Trois fables de La Fontaine mises à mal par la nature
Les fourmis ne sont pas toutes travailleuses et les corbeaux sont sûrement trop intelligents pour tomber dans le piège d'un renard flatteur.
Les fables de Jean de La Fontaine datent du XVIIe siècle. Encore apprises ou étudiées à l'école, les histoires qu'elles narrent et leur morale semblent universelles, intemporelles. Pourtant, la nature vient parfois les contredire. La preuve par trois.
1Les fourmis ne sont pas toutes des travailleuses
Ce que dit la fable. Dans La Cigale et la Fourmi, la cigale vit légèrement sans penser au lendemain. Face à cette figure hédoniste, la fourmi est montrée comme un insecte sérieux et travailleur.
La Cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine.
Ce que l'on observe dans la nature. Les fourmis aiment le farniente. Dans le numéro de septembre de la revue Behavioral Ecology and Sociobiology (en anglais), des biologistes de l'université de l'Arizona (Etats-Unis) ont cherché à vérifier ce qu'avaient montré d'autres chercheurs : l'inactivité de près de la moitié des individus d'une fourmilière.
Concrètement, les scientifiques de l'Arizona ont suivi l'activité de 225 fourmis. Ils ont découvert que 34 d'entre elles étaient des puéricultrices, 26 étaient des ouvrières opérant hors du nid, 62 étaient multitâches, et 103 étaient oisives, soit presque la moitié. Et "rien, ni le besoin de se reposer ni un rythme circadien, ne semble justifier cette inactivité quasi permanente", relève le blog Passeur de sciences du Monde.
Comment l'expliquer ? Les chercheurs ont plusieurs hypothèses. L’un des auteurs de l’étude, Daniel Carbonneau, estime dans un article du Journal of Bioeconomics (en anglais) que l’inactivité pourrait être une activité en soi, prévue dans l’organisation complexe de la colonie. L'article de la revue est d'ailleurs intitulé "Quand ne rien faire est en fait faire quelque chose".
2Les loups ne gagnent pas toujours contre les moutons
Ce que dit la fable. Dans Le Loup et l'Agneau, le premier vers annonce la couleur : "La raison du plus fort est toujours la meilleure." Un agneau se désaltère dans un cours d'eau et tombe sur un loup. Ce dernier finit par l'accuser d'être le complice des humains et de leurs chiens qui harcèlent les loups. L'agneau nie en bloc, mais finit par être dévoré.
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus au fond des forêts
Le Loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
Ce que l'on observe dans la nature. Non, le loup ne gagne pas forcément face aux ovins. Une vidéo filmée en Norvège, en 2013, montre trois moutons faire fuir un loup qui tente de les attaquer.
3Les corbeaux sont trop intelligents pour se faire avoir par un renard
Ce que dit la fable. Dans Le Corbeau et le Renard, l'oiseau perché sur une branche a un fromage dans le bec. Mais il le laisse tomber pour réagir après les nombreux compliments du renard, qui meurt de faim.
À ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie :
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s'en saisit, et dit :
"Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l'écoute.
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute."
Ce que l'on observe dans la nature. Le corbeau est un animal particulièrement intelligent. Sûrement trop pour tomber dans le piège d'un tel flagorneur.
Dans une émission de la BBC, en 2014, un scientifique a préparé une épreuve en huit étapes, "l'une des plus complexes jamais essayées" pour mesurer l'intelligence d'animaux. Le corbeau doit effectuer huit tâches successives dans un ordre donné : "Attraper des cailloux, les empiler dans une boîte pour ouvrir une trappe qui libère un bâton assez long pour attirer la nourriture jusqu'à lui… Il commet quelques erreurs, mais c'est impressionnant !" commente Valérie Dufour, chercheuse en éthologie et évolution à Strasbourg (IPHC/CNRS), citée par Le Journal du dimanche.
Les corvidés ont également "une forme d'intelligence analytique et déductive", rapporte Le Monde. Concrètement, ils sont capables d'inventer des outils et de s'en servir.
Les corvidés montrent aussi des signes de la théorie de l'esprit, c'est-à-dire, notamment, savoir que l'autre sait, qu'il a un but. "Ils perçoivent la direction du regard de l'autre, analysent l'identité de ce voyeur et en tiennent compte", explique Valérie Dufour. Par exemple, "une corneille vue par un congénère voleur anticipe et brouille les pistes lorsqu'elle cache sa nourriture", écrit le JDD. Pas sûr, alors, qu'un corbeau puisse être dupé par les compliments d'un renard.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.