Le Premier ministre tunisien va former un gouvernement de technocrates
Cette annonce intervient après l'assassinat du chef du parti des Patriotes démocrates, Chokri Belaïd, hier matin. De violentes manifestations ont éclaté, notamment dans la capitale. Un policier y a été tué.
La situation se corse en Tunisie. Après l'assassinat de Chokri Belaïd, chef du mouvement d'opposition de gauche des Patriotes démocrates, le Premier ministre tunisien, Hamadi Jebali, a annoncé, mercredi 6 février, la formation d'un "gouvernement de compétences nationales sans appartenance politique". Il "aura un mandat limité à la gestion des affaires du pays jusqu'à la tenue d'élections dans les plus brefs délais", a-t-il précisé dans un discours télévisé.
La mort de cet avocat de 48 ans, mercredi matin, a déclenché de violentes manifestations à Tunis et dans le reste du pays. Un policier a été tué dans la capitale. L'assassinat de Chokri Belaïd survient en pleine aggravation des violences politiques, deux ans après la révolution qui a renversé le président Ben Ali. Quatre partis d'opposition – le Front populaire (gauche), le Parti républicain, Al Massar et Nidaa Tounes (centre) – ont appelé à une grève générale jeudi et suspendu leur participation à l'Assemblée nationale constituante.
Francetv info dresse l'état des lieux dans le pays.
Le parti islamiste Ennahda pointé du doigt
Chokri Belaïd, figure de l'opposition de gauche et critique acerbe du gouvernement, a été touché par deux ou trois balles alors qu'il sortait de chez lui. Elles auraient été tirées à bout portant par un homme portant un vêtement de type burnous, sorte de long manteau traditionnel en laine avec une capuche pointue.
"Mon frère a été assassiné, je suis plus que désespéré et déprimé", a réagi Abdelmajid Belaïd. Il a immédiatement accusé le parti islamiste Ennahda, au pouvoir depuis 2011, d'être responsable du meurtre. "J'emmerde tout le mouvement Ennahda et j'accuse [son chef], Rached Ghannouchi, d'avoir fait assassiner mon frère", a-t-il déclaré, sans plus d'explications.
Chokri Belaïd avait rejoint une coalition de partis, le Front populaire, qui se pose en alternative au pouvoir en place. Alors que partis d'opposition et syndicats accusent depuis plusieurs mois des milices pro-islamistes d'orchester des heurts ou des attaques contre les opposants ou leurs bureaux, cet assassinat met le feu aux poudres.
Un policier tué à Tunis, des heurts à Sidi Bouzid, Sousse…
A Tunis, un policier a été tué dans des affrontements avec des manifestants. Ces derniers ont attaqué les forces de l'ordre en leur jetant des pierres, avenue Bourguiba, érigeant des barricades malgré les lacrymogènes tirés par un blindé de la garde nationale.
Dans la matinée, des centaines de manifestants s'étaient spontanément rassemblés devant le ministère de l'Intérieur, mais aussi devant la clinique où a été transporté le corps de Chokri Belaïd.
A Sidi Bouzid, haut lieu de la contestation lors de la révolte de 2011, la police a également tiré des gaz lacrymogènes sur les manifestants. L'armée est intervenue pour tenter de calmer la foule dans cette ville déshéritée du centre tunisien.
A Sousse, troisième ville du pays, "deux à trois mille manifestants se sont rassemblés très vite devant le gouvernorat ce matin avant d'être dispersés à coups de gaz lacrymogènes par la police", comme a pu le constater Pierre Aribaud, un Français présent sur place contacté par francetv info. Selon lui, les écoles ont été fermées. "C'est une erreur car les jeunes traînent dehors. Je crains que la soirée et que la nuit ne soient agitées, explique-t-il. La mort de Chokri Belaïd n'est qu'un détonateur. Le problème, ici, c'est plutôt la crise sociale qui perdure."
A Mezzouna, à 75 km au sud-est de Sidi Bouzid, et à Gafsa, dans le centre du pays, des manifestants ont saccagé les locaux d'Ennahda, le parti islamiste au pouvoir. A Mezzouna, ils ont pris d'assaut le bâtiment avant de l'incendier. A Gafsa, des dizaines de personnes ont pénétré dans les locaux avant de briser des meubles et d'arracher des banderoles du mouvement.
Une crise politique qui dure depuis plusieurs mois
Hamadi Jebali n'a pas fixé de calendrier de refonte du gouvernement et compte garder la tête de ce nouveau cabinet, qui devra être confirmé par l'Assemblée nationale constituante. Il n'a pas non plus donné les noms des futurs ministres.
Depuis des mois, la coalition de laïcs de gauche et des islamistes d'Ennahda tentent, en vain, de trouver un compromis sur la distribution des ministères. Le Premier ministre a affirmé que la décision de former un cabinet de technocrates restreint avait été arrêtée avant le meurtre "odieux qui a choqué notre peuple". "L'assassinat [de Belaïd] a accéléré ma prise de position pour laquelle j'assume ma responsabilité entière devant Dieu et devant notre peuple", a-t-il déclaré.
Les alliés laïcs des islamistes réclamaient que des portefeuilles régaliens soient confiés à des indépendants, ce à quoi la frange dure d'Ennahda se refusait. Hamadi Jebali est considéré comme un modéré dans son parti et comme étant favorable à ce que la Justice et les Affaires étrangères soient sous le contrôle de personnalités apolitiques.
Les nouvelles élections ne pourront pas avoir lieu avant l'adoption d'une Constitution, dont la rédaction est dans l'impasse depuis des mois faute de compromis à la Constituante, formée en octobre 2011.
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