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"Ludique", un mot trop compliqué pour les candidats au bac ? Le linguiste Jean Pruvost dédramatise

Alors que les candidats au bac professionnel qui ont buté sur le mot "ludique" reçoivent mardi leur note, le linguiste Jean Pruvost dédramatise : les collégiens et lycéens aiment enrichir leur vocabulaire, quand on les aide. 

Article rédigé par franceinfo Culture
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
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Des élèves passant une épreuve du baccalauréat, le 15 juin 2022. (THIBAUT DURAND / HANS LUCAS)

"Selon vous, le jeu est-il toujours ludique ?" Tel était l'énoncé de l'épreuve de français du bac professionnel mi-juin. Stupeur et désarroi chez certains élèves de terminale : ils ont confié sur Twitter qu'ils ne connaissaient pas le mot "ludique", ou l'avaient compris de travers. Une professeure de français, Domitille Rivière, fit remarquer dans Le Figaro étudiant que dans leur langage revenait plutôt l'adjectif "fun"

"Ça ne m'inquiète pas forcément", confie le lexicologue Jean Pruvost pour qui ludique "n'est pas un mot de toute évidence"Lui-même ne se rappelle pas à quel âge il l'a appris. Le latin étant enseigné bien plus massivement à son époque, dans les années 1960, il aurait "deviné le sens""Mais il n'y a pas tellement de mots de la même famille ! Le ludion, et ça s'arrête là", dit-il, en référence à un participant étrusque aux jeux du cirque à Rome. 

"Haine de la langue"

À peine la polémique retombée, un texte de la romancière Sylvie Germain, truffé de vocabulaire champêtre et de mots relativement rares, était proposé à commenter au bac de français général. Sur Twitter encore, de nombreux candidats l'attaquèrent, certains violemment : le texte était trop compliqué. "C'est grave que des élèves qui arrivent vers la fin de leur scolarité puissent montrer autant d'immaturité, et de haine de la langue, de l'effort de réflexion", a répondu l'autrice, via Le Figaro étudiant.

Condamnant des menaces "inacceptables", Jean Pruvost tempère : elles sont minoritaires. "Ce ne sera pas si mal si certains sont amenés à découvrir Sylvie Germain", ajoute-t-il.

Stimuler le plaisir d'apprendre

Il s'agirait, d'après lui, de mettre fin à un paradoxe très français. "Quand on orthographie mal, ou on ne connaît pas un mot, on est mal jugé", concède-t-il. Mais "on n'ose pas dire à son ami, à son voisin : on ne dit pas pallier à quelque chose, on dit pallier quelque chose. Et si personne ne nous ne le dit, on peut continuer longtemps à faire la faute !" L'enseignant à la retraite estime d'ailleurs que "l'enfant qui ne comprend pas le mot ludique, si on lui explique et qu'ensuite il le connaît, il est content ! C'est inimaginable le plaisir qu'ont les élèves à apprendre des mots".

"C'est un appel à ce qu'on fasse du vocabulaire en classe. L'enseignement des racines latines et grecques, sans apprendre ces langues, est diablement manquant", souligne-t-il. Il se souvient d'un cours où il avait énuméré des racines qui nous sont parvenues des langues anciennes. "On avait vu entre autres hémi, moitié, et céphale, tête. Après, dans le couloir, une élève de 5e avait traité l'autre d'hémicéphale ! C'était formidable, elle jouait."

Espoir en l'avenir de la langue française

Le professeur retraité insiste sur l'importance du travail sur le long terme : "Il faut absolument qu'à l'école, au collège, au lycée et à l'université, on considère que rien n'est jamais acquis. C'est une vie durant qu'on va progresser en orthographe. Et ce n'est pas si difficile que ça", insiste-t-il.

Jean Pruvost a proposé ses services pour être l'un des "immortels" de l'Académie française, qui rédigent un dictionnaire très ambitieux, mais aussi très critiqué. Sa candidature a été repoussée par deux fois, au profit de la romancière Chantal Thomas puis d'un autre lexicographe, Antoine Compagnon. Ces échecs n'ont altéré ni sa bonne humeur, ni sa foi dans l'avenir de la langue française.

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