"Actuellement, l'Europe n'a pas les moyens de sauver l'Espagne"
Après la Grèce, l'Espagne est considéré comme le maillon faible de la zone euro, malgré un plan de sauvetage de ses banques. FTVi a interrogé une économiste pour comprendre ce phénomène.
Panique des investisseurs en zone euro. Alors que Madrid a emprunté sur les marchés 3 milliards d'euros, mardi 19 juin, ses taux d'intérêt se sont envolés à des niveaux records. L'annonce, le 9 juin, d'un plan de sauvetage européen pour les banques qui pourrait atteindre 100 milliards d'euros n'a pas apaisé les esprits. Quatre jours plus tard, l'agence Moody's a dégradé la note du pays de trois crans, à Baa3, tout proche de la catégorie des emprunteurs à risque. Malgré ses plans d'austérité successifs, Madrid inquiète les Européens et l'ensemble des places financières, qui redoutent un scénario grec. Miné par un chômage à plus de 24%, le pays, en récession, n'a plus beaucoup de marge de manœuvre.
Danielle Schweisguth, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), analyse pour FTVi les réactions des marchés et l'éventualité d'un large plan de sauvetage espagnol.
FTVi : Dix jours après l'annonce d'un plan d'aide européen pour sauver ses banques, pourquoi l'Espagne ne sort pas la tête de l'eau ?
Danielle Schweisguth : C'est un phénomène que l'on observe depuis le début de la crise. Le déblocage d'un plan d'aide oriente l'attention vers ce pays. On réalise que la situation est beaucoup plus grave que ce que l'on imaginait. Il y a un effet inverse : au lieu d'être rassurés par le plan d'aide, les marchés se disent : "Si l'Europe est prête à mettre 100 milliards d'euros sur la table, c'est que derrière, ça doit être vraiment grave." Comme nous n'avons pas encore le résultat des audits sur la santé réelle des banques espagnoles, il y a une grosse incertitude qui pèse sur l'état du système bancaire.
Pensez-vous que le plan d'aide européen au secteur bancaire espagnol sera suffisant ?
On ne sait pas exactement quels sont les montants dont aura besoin l'Espagne. On estime que 152 milliards d'euros de prêts du secteur bancaire pourraient ne pas être remboursés. C'est déjà un montant supérieur aux 100 milliards qui sont annoncés par l'Europe.
Le problème, c'est que tout est lié. Si la récession continue en Espagne, le montant des prêts non performants va encore augmenter. Si les entreprises ne font pas de chiffre d'affaires, si elles ne peuvent pas emprunter, si l'activité ralentit fortement, les ménages auront plus de mal à rembourser, les entreprises aussi... Les banques se retrouveront encore affaiblies.
Il est donc difficile, à l'heure actuelle, d'avoir une idée précise de l'état du système bancaire et du montant dont on aura besoin pour la recapitalisation. Autre facteur qui joue : on ne sait pas précisément quelles seront les contreparties demandées à l'Espagne en échange de ce plan d'aide. Probablement plus d'austérité et un suivi plus étroit de la part du FMI et de la Commission européenne.
Lundi, le taux de l'obligation espagnole (le rendement de sa dette) à dix ans a franchi la barre des 7%. Il s'agit du seuil qui avait conduit les Européens à aider l'Irlande, le Portugal et la Grèce. L'Espagne va-t-elle être contrainte à demander une aide massive de l'Europe ?
Il s'agit d'une autre source d'inquiétude. Si on doit aider l'Espagne, il faut que les institutions européennes se réforment en urgence. Dans l'état actuel des mécanismes d'aides, on n'a pas les moyens d'aider le pays. On le peut à la marge, mais pas sur l'ensemble de la dette publique de l'Espagne qui dépasse les 1 000 milliards d'euros (contre 259 milliards d'euros pour la Grèce). On ne pourrait pas prévoir un plan d'aide comme pour la Grèce. L'Espagne est la quatrième économie de la zone euro. Le scénario grec en Espagne serait une catastrophe. Si on venait à aider l'Espagne, il y aurait donc urgence à créer des eurobonds ou bien réformer les statuts de la banque centrale... Mais cela devrait être fait dans les deux, trois mois qui viennent, pas dans les deux ans. Le temps diplomatique européen est tellement long que les marchés s'impatientent.
En mettant en œuvre des mesures de rigueur, l'Espagne ne risque-t-elle pas de se retrouver dans un cercle vicieux qui ralentirait inévitablement la croissance ?
En interne, c'est très difficile de relancer l'économie car le secteur de la construction est complètement laminé, on ne peut pas attendre de reprise de l'économie à ce niveau là. Il faudrait qu'il y ait d'autres secteurs qui prennent le relais, mais il y a des difficultés d'accès au financement pour les entreprises. Et il y a peu de demandes internes, ni de demandes externes car le reste de l'Europe n'est pas dans une situation de forte croissance...
L'Espagne attend un relais de croissance qui pourrait lui permettre d'augmenter son PIB, de réduire le poids de sa dette, de faire des rentrées fiscales pour alléger le déficit. Pour l'instant, on ne voit pas comment la croissance va revenir. Au bout d'un moment, l'austérité devient contre-productive, comme on le voit en Grèce. Avec des plans d'austérité trop violents, on plonge le pays dans la récession. Cela fait quatre ans que les Grecs sont en récession à 4 ou 5% du PIB, ce qui est du jamais vu dans une économie développée depuis plus d'un siècle.
Quelles seraient les solutions pour l'Espagne ?
Il faudrait que les plans d'austérité qui sont mis en œuvre dans l'ensemble de l'Europe ne soient pas abandonnés mais qu'ils soient étalés pour donner un peu d'air à l'économie européenne. Les pays qui sont presque revenus à un niveau de déficit acceptable (comme l'Allemagne et certains pays du Nord) devraient mettre en place une politique un peu moins restrictive, ce qui permettrait de relancer la croissance européenne dans son ensemble. Seule, l'Espagne ne peut pas faire grand chose, elle n'a pas les moyens de faire de la relance, elle risque d'augmenter sa dette et quand elle emprunte, ça lui coûte de plus en plus en cher.
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