: Vrai ou faux Y a-t-il vraiment "11 millions d'armes" qui circulent en France, comme l'affirme Jean-Luc Mélenchon ?
Le chiffre avancé par le chef de La France insoumise s'avère difficilement vérifiable. En effet, toutes les armes ne sont pas référencées par le ministère de l'Intérieur. Cependant, une estimation réalisée par des chercheurs indépendants laisse entendre que le député serait légèrement en deçà de la réalité.
"Il y a quelque chose d'insupportablement monarchique dans tout ça." Le député des Bouches-du-Rhône et chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a vivement critiqué la visite de trois jours entamée mercredi 1er septembre par Emmanuel Macron à Marseille. Ce déplacement dans la deuxième ville de France lui a notamment permis d'annoncer de nouvelles mesures dans les domaines des transports, des écoles et de la criminalité. "Il va falloir inventer et rêver Marseille", a résumé le président de la République dans une interview exclusive à franceinfo mercredi.
A l'issue d'un entretien avec Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon a dénoncé un "pèlerinage des promesses" faites par différents présidents et gouvernements. Il a également rappelé la persistance des problèmes d'insécurité dans la cité phocéenne, notamment du fait des règlements de comptes liés au trafic de drogue. "Depuis 2011, [il y a] 18 morts par an. On en est déjà à 15 [en 2021]. Donc si le problème du trafic d'armes est posé, ça fait un moment. Il y a 11 millions d'armes qui circulent dans notre pays", a affirmé l'ancien candidat à l'élection présidentielle, interrogé par différents médias, dont LCI. Franceinfo a souhaité vérifier le chiffre avancé par le député.
Environ 5,4 millions d'armes recensées par le ministère de l'Intérieur
Difficile de connaître précisément le nombre d'armes en France. "Fondamentalement, on ne connaît que les chiffres des armes déclarées", explique Patrice Bouveret, directeur de l'Observatoire des armements. Un fichier informatisé nommé Agrippa, créé par arrêté en novembre 2007 et centré sur les "propriétaires et possesseurs d'armes" (pas sur les armes en elles-mêmes), consigne les déclarations et les demandes d'autorisation de ces derniers.
Comme le stipule le Code de la sécurité intérieure, cette procédure est obligatoire pour tout détenteur d'armes de catégorie A (si ces armes à feu ou armes de guerre sont interdites à l'acquisition et à la détention, il existe certaines exceptions), de catégorie B (armes de poing et d'épaule notamment, soumises à autorisation) et de catégorie C (en particulier pour la chasse). La plupart des armes de collection, les reproductions ou encore les poignards et matraques appartiennent à la catégorie D et ne font pas l'objet d'un enregistrement.
Ainsi, le ministère de l'Intérieur rapporte à franceinfo que 5,4 millions d'armes soumises à autorisation ou déclaration sont recensées par la base Agrippa pour environ 5 millions de détenteurs légaux. Dans le détail, il s'agit de près de 2 000 armes de catégorie A, environ 1,4 million d'armes de catégorie B et 4 millions de catégorie C. Des données à mettre en parallèle avec le nombre important de chasseurs en France (un peu plus d'un million en France, selon la Fédération nationale des chasseurs) ainsi que de tireurs sportifs, dont l'effectif s'élève à quelque 228 000 licenciés, dénombre la Fédération française de tir (PDF).
Plusieurs millions d'armes dans la nature
Néanmoins, la base Agrippa est "un système ancien, approximatif et qui comporte des erreurs", concédait Pascal Girault, chef du service central des armes et explosifs en 2020 à France 3 Hauts-de-France. "L'administration n'a pas été en mesure de consigner toutes les armes [au niveau informatique]", ajoute Yves Gollety, président de la Chambre syndicale des armuriers. Interrogé par franceinfo, il pointe un "manque de moyens".
L'armurier souligne le cas du fusil de chasse, dit "à un coup par canon lisse", "l'arme classique la plus répandue en France" : les exemplaires acquis avant 2011 ne font pas l'objet d'un enregistrement ou d'une déclaration obligatoire, comme le rappelle le Sénat, sauf changement de propriétaire ou décès. Près de 2 millions de personnes seraient dans cette situation, rapporte à franceinfo au ministère de l'Intérieur, laissant de nombreux exemplaires en dehors des radars.
Beaucoup de matériel s'entasse aussi dans les greniers."Il reste énormément d'armes de la Seconde Guerre mondiale qui sont détenues illégalement et qui sont par exemple découvertes par les héritiers des personnes décédées lorsqu'ils vident leur maison de campagne, même si les sources se tarissent, explique Yves Gollety. On en détruit et on en légalise en permanence chaque semaine."
Une enquête qui corrobore le chiffre avancé
Néanmoins, le trafic d'armes à des fins de banditisme, comme mentionné par Jean-Luc Mélenchon, serait lui minoritaire en France, ont analysé les chercheurs Nicolas Florquin et André Desmarais dans Triggering Terror: Illicit Gun Markets and Firearms Acquisition of Terrorist Networks in Europe, publié en 2018 par l'Institut flamand pour la paix (PDF en anglais).La plupart des objets saisis entre 2014 et 2015 par les forces de l'ordre concernaient en effet des armes destinées aux loisirs ou à la chasse.
Les armes de catégorie A, qui sont les plus dangereuses, n'en constituent que 9%. "Les cas de possession ou d'utilisation illicite de fusils automatiques (...) restent bien moins fréquents que ceux impliquant des fusils de chasse et des armes de poing", notent les auteurs, qui évoquent toutefois "la violence particulièrement dévastatrice" des armes automatiques en citant le cas de Marseille.
De son côté, des chercheurs dépendant de l'Institut de hautes études internationales et du développement, basé à Genève (Suisse), estiment qu'il y avait 12,7 millions d'armes à feu possédées légalement et illégalement en France en 2017. Leur enquête (contenu en anglais) va donc dans le sens du chiffre donné par Jean-Luc Mélenchon, le dépassant même de plus d'un million.
Il y a en revanche un écart important en comparaison des données du fichier Agrippa, dont l'obsolescence a poussé l'Etat à réagir. A partir de janvier 2022, le Système d'information sur les armes (SIA) sera chargé de référencer chaque arme des catégories A, B et C pour assurer un meilleur suivi et accélérer les démarches administratives, explique le ministère de l'Intérieur.
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