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Armes chimiques : le point de non-retour est-il atteint en Syrie ?

Accusé de préparer des attaques chimiques, le régime de Bachar Al-Assad fait face à une escalade géopolique du conflit. Cette menace est-elle crédible ?

Article rédigé par Christophe Rauzy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Techniquement, le régime syrien dispose d'un stock important d'armes chimiques, ainsi que d'un arsenal suffisant pour les utiliser, à l'image de ses missiles Joulan tirés lors d'un exercice, le 11 juillet 2012. (SANA / AFP)

SYRIE - C'est une nouvelle étape qui a été franchie, lundi 3 décembre, dans le conflit syrien. Selon les Etats-Unis, Bachar Al-Assad serait prêt à utiliser des armes chimiques contre la rébellion qui fait vaciller son régime. Face à cette menace, Barack Obama a pris la parole pour prédire des "conséquences" pour le dirigeant syrien, malgré le démenti de Damas. Cette utilisation d'armes chimiques est-elle possible ? Le risque d'une internationalisation du conflit est-il à craindre ? Analyse d'une escalade techniquement crédible mais stratégiquement peu probable.

Une menace crédible mais trop risquée pour Damas

Comme l'explique infosdefense.com, un site spécialisé sur les questions stratégiques, ce sont les images satellites américaines qui auraient permis de détecter ces derniers jours des déplacements de composants d'armes chimiques sur leurs bases de stockage, concentrées dans l'ouest de la Syrie. Une information qui laisse croire que Bachar Al-Assad serait prêt à utiliser son stock (le plus important du Moyen-Orient) de gaz sarin, une arme chimique mortelle. "Si le président des Etats-Unis prend la parole en personne pour l'annoncer, ces renseignements doivent être sûrs", analyse Jean-François Daguzan, directeur-adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), contacté par francetv info.

"C'est techniquement crédible, affirme à francetv info Frédéric Encel, maître de conférence en géopolitique à Science Po Paris et à l'école de management ESG*. Certes, la situation du régime est plus critique depuis que les rebelles parviennent à toucher son aviation. Mais la menace chimique est plus un effet d'annonce, destiné à faire peur à la rébellion. Bachar Al-Assad n'utilisera pas ces armes, car cela signifierait qu'il a perdu tout pouvoir. Or, s'il est aux abois, il fuiera plutôt Damas pour se réfugier dans la montagne alaouite."

La probabilité de l'utilisation d'armes chimiques est également affaiblie par le peu d'intérêt géopolitique qu'elle représente. Jean-François Daguzan est ainsi circonspect sur la stratégie adoptée par Damas. Car en cas de frappes chimiques syriennes, la Russie pourrait ne plus soutenir la Syrie : "Ce serait suicidaire pour Assad. Jamais il ne pourra se permettre de risquer une intervention extérieure." 

La "ligne rouge" américaine, un coup de bluff ?

En août, Barack Obama avait déjà parlé de "ligne rouge" en évoquant l'utilisation d'armes chimiques par le régime syrien. Le président américain a repris cette expression lundi, en déclarant solennellement qu'elle entraînerait des "conséquences" pour Bachar Al-Assad.

 

Syrie : ferme mise en garde d'Obama contre le recours à des armes chimiques (APTN)

On pense alors à l'invasion américaine de l'Irak en 2003, basée sur la présence d'"armes de destructions massives" agitée par les Etats-Unis. "Ce n'est pas comparable, estime Frédéric Encel. En 2003, Saddam Hussein n'avait pas le soutien russe dont bénéficie Bachar Al-Assad." Autre différence avec l'Irak, l'Amérique n'est pas isolée. Mardi 4 décembre, l'Allemagne a emboîté le pas de Washington, tout comme la France qui prédit "une réaction" en cas de frappes chimiques syriennes. Des alliés qui n'outrepasseront pas l'autorité de l'ONU.

Par ailleurs, après deux campagnes très difficiles en Irak et en Afghanistan, les Etats-Unis sont fatigués selon Jean-François Daguzan, qui écarte également l'idée d'une opération comme celle menée en Libye en 2011, avec des frappes aériennes ciblées : "Pour détruire des armes chimiques, il faut les brûler. Le risque de dommages collatéraux est trop élevé."

Mais la menace de "conséquences" brandie par Washington ne serait pas pour autant un "coup de bluff" d'après Frédéric Encel : "Il s'agit plus d'une posture, d'un côté comme de l'autre, pour montrer ses muscles et tracer une ligne rouge à ne pas franchir. Et puis l'opinion américaine n'aurait pas compris qu'Obama, prix Nobel de la paix, ne condamne pas fermement ces armes chimiques."

L'impossible intervention extérieure

Rien n'indique donc pour l'heure qu'une intervention étrangère en Syrie se rapproche. Car le principal garde-fou d'une attaque extérieure s'appelle Moscou, fournisseur d'armes, créancier et grand protecteur du régime syrien chiite, son allié contre les réseaux sunnites que la Russie combat sur son propre territoire. Le danger de voir des bâtiments russes bombarder des avions américains est trop grand selon Frédéric Encel : "Personne ne prendra le risque de déclencher une guerre mondiale pour la Syrie." La communauté internationale n'a donc aucun intérêt à agir. Il s'agit plutôt de s'opposer fermement dans le langage diplomatique.

Reste que l'attaque chimique fait peur. Elle est synonyme de guerre sale et touche indifféremment combattants et innocents. Les images des milliers de morts de la guerre Iran-Irak des années 80 sont gravées dans l'inconscient collectif, comme en témoigne Le Figaro qui dresse le "terrifiant bilan des armes chimiques au Moyen-Orient". "Ces attaques chimiques ont entraîné la diabolisation de Saddam Hussein, souligne ainsi Frédéric Encel. Pourtant ces armes ont des 'effets minimes' si on les compare aux machettes du Rwanda qui ont fait cinq millions de morts." Cette menace oblige ainsi les Etats-Unis et leurs alliés à réagir pour rassurer l'opinion.

Pour Damas enfin, l'objectif pourrait être d'utiliser l'arme chimique comme "la bombe atomique du pauvre" comme l'explique Jean-François Daguzan, sorte d'arme ultime qui empêche toute agression. "L'Egypte et l'Irak l'ont déjà fait, le but est de prévenir une invasion étrangère, comme l'avait déclaré le régime syrien en juillet", relate le chercheur. Une stratégie qui pourrait en fait geler un peu plus la situation d'un conflit où aucun des acteurs ne semble, au final, disposer de marge de manœuvre.

*Frédéric Encel est également l'auteur de "Comprendre la géopolitique" (Seuil).

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