Trois ans après, Sarkozy n'a pas accompli sa "refondation" du capitalisme
Le chef de l'Etat revient jeudi à Toulon, où il avait appelé en 2008 à une "remise à plat" du système financier international. Trois ans plus tard, rien n'a fondamentalement changé.
Tout un symbole. C'est à Toulon, comme en 2008, que Nicolas Sarkozy prononcera, jeudi 1er décembre, un grand discours sur la crise et l'Europe. Il y a trois ans, en pleine crise financière, le président de la République y avait délivré un plaidoyer qui a fait date, pour "refonder le capitalisme".
Pour Nicolas Sarkozy, la crise financière signait alors la fin d'une "certaine idée de la mondialisation", la fin d'un capitalisme financier qui avait "imposé sa logique à toute l’économie et contribué à la pervertir". Mais au-delà des grands mots, le chef de l'Etat s'était engagé à agir concrètement pour moraliser le système. Car "ne rien changer, faire comme s'il ne s'était rien passé, disait-il, serait une erreur historique".
Effet d'annonce ou réelle ambition ? Trois ans plus tard, le bilan est peu probant. Pour l'économiste Jean-Paul Pollin, professeur à l'université d'Orléans, "ce genre de discours ne mange pas de pain. C'était de l'affichage, de la com' !"
Tour d'horizon des principales annonces, et des suites données.
• "Les modes de rémunération des dirigeants doivent être encadrés"
Pour toute réponse, le gouvernement s'est attaqué aux rémunérations des dirigeants d'entreprises ayant reçu l'aide de l'Etat pour faire face à la crise. Principalement des banques françaises recapitalisées et des constructeurs automobiles. Un décret signé le 30 mars 2009 imposait à ces sociétés de ne pas accorder de stock-options ni d'actions gratuites à leurs dirigeants. Le mois suivant, un nouveau décret écartait la possibilité de leur faire profiter de "retraites chapeaux".
Selon un rapport du ministère de l'Economie (fichier PDF), ces mesures ont toutes été appliquées. Seul problème : ces dernières n'avaient été instituées que de manière provisoire, jusqu'au 31 décembre 2010. Date depuis laquelle ces entreprises ne sont plus soumises à aucune contrainte sur la rémunération de leurs dirigeants.
Restent des codes de déontologie non contraignants, qui émettent des recommandations. Comme le code de gouvernement des sociétés cotées en Bourse, élaboré par le Medef (patronat) et l'Afep (Association française des entreprises privées), ou le code MiddleNext (fichier PDF).
Selon l'Autorité des marchés financiers (AMF), seules 5 des 30 entreprises évaluées ont indiqué avoir attribué des stocks-options ou des actions gratuites à leurs dirigeants. Dix-neuf d'entre elles ont affirmé leur avoir fait bénéficier de rémunérations variables, sans toujours les justifier très clairement.
Concernant les parachutes dorés, dont Nicolas Sarkozy avait dit qu'ils ne pouvaient bénéficier aux dirigeants "lorsqu’ils ont commis des fautes ou mis leur entreprise en difficulté", l'AMF admet n'avoir pu en faire une estimation : "L’information relative aux indemnités de départ des dirigeants mandataires sociaux est rarement détaillée dans les documents de référence des sociétés".
• "Il faut réglementer les banques pour réguler le système"
"Les banques sont au cœur du système, expliquait Nicolas Sarkozy en 2008. Il faudra (leur) imposer de financer le développement économique plutôt que la spéculation." Un engagement qui n'a pas été mis en œuvre.
De façon plus surprenante, le chef de l'Etat estimait dans le même temps qu'il fallait "cesser d'imposer aux banques des règles de prudence, qui sont d’abord une incitation à la créativité comptable plutôt qu’à une gestion rigoureuse des risques". Ces règles de prudence sont pourtant "l'un des seuls éléments qui aient évolué depuis 2008", affirme l'économiste Jean-Paul Pollin.
En 2010, l'accord dit de "Bâle III" a imposé de nouvelles règles aux banques pour renforcer leur solidité. Initialement, ces nouvelles mesures devaient s'appliquer à partir de 2013 et atteindre leur plein effet en 2019. Mais la crise de la dette a accéléré les choses. Les banques françaises, qui se voient notamment obligées d'augmenter leur ratio de fonds propres, c'est-à-dire de se recapitaliser, ont dû, pour atteindre cet objectif, "réduire la voilure dans leurs activités de marché", observe l'économiste.
Sauf que ces accords de Bâle III n'ont que peu de rapport avec la politique franco-française. Au contraire, "Paris n'a cessé de nier la nécessité de recapitaliser les banques, rappelle Jean-Paul Pollin. Même lorsque Christine Lagarde, en tant que présidente du FMI, en avait souligné l'urgence [fin août 2011], le président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de la Banque de France, Christian Noyer, a dit qu'il n'y avait pas de problème."
• "Il faudra se poser des questions qui fâchent, comme celle des paradis fiscaux"
En avril 2009, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en coordination avec le G20, a publié une liste de paradis fiscaux répartis dans trois catégories : une liste noire, une liste gris foncé et une liste gris clair. Une semaine plus tard, l'organisation annonçait qu'aucun pays ne figurait plus sur la liste noire. Ce qui a amené Nicolas Sarkozy, quelques mois plus tard, à affirmer : "Les paradis fiscaux et le secret bancaire, c'est terminé."
Pourtant, en clôture du G20 de Cannes, début novembre 2011, Nicolas Sarkozy a à nouveau menacé de "mettre au ban de la communauté internationale" onze paradis fiscaux, comme l'explique Challenges. Preuve que le problème n'est toujours pas réglé.
Pour Jean-Paul Pollin, cette question des paradis fiscaux est de toute façon "hors sujet", car ils ne sont, selon lui, pas liés à la crise. "Les mesures prises concernent un échange de certaines informations sur les contribuables, mais pas sur les hedge funds. Ce contre quoi il faudrait lutter, ce sont les paradis réglementaires", estime-t-il, reconnaissant que ces deux catégories de pays se recoupent souvent.
Mais la lutte n'est pas facile à mener : "Il faudrait que les accords de Bâle III soient complétés pour éviter que la réglementation, plus stricte, ne soit contournée. Sans cela, des institutions financières peuvent continuer à créer des hedge funds de façon indirecte."
Trois ans après le discours "fondateur" de Toulon, le système financier et monétaire mondial est donc loin d'avoir été "remis à plat" comme le souhaitait Nicolas Sarkozy. Un échec en grande partie lié à la complexité des mécanismes auxquels les Etats s'attaquent. Mais aussi à l'activisme de "l'impressionnant lobby bancaire", souligne Jean-Paul Pollin : "Les banques ont mis le paquet pour faire croire que davantage de réglementation serait néfaste."
Et l'économiste de souligner que Michel Péberau, président du conseil d'administration de BNP Paribas et jugé très influent dans le milieu bancaire, a toujours réussi à trouver l'oreille de Nicolas Sarkozy.
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