: Vrai ou faux Paris est-elle la ville d'Europe où la surmortalité est la plus élevée en période de canicule ?
Il y a presque vingt ans, au cœur du mois d'août 2003, une intense canicule frappait la France. Selon les données de Santé publique France, près de 15 000 personnes sont mortes "en excès" pendant cette période, soit environ 60% de plus qu'attendu. A l'approche de cette sinistre date, un constat inquiétant a été relayé par de nombreux internautes, sur les réseaux sociaux : Paris serait la ville d'Europe où le risque de surmortalité (taux de mortalité anormalement élevé) est le plus important, en cas de période de très forte chaleur.
Selon le magazine Géo, "c'est en France que se trouve la ville la plus mortelle d'Europe en cas de canicule". Une formulation tirée de l'analyse d'une étude britannique parue en mars 2023 dans la revue scientifique The Lancet Planetary Earth. Le cofondateur de Mediapart Edwy Plenel ou encore l'élu écologiste du 18e arrondissement de Paris Emile Meunier s'en sont alarmés dans différents tweets.
Alors, que dit vraiment cette étude ? Et peut-on en conclure que la capitale française se classe en tête des villes européennes au risque de surmortalité le plus élevé en cas de canicule ?
Plusieurs villes italiennes devant Paris
Les chercheurs ont étudié la surmortalité liée à la chaleur et au froid dans 854 villes de 30 pays (les 27 pays de l'UE, auxquels ils ont ajouté la Norvège, la Suisse et le Royaume-Uni et retranché les villes d'outre-mer). Ces zones urbaines comptent plus de 50 000 habitants et concentrent 40% de la population. Les auteurs de l'étude se sont également assurés que la démographie de chaque ville (catégories d'âge) ne fausse pas les résultats. Autrement dit, si l'on constate une surmortalité élevée dans une ville donnée, ce n'est pas parce qu'elle compte plus de personnes âgées, une population plus vulnérable.
Paris se situe-t-il en tête du palmarès ? Franceinfo a interrogé Pierre Masselot, co-auteur de l'étude et chercheur au laboratoire de modélisation environnement et santé de l'Ecole de santé et de médecine tropicale de Londres. "Paris est la ville qui avait le risque le plus élevé [de surmortalité] pour la chaleur, admet-il, mais en se basant sur les capitales de tous les pays qu'on a étudiés". Ainsi, la présentation alarmiste faite par certains médias "n'est pas tout à fait vraie", selon le statisticien.
Paris peut en revanche être présenté comme la capitale européenne au risque de surmortalité le plus élevé en cas de canicule. D'après le graphique ci-dessus, il apparaît en tête devant d'autres capitales telles qu'Amsterdam, Rome ou Zagreb. "Si l'on regarde l'échantillon complet des 854 villes, il y en a quelques-unes qui ont un risque plus élevé que Paris [en cas de chaleur extrême]", nuance Pierre Masselot. Les villes italiennes de Bologne et Milan arrivent respectivement en première et deuxième position, Salamanque (Espagne) et Capri (Italie), en troisième et quatrième. Sur la totalité des villes étudiées, et pas seulement des capitales, Paris se classe cinquième.
L'Europe de l'Est très vulnérable
Reste que, pour l'heure, les Européens meurent davantage "en excès" à cause du froid que de la chaleur. C'est l'une des principales conclusions de l'étude, avec une surmortalité de 200 000 décès liés au froid, alors qu'on en dénombre dix fois moins (20 100 décès) liés à la chaleur sur la période 2000-2019. Ainsi Londres est la capitale où le risque de surmortalité est le plus important en cas de vague de froid. Toutefois, l'Europe de l'Est (Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie) apparaît comme la zone géographique la plus vulnérable, que ce soit au froid ou à la chaleur. Ce phénomène s'observe largement sur les cartes suivantes.
En publiant leur étude sur la surmortalité liée aux températures extrêmes dans les villes européennes, les auteurs ont justement souhaité fournir des "informations précieuses aux décideurs politiques pour concevoir des politiques nationales, régionales et locales en matière de climat et de santé publique". Pierre Masselot plaide pour une prise en compte des effets du dérèglement climatique dans la conception des villes. "Pour faire diminuer la vulnérabilité à la chaleur, il faut moins de bitume, et plus de verdure !", prône-t-il.
90% de la population parisienne exposée à un îlot de chaleur urbain
Le fait que Paris figure dans le haut du classement européen en période caniculaire n'est pas anodin. Les fortes températures touchent particulièrement les zones urbaines, notamment à cause du phénomène d'îlot de chaleur urbain (ICU), qui distingue la température en ville, plus chaude, et celle dans la campagne qui l'entoure, plus fraîche. L'urbanisme est directement en cause : immeubles bloquant la circulation de l'air, matériaux de construction qui stockent la chaleur, circulation de voitures, manque d'espaces verts et de points d'eau...
A Paris, 90% de la population était exposée à un ICU à forte intensité (entre 3 et 6°C de différence) et 10% à un ICU à très forte intensité (plus de 6°C de différence) en 2021, a constaté franceinfo en analysant des données du projet MApUCE et de l'Insee. "Il y a un continuum urbain bien plus grand que pour les autres villes [françaises] et également une rugosité urbaine [la hauteur des bâtiments] très importante" perturbant la circulation de l'air, analyse Erwan Cordeau, chargé d'études sur le climat, l'air et l'énergie à l'Institut Paris Région.
"On observe le plus de mortalité quand la population est exposée à de la chaleur continue, quand celle-ci ne descend pas la nuit, dans des villes comme Paris ou dans les quartiers extrêmement bétonnés."
Pierre Masselot, chercheur et co-auteur de l'étudeà franceinfo
La fragilité économique peut également expliquer la surmortalité en général. "A Paris, il y a plus d'inégalités économiques. Une grande partie de la population est plus vulnérable à la chaleur, car elle a moins accès aux infrastructures pour se rafraîchir en cas de canicule", avance Pierre Masselot. Afin de lutter contre les îlots de chaleur cet été, la municipalité mise depuis juin sur un plan de rafraîchissement, intitulé "Paris s'adapte" : plantation d'arbres, installation d'ombrières, augmentation du nombre de fontaines et de brumisateurs, végétalisation des rues, murs et toitures... La municipalité propose par ailleurs une carte des îlots de fraicheur.
"Dans quelques années, le climat parisien va ressembler à celui d'une ville comme Séville [dans le Sud de l'Espagne], avec des canicules extrêmes, qui vont durer plusieurs semaines consécutives, et éventuellement des pics de chaleur à 50°C... L'enjeu est tout simplement que Paris reste vivable et respirable dans les prochaines années", anticipe Dan Lert, adjoint à la maire de Paris en charge de la transition écologique, du plan climat, de l'eau et de l'énergie, dans un rapport sur l'adaptation de la ville à la chaleur (en PDF), publié en avril.
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