A quoi sert le sommet sur le budget de l'Union européenne ?
Les dirigeants des 27 se retrouvent jeudi à Bruxelles pour deux jours de tractations autour du budget 2014-2020 de l'Union. Francetv info en décrypte les enjeux.
EUROPE – "Tout est possible lors du sommet de novembre, même les miracles." Ce haut responsable interviewé par l'AFP donne le ton : le sommet européen des chefs d'Etat et de gouvernement sur les perspectives pluriannuelles de budget de l'Union pour 2014-2020, qui se tient jeudi 22 et vendredi 23 novembre à Bruxelles, s'annonce des plus rock'n'roll. "Il est très possible qu'il n'aboutisse pas et qu'on retrouve le débat plus tard", a confié à francetv info un diplomate français. Explications.
A quoi sert ce budget ?
Son vrai nom : le cadre financier pluriannuel (CFP). Son surnom : perspectives financières. Mis en place en 1988, le budget de l'Union européenne vise à "assurer l'évolution ordonnée des dépenses sur une période donnée", selon les termes du traité de Lisbonne. C'est la clef de voûte du système budgétaire européen. Fixé sur sept ans, il constitue le principal mécanisme de redistribution au sein de l'Union et définit les dépenses, mais surtout les plafonds pour chaque grand secteur d'intervention par année, même si ensuite un budget annuel plus précis est voté.
L'accord politique des chefs d'État et de gouvernement est adopté par consensus, c'est-à-dire à l'unanimité sans recours au vote, rappelait en 2010 Nicolas-Jean Brehon (PDF), enseignant en finances publiques, pour la Fondation Robert Schuman. Pour la période 2007-2013, ce budget s'élevait à 974,7 milliards d'euros (PDF) et trois grandes priorités étaient établies : "intégrer le marché unique dans un objectif plus large de croissance durable", "renforcer la citoyenneté européenne en mettant en place un espace de liberté, de justice, de sécurité et d'accès aux biens publics de base", et "construire un rôle cohérent pour l'Europe en tant qu'acteur mondial".
Si la somme paraît considérable, elle représente en 2012 1,12 % du revenu national brut de l'UE à 27. Aux Etats-Unis par exemple, le budget central est plus de dix fois supérieur.
Qui veut quoi ?
Les discussions sur le CFP donnent dans le chacun pour soi plutôt que dans le un pour tous concernant le montant de l'enveloppe ainsi que sa répartition. "Ce sont 27 pays qui viennent expliquer comment apporter le moins possible et retirer le plus possible du budget de l'UE. Ce sont 27 égoïsmes nationaux", regrette d'avance l'eurodéputé du Parti populaire européen Alain Lamassoure, président de la Commission des budgets du Parlement européen, cité par l'AFP.
La Commission européenne. En juin 2011, elle avait suggéré un budget de 1 083 milliards d'euros sur sept ans, en hausse de 5% par rapport à la période 2007-2013, rapporte L'Expansion. Sur le fond, elle envisage le gel de l'aide aux régions défavorisées et de la Politique agricole commune (PAC), pour "ouvrir des marges qui sont affectées aux investissements du futur : la recherche, l'innovation, la mobilité", décryptent Les Echos.
Finalement, Herman Van Rompuy, qui préside le Conseil européen, suggère une coupe de 75 milliards d'euros.
Les "amis du mieux dépenser". Ce sont grosso modo les plus gros contributeurs et ils réduiraient volontiers leur facture. Mettant en avant les efforts budgétaires nationaux, teintés de rigueur, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la France et une poignée d'autres réclament des coupes de 100 milliards d'euros par rapport à la proposition de la Commission. "Au mieux, nous souhaitons une réduction, au pire qu'il [le budget] soit gelé, et je suis tout à fait prêt à user de mon droit de veto si nous n'obtenons pas un accord qui soit bon pour la Grande-Bretagne", lançait par exemple fin octobre David Cameron, cité par Le Monde. Le Premier ministre britannique était même un temps prêt à boycotter le sommet.
