Vidéos trash, discours radical : pourquoi l’association L214 dérange
L’association L214 milite pour la protection des animaux et diffuse régulièrement des enquêtes filmées aux images choquantes pour sensibiliser les Français. Mais ses méthodes sont contestées.
Des canetons broyés, des agneaux écartelés vivants, des vaches découpées avant même d'être tuées... L’association L214, qui lutte pour la défense des animaux, n’hésite pas à montrer les pires coulisses de notre chaîne alimentaire. Après les images de l’abattoir d’Alès diffusées en octobre 2015 et vues par plus de 1,5 million d'internautes, puis la diffusion en décembre d'une enquête dans un couvoir des Pays de la Loire vue par plus de 600 000 personnes, les militants ont révélé, le 29 mars 2016, de nouveaux cas de cruauté contre des animaux, cette fois dans un abattoir des Pyrénées-Atlantiques.
Du côté des éleveurs ou d'autres associations, L214 dérange. Francetv info vous explique pourquoi.
Parce qu’elle diffuse des images chocs
L214 a trouvé sa spécialité. Depuis sa création en 2008, elle parvient à recueillir des images chocs tournées au cœur même des abattoirs. Des bovins saignés alors qu’ils sont encore conscients, un cheval frappé avec un aiguillon électrique, des porcs en route vers une fosse où on les asphyxie au CO2 et, tout dernièrement, des canetons broyés. "Ces images, elles sont indispensables pour sensibiliser et informer le plus grand nombre. Les mots ne sont pas suffisants pour atteindre les consciences", considère Tess Szymanski, une adhérente de 59 ans.
Attention, le contenu de cette vidéo est violent et peut choquer.
"On a déjà diffusé des images de canetons, mais pas de la broyeuse en elle-même. Là, on montre tout, et tout de suite, ça prend une dimension différente", raconte Brigitte Gothière, cofondatrice de L214. "C’est vrai que c’est assez insupportable comme réalité. C’est pas joli à voir, mais c’est nécessaire."
La vidéo est donc privilégiée pour dévoiler l'intérieur des abattoirs. Mais pour Marie-Pierre Pé, responsable du Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras (Cifog), le broyage des canetons femelles montré sur ces images "n’est pas du tout la réalité de la filière". Si, depuis un mois, les élevages sont touchés par la grippe aviaire et les éleveurs forcés de supprimer des animaux, selon la responsable, "ils travaillent depuis dix ans à la vente de tous leurs animaux, explique-t-elle. Les canetons femelles, de moins bonne qualité pour la production de foie gras, sont désormais exportés pour la production de chair. L’accusation de L214 a dix ans de retard."
Pour le syndicat, ces images servent "la propagande" de L214, qui vise à arrêter toute consommation de viande et de foie gras. "Ce sont des images théâtralisées qui veulent faire peur et émouvoir. L214 s’en prend chaque année à la filière avec ses vidéos trash, dénonce Marie-Pierre Pé. Mais avec des images, on peut démontrer tout et n’importe quoi." La vidéo reste difficile à regarder, même pour la responsable du Cifog, mais "les méthodes que l'on voit correspondent aux réglementations prévues. Tout est très encadré", souligne-t-elle.
Parce que ses méthodes sont contestées
"L'association réussit à s'infiltrer dans les établissements ou utilise les salariés déjà présents", présume Marie-Pierre Pé. En effet, si, au départ, l’association tentait de se faire embaucher dans les abattoirs pour y filmer les dérives en caméra cachée, elle a depuis changé de méthode. "Les portes des producteurs se sont fermées au fur et à mesure", explique Brigitte Gothière. Depuis, elle trouve ses sources dans n’importe quel abattoir de France grâce aux salariés eux-mêmes, dont certains sont choqués par les pratiques de leurs employeurs.
"Les travailleurs de l’intérieur nous appellent et nous demandent ce qu’ils peuvent faire pour aider", raconte la cofondatrice de L214. Elle se souvient du service vétérinaire d’un abattoir qui, se sentant impuissant face aux conditions d’abattage, a contacté l’association. "Ils savent que, pour faire bouger les choses, il faut rendre les cas publics", commente-t-elle.
Parce qu’elle ne laisse pas place au dialogue
"Les éleveurs obéissent aux réglementations du ministère de l’Agriculture, à des vétérinaires et des experts. Certaines associations sont parfois consultées et ça peut être très intéressant de former un ensemble. Mais L214 n’est, à mon avis, même plus invitée aux discussions", selon Marie-Pierre Pé. Pour beaucoup, L214 souhaite imposer un mode d’alimentation végétarien. Autour d'elle, les autres associations ne sont pas toutes d'accord.
"A Welfarm, on marche sur des œufs, on est très vigilants dans nos actions, pour ne pas fermer la discussion avec un éleveur que l’on conseille", explique Pauline Di Nicolantonio, coordinatrice campagnes et plaidoyer dans cette association. Chez Welfarm, l’approche est plus partenariale. "On jongle entre les besoins des animaux, les contraintes économiques des éleveurs et les attentes du consommateur", décrit Jacqueline Zitter, responsable communication et développement de l'association.
Même démarche pour l'Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (Oaba). "Nous sommes complémentaires avec L214. Ils sont pour l’abolition pure et simple des abattoirs. Nous adoptons une méthode plus progressive", explique Jean-Pierre Kieffer, son président. Si l'Oaba a déjà diffusé des images filmées en caméra cachée en 2012, elle a depuis décidé d’utiliser d’autres méthodes. Se rendre dans les abattoirs pour porter conseil aux établissements qui veulent bien l'écouter, ou porter plainte lorsque les situations sont inacceptables, plutôt que de "mener le problème sur la place publique et clore le dialogue", conclut Jean-Pierre Kieffer.
Il n'empêche qu'avec 8 500 membres, 10 000 avec les donateurs, l’association L214 a déjà convaincu de nombreux Français. Depuis sa diffusion, la vidéo des couvoirs a été largement commentée et partagée. Brigitte Gothière assure avoir reçu de nombreux messages de soutien. Pourtant, certains doutent des effets de ces méthodes à long terme. "Avec ses vidéos, L214 interpelle plus facilement le grand public, constate Pauline Di Nicolantonio, de Welfarm. Mais sur le plus long terme, développer des alternatives respectueuses pour et avec les éleveurs sera plus efficace."
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