Tour de France 2022 : des petits tracas aux graves blessures, comment la médecin-chef soigne-t-elle les coureurs lors des étapes ?
Jusqu'à la fin du Tour de France, franceinfo: sport vous présente les métiers méconnus mais indispensables pour le bon fonctionnement de la Grande Boucle.
Si vous êtes un assidu du Tour de France, vous avez forcément déjà aperçu cette chevelure blonde affairée à la fenêtre imaginaire de son cabriolet blanc, en train de rafistoler à 50 km/h un coureur meurtri par une chute. Florence Pommerie est depuis 2010 médecin-chef du Tour de France.
Longtemps médecin hospitalier au Samu 93, la sexagénaire s'occupait du rapatriement sur le rallye Dakar lorsque ASO, l'organisateur, lui a proposé de prendre la tête de l'équipe médicale du Tour de France. "Si on m'avait dit que je serais directeur médical du rallye Dakar et médecin-chef du Tour de France, franchement, je ne l'aurais jamais imaginé ! C'est un concours de circonstances, mais j'aime bien le sport. On est médecin, donc le corps humain poussé à l'extrême, c'est très intéressant physiologiquement", explique Florence Pommerie.
Un dispositif médical impressionnant
Depuis douze ans, elle parcourt la France à bord de sa voiture blanche à la croix bleue pour venir en aide aux coureurs. Lorsque la chute leur secoue la calebasse et leur érafle la peau, elle est leur premier secours. Il faut agir vite, car on ne peut pas s'éterniser dans la furie du Tour. "Je trie un peu : on a un temps assez court donc on regarde et on décide si on fait monter le reste des ambulances ou pas", dévoile-t-elle. Sur le Tour, tout est millimétré, et l'ordre de priorité dans la file des voitures est très strict : "Les directeurs sportifs savent qu'en cas de chute, il faut absolument qu'ils se poussent et qu'ils laissent au moins une ambulance arriver sur les lieux."
Sa voix a beau être plutôt fluette, son ton calme, Florence Pommerie en impose. Elle dirige au total une trentaine de personnes. "On dispose de médecins, d'infirmiers anesthésistes, d'un kiné et d'un chirurgien pour les urgences en course. On a trois ambulances type Samu, deux camions équipés avec du matériel de réanimation, et un urgentiste à moto", énumère-t-elle de tête.
Des soins par étapes
A chaque édition, des nouveautés viennent renforcer l'arsenal médical. "Depuis quelques années, on a un camion à l'arrivée, avec des radiologues spécialisés dans les échographies traumatiques, raconte la médecin-chef. L'année prochaine, on devrait avoir un scanner. Ça permet aux coureurs de lever un doute et de ne pas courir aux urgences".
Lors des chutes collectives, le capharnaüm des vélos dans le fossé et des coureurs sonnés sur le goudron oblige Florence Pommerie à intervenir en deux temps. "Souvent ça se relève, ils ont des bobos et ils repartent. Ils n'ont pas envie de traîner ! On a très peu de temps, voire même pas du tout, donc ils viennent après au cabriolet, quand ça s'est un peu calmé", continue la médecin-chef.
Après ainsi avoir repris leurs esprits, les coureurs viennent se faire panser leurs plaies les plus visibles. "Ce sont des soins très succincts : on désinfecte, on protège les plaies. Mais il faut faire attention, on n'a pas le droit de toucher le vélo", avertit Florence Pommerie.
La médecin-chef constitue également parfois un appui psychologique. Lors du calvaire vécu par Marc Soler (UAE-Team Emirates), malade et finalement hors-délais, on a pu voir le coureur s'entretenir avec l'urgentiste. "On discute, mais pas non plus des heures. On les aide un peu, ils peuvent venir nous voir", précise-t-elle.
L'équipe médicale donne ensuite le relais aux médecins d'équipe, seuls à décider de l'avenir du coureur endolori. "On leur donne un avis. Ensuite, tout dépend si c'est un leader ou non, car certains viennent pour gagner. On ne traite pas un leader pareil que quelqu'un d'autre. Ce sont des réflexions stratégiques, mais elles ne nous appartiennent pas", poursuit-elle.
A force de partager leurs blessures, Florence Pommerie a fini par tisser un lien avec ces forçats du bitume. "J'ai une grande admiration pour eux, ce serait anormal de ne pas l'avoir. On les voit grimper, on est épuisés pour eux ! C'est un sport qui est humble, où ils n'ont pas la grosse tête", raconte la médecin. "On apprend beaucoup de choses. Ils se challengent tous les jours, ils sont déçus, ça ne va pas comme ils veulent… Il n'y a qu'un seul sport qui dure comme ça trois semaines !", rappelle-t-elle.
Un lien particulier avec Froome
Forcément, en douze ans de soins, Florence Pommerie a aussi connu quelques moments de solitude, dont elle s'amuse. "Il m'est arrivé de me tromper de bombe de froid en soignant Sylvain Chavanel. Ça avait moussé comme si c'était une mousse à raser ! Et en plus, ce n'était pas la bonne épaule…"
"Julian Alaphilippe était venu nous dire en course qu'il avait la varicelle. On lui a alors demandé s'il avait de la fièvre. Il nous a assuré que non, mais qu'il avait plein de boutons rouges. On a mis presque cinq minutes à comprendre que c'est parce qu'il avait le maillot à pois..."
Florence Pommerie, médecin-chef du Tour de Franceà franceinfo: sport
Plus que les Français, celle qui est de mission des tests Covid-19 imposés par l'UCI sur les jours de repos s'est prise d'affection pour un coureur en particulier. "Je suis assez contente d'avoir revu Chris Froome sur le podium à l'Alpe d'Huez. C'est vraiment l'esprit de ceux qui ne lâchent rien. C'est courageux quand même, ce n'est pas évident ce qu'il a vécu", souligne Florence Pommerie dans un sourire attendri. "On s'est occupés de lui lorsqu'il est tombé sur le Critérium du Dauphiné en 2019. Ça a fait de la peine, on savait bien que tout ça risquait de l'handicaper longtemps", continue-t-elle.
Arrivée en 2010 sur le Tour, Florence Pommerie voit-elle une différence entre la Grande Boucle de cette époque et celle de 2022 ? "Il y a une vraie prise de conscience écologique depuis trois ou quatre ans, avec les bidons, les efforts qui sont faits avec les poubelles. Ça se voit beaucoup", juge-t-elle. A tout juste 60 ans, elle vise encore quelques éditions avant de raccrocher. "On verra, tant qu'on est en forme. Mais il y a un moment où il faut former des gens". Viendra alors le temps de "profiter du reste".
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