Mais les plus intransigeants, les "talibans", comme les appelle un haut responsable européen, ne sont plus que quatre : Royaume-Uni, Suède, Finlande et Pays-Bas. La France par exemple a dû assouplir sa position pour se focaliser sur le maintien des crédits alloués à la PAC, dont elle est l'un des principaux bénéficiaires. De son côté, l'Allemagne, suivie par l'Autriche, poursuivent "une logique propre qui consiste à s'assurer que les fonds européens sont bien dépensés sur des projets nécessaires", selon deux sources européennes de l'AFP.
Les "amis de la cohésion". Menés par la Pologne, ils sont une quinzaine à refuser toute réduction budgétaire, dont l'Espagne, l'Irlande, le Portugal, la Grèce, la Belgique, la Lituanie et le Luxembourg. "Pour beaucoup d'Etats, presque 100% des investissements sont cofinancés par l'Union, rappelle le député bulgare Ivaïlo Kalfin, interviewé par Les Echos. Si on coupe dans l'investissement national et européen, on va vers une récession catastrophique." Ces pays lorgnent ainsi avant tout sur l'enveloppe "cohésion" qui accompagne les politiques de développement.
Où en sont les négociations ?
"Pour beaucoup d'Etats membres, [c']est l'occasion de prendre une revanche et, d'une certaine façon, de régler des comptes, au sens propre comme au sens figuré", prévoyait Nicolas-Jean Brehon (PDF) de la Fondation Robert Schuman. De fait, les négociations patinent complètement, de déclarations tonitruantes en menaces et autres alliances de circonstance. C'est la raison pour laquelle le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a décidé de convoquer un sommet extraordinaire des chefs d'Etat, histoire de les enfermer 48 heures pour négocier. Et, en parallèle, de recevoir chaque délégation nationale en tête-à-tête.
Le 19 septembre, un premier texte de compromis a été soumis aux États-membres. "Un texte, dont les deux tiers sont encore entre parenthèses, signe de l'étendue des désaccords", soulignent Les Echos. Chypre, qui détient en ce moment la présidence tournante de l'UE, effectue un travail d'équilibriste et suggère de couper un peu partout mais pas trop. Le pays propose ainsi une baisse de 50 milliards du budget, dont 11 milliards prélevés dans la PAC.
Inconcevable pour la France, qui en profite pour renvoyer la balle outre-Manche. "D'autres sources d'économies peuvent être exploitées", a expliqué Bernard Cazeneuve, le ministre des Affaires européennes français, qui vise notamment le rabais britannique. Chaque année, un chèque compensatoire, d'un montant de 3,5 milliards d'euros en 2011, est signé à l'ordre de Londres au prétexte que le pays bénéficie bien moins que les autres de la PAC. Cependant, le "coup de sang est venu de la Première ministre du Danemark, Helle Thorning-Schmidt, qui a annoncé la semaine dernière son refus de continuer à payer pour les rabais accordés aux autres pays riches", rapporte l'AFP, citée par Le Parisien qui titre "la surenchère des égoïsmes nationaux".
Lundi 19 novembre, François Hollande en a rajouté une couche en accablant les pays qui "viennent chercher leur chèque, leur rabais, leurs ristournes". Et à l'issue d'un dîner entre les 27 ministres des Affaires européennes, mardi, l'Italien, Enzo Moavero Milanesi, lui a emboîté le pas en brandissant carrément la possibilité d'utiliser son droit de veto tout en rappelant que France et Italie étaient "les plus pénalisées par le rabais britannique".
Que se passe-t-il s'il n'y a pas d’accord ?
A la veille de l'ouverture de ce sommet à hauts risques, toutes les sources diplomatiques marmonnaient leur pessimisme plus ou moins fort. Si les 27 ne trouvent pas de compromis, le budget sera reconduit sur la base des plafonds de l'année 2013, qui fait, elle aussi, l'objet de débats acharnés et de négociations en yoyo, jusqu'à ce que soit trouvé un accord. Une nouvelle tentative serait programmée en avril prochain.
"Un échec aurait un effet dévastateur sur la confiance des marchés et des investisseurs, car il signifierait que l'Union européenne est incapable de s'entendre sur la redistribution de ses ressources en période de crise", s'inquiète un haut fonctionnaire européen interviewé par l'AFP.
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.