Vrai ou faux La France est-elle l'un des pays les plus "éco-exemplaires" du G20, comme l'affirme le parti Renaissance ?

Article rédigé par Linh-Lan Dao
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Vue aérienne de la centrale électrique à charbon de Cordemais (Loire-Atlantique), sur les bords de Loire, le 7 décembre 2022. (MAXPPP)
Si la France fait légèrement mieux que la moyenne des pays du G20 en matière de pollution liée à la combustion d'énergie, elle n'est pas exemplaire concernant les émissions de gaz à effet de serre.

La France n'a pas à rougir de son bilan carbone. C'est, du moins, le jugement du parti présidentiel. Dans un graphique publié lundi 11 septembre sur X (ex-Twitter) et supprimé le lendemain matin, Renaissance s'enorgueillit d'émissions françaises de CO2 relativement faibles comparées à celles des autres pays du G20, qui rassemble 19 pays parmi les plus puissants au monde, ainsi que l'Union européenne : "Notre industrie nucléaire est un fleuron et une fierté. Elle nous permet aussi d'être l'une des nations les plus éco-exemplaires du G20."

D'après ce document, la France est le deuxième plus petit pollueur de l'organisation, après l'Argentine, tandis que l'Australie et la Corée du Sud sont les plus gros émetteurs. Mais ce constat a rapidement été critiqué par de nombreux experts de l'environnement.

D'où viennent les données du graphique présenté par Renaissance ? Il évoque des "émissions en tonnes de CO2 par habitant par 2022" et cite comme source le rapport 2023 sur la production mondiale d'électricité du groupe de réflexion Ember, dédié au climat et à l'énergie. Mais le graphique ne précise pas le type d'énergie concernée, ni son origine (électricité provenant du nucléaire, d'énergies renouvelables, de l'hydraulique, du gaz, du pétrole, du charbon...).

Cette omission prête à confusion selon Damien Salel, ingénieur spécialiste des énergies renouvelables. "Quand on parle d'émissions de tonnes de CO2 sans autre précision, cela signifie toujours 'tous secteurs confondus'. Sinon, il faut préciser le secteur, par exemple, l'électricité (...) J'ai du mal à voir l'innocence derrière ce geste". Cet "oubli" a également été relevé sur X par Valérie Masson-Delmotte, climatologue et ex-présidente du Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec).

Joint par franceinfo, un cadre du parti Renaissance admet une erreur : "C'est vrai que la légende manquait de précision. On aurait dû préciser qu'il s'agissait des centrales électriques à charbon. C'est pour cela que le visuel a été supprimé". Il explique avoir repris un graphique publié sur le compte Instagram de Libération, mais sans mentionner les centrales à charbon comme le fait le quotidien. "Il n'y avait aucune volonté de notre part de créer de la confusion, assure-t-il. Nous avons précisé d'où sont issues les données."

Un mix électrique parmi les plus décarbonés d'Europe

Mardi 5 septembre, Ember avait en effet publié un visuel présentant les émissions de CO2 en tonnes par habitant liées au charbon dans les pays membres du G20. Autrement dit, il s'agit de la pollution émise par l'électricité produite grâce au charbon dans chacun de ces pays. La France fait bien partie des plus petits pollueurs, avec 0,06 tonne de CO2 émise par habitant, derrière l'Argentine et le Brésil.

D'un point de vue historique, la filière charbon n'a jamais été importante en France, souligne Damien Salel. "On était plutôt axés sur le fioul. Puis, la France a amorcé sa transition énergétique dans les années 1970-1980. On ne l'a pas forcément fait pour des raisons climatiques. C'était à l'époque des chocs pétroliers, on a éliminé le fioul du mix électrique. Dès les années 2000, on avait déjà un mix d'énergies décarboné", relate le spécialiste des énergies renouvelables.

La France ne compte aujourd'hui plus que deux centrales à charbon en activité, autorisées à fonctionner deux ans de plus pour éviter des coupures à l'hiver 2024. Elles auraient dû fermer en 2022, avait promis le ministère de la Transition écologique. Preuve qu'il n'a plus qu'un rôle marginal : le charbon ne représentait que 0,6% de la production d'électricité en France métropolitaine en 2022, contre 62,7% pour le nucléaire, selon le bilan électrique 2022 de RTE.

