L'incroyable réseau des Bach, une famille vietnamienne devenue la pièce maîtresse du trafic international d'animaux sauvages
Dans ce réseau de trafiquants d'animaux sauvages d'Asie du Sud-Est, les cornes de rhinocéros et les dents de lions sont revendues à prix d'or.
De l'Afrique du Sud à la Thaïlande, jusqu'aux opulentes banlieues de Pékin et d'Hanoi. Avec des revenus estimés à 17,6 milliards d'euros par an, le trafic d'animaux sauvages se classe au quatrième rang des activités illégales les plus lucratives. Des dizaines de milliers d'animaux sauvages sont chassés, puis dépecés pour leur peau ou revendus sous forme de poudres auxquelles on prête des vertus curatives. Au Vietnam ou en Chine, deux des principaux consommateurs de ce genre de produits, une corne de rhinocéros se vend plus cher que le même poids d'or. Alors, un véritable réseau mafieux s'est mis en place.
Dans une longue enquête publiée en septembre, le Guardian a révélé le rôle central qu'occupe la famille Bach dans ce commerce illégal entre l'Afrique et l'Asie du Sud-Est. Ces deux frères vietnamiens, âgés de 38 et 45 ans, gèrent un trafic international d'animaux sauvages depuis le début des années 2000. Le journal britannique a eu accès à quatorze années d'investigations menées par l'ONG Freeland, qui traque les contrebandiers en Thaïlande.
"Asian connection"
Plus de 30 000 habitants vivent à Nakhon Phanom, la capitale de la province thaïlandaise du même nom, en bordure de la jungle. Peu à peu eclipsée par sa voisine, Mukdahan, cette cité posée sur la rive occidentale du Mékong est devenue la base du réseau international des frères Bach. Il faut dire que la situation géographique de la ville est idéale : le Laos se trouve de l'autre côté du fleuve et le Vietnam n'est qu'à 100 kilomètres, en traversant la jungle. Les morceaux d'animaux démembrés sont acheminés depuis l'Afrique du Sud jusqu'à cette ville, où ils sont réceptionnés par les hommes de Bach Mai, le cadet des deux frères, âgé de 38 ans. La cargaison est ensuite envoyée au Vietnam, via le Laos.
Le Guardian décrit la technique utilisée par les contrebandiers thaïlandais pour envoyer la marchandise sur la rive laotienne. Les restes d'animaux sont placés dans un sac mortuaire scellé, puis lancés au fond du fleuve. Le trafiquant indique ensuite la localisation du sac à un contact laotien, qui vient ensuite le repêcher à la rame. Une fois la cargaison réceptionnée, l'argent est directement versé sur le compte du passeur.
Dans le cas des frères Bach, la cargaison est ensuite acheminée jusqu'à Tay Son. C'est dans cette ville vietnamienne frontalière avec le Laos qu'est installé Bach Van Limh, le frère aîné. La route est alors toute tracée vers les opulentes banlieues d'Hanoï ou de Pékin, où les restes d'animaux sont revendus à prix d'or sous la forme de produits. Les os de tigres sont transformés en vin. La poudre de corne de rhinocéros est, quant à elle, très demandée depuis qu'une rumeur affirme qu'elle a permis à un haut-fonctionnaire de vaincre un cancer. Tout un réseau que le journal britannique nomme l'"Asian connection", un terme souvent utilisé pour décrire les trafics illégaux d'ampleur, comme la "French connection" dans le sud de la France des années 70.
Le trafic d'animaux sauvages mis en place par les frères Bach. (NICOLAS ENAULT / FRANCEINFO)
Des allers-retours entre Pretoria et Bangkok
Si certains animaux sont directement chassés en Asie, comme les tigres de Birmanie ou les tortues de Malaisie, d'autres sont amenés d'Afrique. C'est le cas des rhinocéros ou des éléphants, tués pour leurs cornes ou leurs défenses. Afin d'acheminer cette lointaine marchandise d'origine crapuleuse, les frères Bach s'appuyaient sur Chumlong Lemonthai, un autre personnage central du réseau.
Âgé de 35 ans, cet ancien vendeur de fruits sur le marché de Bangkok s'est lancé dans le commerce illégal d'animaux sauvages en 2002. Le jeune homme ambitieux prétend avoir un contact en Afrique en mesure de fournir les trafiquants. Il est présenté aux frères Bach par l'intermédiaire d'un autre contrebandier thaïlandais, qui empoche 40 millions de bat thaïlandais (soit un peu plus d'un million d'euros) au passage.
