et terre-pleins. Travailler un parcours permet de s'éviter des problèmes. Il y a des villes que l'on préfère avoir sur des départs plutôt que sur des arrivées", dévoile l'organisateur.

Des indicateurs lumineux équipés d’une sirène indiquent l’obstacle à contourner lors du Tour de France 2020. (Markus Laerum / Safe Cycling Race)

Les arrivées et le mobilier urbain, cauchemar éveillé

Le mobilier urbain est une des plus grandes sources de tension pour les organisateurs. Alors que le Tour de France comptait 473 ronds-points lors de l'édition 2020 - soit un giratoire tous les 7,3 kilomètres en moyenne -, la Grande Boucle doit sans arrêt composer avec ces obstacles indispensables au quotidien, mais diaboliques lors du final d'une course cycliste. "Le plus dur, c'est de sécuriser les aménagements routiers. Pour nous, c'est un fléau", constate Thierry Gouvenou, directeur technique des épreuves d'Amaury Sport Organisation (ASO), l'organisateur du Tour. 

Conséquence qui pourrait devenir une tendance : la réduction du nombre d'étapes dédiées à un sprint massif, qui provoque beaucoup de chutes à très grande vitesse, comme lundi à Pontivy ou lors de la première étape du Tour de France 2020 à Nice. "On est de plus en plus frileux à mettre des terrains pour des sprints massifs", se désole Romain Caubin. "Les réactions des internautes et des coureurs sont parfois injustes car les organisateurs composent avec le mobilier urbain. Cette année, nous avons volontairement réalisé un final bosselé pour éviter un sprint, car nous sommes des organisateurs bénévoles. On n'a pas envie que le président aille en prison car il y a eu une chute dans le final !", avertit l'organisateur de la Route d'Occitanie. 

Tous sont donc conscients du besoin de protéger les coureurs, alors que seize d'entre eux ont perdu la vie sur la route depuis dix ans, et que chacun se renvoie la balle de la responsabilité après les innombrables chutes survenues depuis le départ à Brest : oreillettes trop pressantes, parcours trop dangereux, protections non suffisantes...

Des mesures de l'UCI contrastées

Le 1er avril dernier, l'UCI s'est décidée à réagir en instituant de nouvelles règles afin de garantir la sécurité des coureurs : la suppression de la position dite "Mohoric" en descente (assis sur le cadre du vélo) ou celle des mains posées sur le cintre. On y trouve également des règles tenant au barriérage de l'arrivée ou aux zones de collecte délimitées pour distribuer des bidons. Vraie amélioration qualitative ou effet d'annonce ? 

"L'UCI a été très intelligente puisque, aujourd'hui, elle assouplit un peu les règles", estime Jérôme Pineau. Romain Caubin y voit surtout la validation réglementaire de normes que les organisateurs s'infligent déjà depuis plusieurs années. "Avoir des barrières inclinées, qu'elles soient attachées, ça nous paraissait déjà évident et c'est déjà le cas chez nous ! La sécurité en course est vraiment montée en gamme ces dernières années. On a réduit le nombre de véhicules invités, on a également des motards civils signaleurs qui assurent. Ça fait trois ou quatre ans qu'on a entrepris tout ça de façon drastique", avance-t-il.

À l'inverse, Yoann Offredo y voit davantage un écran de fumée quant à la protection des coureurs, notamment sur l'interdiction des positions. "Ils ont jugé que c'était dangereux. Personnellement je ne connais aucun accident à ce sujet-là. Ça donne un réel avantage au coureur échappé, et Dieu sait que c'est difficile de maintenir l'écart avec les poursuivants. Ce cahier des charges de l'UCI se trompe complètement de priorités. On l'a vu aussi avec l'interdiction de jeter les bidons, alors que quasiment 100% des bidons sont récupérés par des enfants, et peuvent parfois créer des vocations", fustige l'ancien baroudeur de Groupama-FDJ.

"Il faudrait une uniformisation avec un cahier des charges qui est le même pour tout le monde. Le Tour de France, c'est la vitrine, donc tout est parfait. Mais quand on va à l'étranger, c'est parfois bien différent."

Yoannn Offredo

à franceinfo : sport

Il met en avant la dissonance entre les organisateurs : là où certains prennent toutes les mesures possibles, d'autres mettent encore en danger inutilement les coureurs. "Regardez la qualité de l'asphalte, des arrivées dangereuses comme sur le Tour de Pologne avec cette arrivée en faux-plat descendant où il y a une chute tous les ans. Sur le Giro, ce n'est pas normal de voir un virage à 100 mètres de l'arrivée !", explique-t-il.

"D'abord la sécurité, ensuite le spectacle"

Avec l'UCI en chien de garde, des organisateurs aux abois et des cyclistes plus que jamais concernés par la sécurité de leurs pairs, la protection des coureurs a donc pris un virage considérable ces trois dernières années. Mais est-ce suffisant ? Avant le final chaotique à Pontivy, le syndicat des coureurs (CPA) avait demandé à figer les temps pris pour le classement général à cinq kilomètres de l'arrivée et non trois comme cela est habituellement le cas. Moduler cette règle en fonction de la dangeroisté d'un final d'étape est une piste à explorer.

Tous les acteurs sont bien conscients du travail pharaonique qu'il reste à accomplir pour éviter qu'un nouveau drame vienne endeuiller la Petite Reine, alors que les chutes ne cessent d'émailler ce début de Tour. "Il y a encore beaucoup d'épreuves où il faut monter en gamme à ce niveau-là, c'est évident, les coureurs ont raison”, conclut Romain Caubin, suivi par Yoann Offredo. "On est dans l'événementiel, mais on ne doit pas être dans un spectacle où la sécurité des coureurs n'est pas au premier plan. C'est d'abord la sécurité, puis le spectacle."

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