Dans ce même bilan, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité précise que "l'électricité produite en France est parmi les plus décarbonées d'Europe (au troisième rang derrière la Suède et la Finlande)", avec une production à 87,3% d'origine décarbonée. Par ailleurs, la France n'émettait que 56 grammes d'équivalent CO2 par kilowattheures (kWh), contre 387 pour l'Allemagne, par exemple.

Toutefois, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a effectué une comparaison des émissions de CO2 liée à la combustion de carburant (tous secteurs confondus) en 2017 (PDF) dans 160 pays. Avec près de 4,6 tonnes de CO2 émises par habitant, la France fait légèrement moins bien que la moyenne mondiale (4,4 tonnes), mais mieux que la moyenne des pays du G20 (5,6 tonnes) et que celle des pays de l'OCDE (8,9 tonnes). De ce point de vue, elle n'apparaît pas si "éco-exemplaire" par rapport aux autres pays du G20.

Part majeure des énergies polluantes en France

Se concentrer sur la pollution au charbon pour évaluer les bons résultats écologiques de la France revient à "regarder la problématique par le petit bout de la lorgnette", juge Damien Salel. "Cela donne l'impression qu'on est 50 à 60 fois meilleurs que l'Australie, qu'on n'a plus d'efforts à faire, qu'on a tout réussi", déplore-t-il. Pourtant l'électricité n'est pas la seule source d'émissions de CO2. En effet, l'ingénieur tient à rappeler que les énergies polluantes représentent une part majeure de la consommation d'énergie française. Selon le bilan énergétique 2022 de la France, l'électricité représentait environ 24,5% de la consommation finale d'énergie en 2021, contre 62,1% d'énergies fossiles (dont 41,8% pour les produits pétroliers raffinés, 19,6% pour le gaz naturel et 0,7% pour le charbon).

Alors, quels autres indicateurs faut-il regarder pour évaluer la pollution française ? L'ingénieur cite la pertinence de "l'empreinte carbone". La quantité de gaz à effet de serre induite par la demande finale intérieure de la France était évaluée à 8,9 tonnes d'équivalent CO2 par personne en 2021, selon une estimation du ministère de la Transition écologique. Les trois quarts de cette empreinte reposent sur les déplacements, l'habitat et l'alimentation. Il est toutefois compliqué de comparer l'empreinte de la France à celle de ses voisins, car "les modalités de calcul de l'empreinte carbone ne sont ni normées, ni standardisées à l'échelle internationale", se défend le ministère sur son site.

Un discours de l'exécutif axé sur les bons résultats

Le chemin vers la neutralité carbone, défini par la loi énergie et climat, paraît encore éloigné. Afin de l'atteindre en 2050, il faudrait diviser par six nos émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, reconnaît le ministère.

Pourtant, ces derniers mois, l'exécutif a multiplié les déclarations sur les bons résultats français en matière de lutte contre le réchauffement climatique, quitte à relativiser la part tricolore dans les émissions mondiales de CO2. Lors d'une interview avec le journaliste Hugo Travers, lundi 4 septembre, Emmanuel Macron avait rappelé que la France ne représentait que 1% des émissions de gaz à effet de serre planétaires. Un ordre de grandeur réel, mais qui comporte ses limites. "Notre message politique, que nous voulions faire passer avec notre visuel, reste inchangé. C'est grâce à notre industrie nucléaire que nous avons pu réduire considérablement nos émissions de CO2 issues de la combustion du charbon. Choix que n'ont pas fait des pays comme l'Allemagne", réplique Renaissance à franceinfo.

"S'agissant de la transition écologique, la France est bien le meilleur élève du G20 et nous en sommes fiers !", rappelle le parti, citant l'index de transition énergétique du Forum économique mondial, publié en juin (PDF). La France se situe à la septième position du classement mondial, derrière la Suède, le Danemark, la Norvège, la Suisse et l'Islande, qui ne sont pas membres du G20 à titre individuel.

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