La famille Bach fait de l'ancien primeur son principal partenaire et Chumlong Lemonthai décide de s'installer directement à Pretoria, en Afrique du Sud, pour organiser le trafic lui-même. Dans des bars où travaillent des prostituées thaïlandaises, il fait la rencontre de propriétaires terriens locaux qui élèvent des lions. Chumlong Lemonthai aurait ainsi commandité la mise à mort de milliers d'animaux. A la manière des trafiquants de drogue, il serait parvenu à envoyer des dents et des griffes de félins en Thaïlande en les faisant transporter par des travailleurs du sexe faisant des allers-retours. Selon le Guardian, il aurait été aidé par un membre d'une compagnie aérienne à Johannesburg et par un employé corrompu de l'aéroport de Bangkok.
"Le Pablo Escobar du trafic d'animaux"
Le réseau de Chumlong Lemonthai perdure pendant six ans. En 2011, grâce aux travaux d'investigations de Freeland et d'un enquêteur privé à Johannesburg, le trafiquant est arrêté par la police sud-africaine. Dans son ordinateur, les autorités découvrent des photos et des registres commerciaux faisant état de recettes de plusieurs millions de dollars issues du commerce d'ivoire, d'os de lion et de corne de rhinocéros. Dans ce documentaire, la chaîne qatarienne Al Jazeera montre des photos équivoques de Chumlong Lemonthai.
L'ordinateur du trafiquant révèle aussi ses liens avec trois grosses entreprises laotiennes. L'une d'elles appartient à Vixay Keosavang, un homme d'affaires bien connu pour sa participation au trafic international d'animaux sauvages. Via sa compagnie, il est accusé d'avoir importé illégalement jusqu'à dix tonnes de membres d'animaux par semaine pour ensuite investir les profits dans des hôtels et dans le secteur du transport, indique le Guardian. Selon l'ONG britannique Environment investigation agency, il serait surnommé "le Pablo Escobar du trafic d'animaux". Pour montrer leurs liens au sein de ce trafic, le journal britannique publie une photo montrant les deux frères Bach et l'homme d'affaires bras dessus bras dessous sur un canapé. Torses nus et visiblement ivres, les trois hommes sont partis en vacances ensemble.
Un an après son interpellation, Chumlong Lemonthai est condamné à quarante ans de prison par la justice sud-africaine, indique l'International Business Times (en anglais). En appel, sa peine est finalement réduite à treize ans. Ne voulant pas perdre leur contact sur le continent africain, l'aîné des frères Bach, Van Limh, tente de soudoyer un "responsable clé" sud-africain pour faire libérer Chumlong Lemonthai. Selon l'enquête du Guardian, il lui aurait proposé 600 000 dollars (575 000 euros). La transaction n'a cependant pas abouti. L'officiel corrompu souhaitait que l'argent lui soit versé sur un compte off-shore, mais Bach Van Limh a refusé, craignant que son complice ne soit pas libéré pour autant.
Un nouveau réseau
Le réseau des Bach peut-il survivre sans leur partenaire de Pretoria ? Tout porte à croire que les deux frères ont trouvé d'autres fournisseurs avec qui commercer. Les équipes de surveillances du gouvernement thaïlandais ont planqué devant l'immeuble détenu par les frères Bach à Nakhon Phanom. Les enquêteurs ont alors photographié plusieurs marchands sud-africains d'os de lion se rendant dans ce bâtiment protégé par des barreaux.
La fratrie de contrebandiers semblent aussi s'appuyer sur une autre trafiquante thaïlandaise, bien connue des autorités. La police du pays a retracé une série des paiements entre les Bach et Jay Daoreung Chaimat. Cette femme de 40 ans, mariée à un policier, possède un zoo dans le centre de la Thaïlande qu'elle utiliserait comme plaque tournante pour le commerce d'animaux sauvages.
Après une enquête menée par l'organisation thaïlandaise de lutte contre le blanchiment d'argent, elle est jugée en mai 2014. Le tribunal a saisi 35,6 millions de dollars (34,1 millions d'euros) considérés comme des revenus issus de son activité illégale, note l'association Freeland. Mais la décision a été révoquée un an plus tard, selon le Guardian. Et le zoo de Jay Daoreung Chaimat continue de recevoir des visiteurs.
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