Ces occasions manquées de stopper la fraude des prothèses PIP
Les auditions pendant le procès, qui se tient depuis le 17 avril à Marseille (Bouches-du-Rhône), ont révélé que le scandale des implants mammaires aurait pu être découvert avant 2010.
2001, les prothèses mammaires en silicone sont autorisées en France. L'entreprise Poly Implant Prothèse (PIP) commercialise des implants conçus avec un gel de silicone industriel. C'est aussi l’année de la dernière inspection de l’Afssaps, avant mars 2010.
Comment la fraude a-t-elle perduré jusqu'à cette date ? Cinq responsables de l'entreprise sont jugés pour "tromperie aggravée" jusqu'au 27 avril à Marseille. Leurs témoignages donnent un nouvel éclairage sur ces différents loupés.
2005, des discussions sur le gel, selon des cadres de PIP
"En 2005, nous avons fortement insisté pour que la société rentre dans les clous. On voulait que la fabrication soit conforme aux certifications", a expliqué, à la barre, mercredi 24 avril, Hannelore Font, entrée en 1999 chez PIP et devenue directrice qualité en 2004. "Mais on nous a dit que c'était difficile financièrement. Jean-Claude Mas ne voulait rien entendre. Il refusait de parler du gel PIP devant témoins", poursuit la trentenaire, qui fait partie des prévenus.
Autre prévenu poursuivi dans ce procès, le directeur de la production de PIP, Loïc Gossart, a confirmé l'existence, en 2005, d'une fronde des cadres destinée à contrebalancer l'omniprésence du fondateur de PIP. "M. Mas était à l'époque en position de faiblesse par rapport à son actionnariat", a rappelé l'ancien responsable de la production. De fait, en mars 2005, Jean-Claude Mas prend sa retraite. Il n’est plus que président du conseil de surveillance. PIP devient une société anonyme (SA) et lance une augmentation de capitaux. "S'il y avait une fenêtre de tir pour arrêter, c'était le moment", affirme Thierry Brinon, directeur produits de PIP.
2006, un cadre "à bout de souffle" quitte PIP
Ex-directeur en recherche et développement de PIP, Alban Gossé, 38 ans, cheveux courts et clairsemés, dos voûté dans son costume sombre, se souvient à la barre. Entré chez PIP en 1997 – son premier emploi –, il a été licencié "à sa demande", en janvier 2006. Dégagé de ses responsabilités, il aurait pu donner l’alerte. Pourtant, il le reconnaît, il n’a jamais songé à dénoncer l'utilisation d'un "gel maison" non homologué aux autorités judiciaires ou sanitaires.
"Pourquoi on ne dénonce pas son employeur ? Car c'est son employeur, et il y a 120 familles [de salariés] derrière. C'est une décision lourde à endosser", explique Alban Gossé. D’autant qu’il entretenait des relations amicales avec d’autres salariés. La marraine de sa fille, par exemple, est Hannelore Font. "Je pense avoir été honnête pendant toute mon expérience à PIP. Quand j'en suis sorti, j'étais à bout de souffle", conclut le témoin.
2008, promesse d'un retour au gel homologué
En novembre 2008, les cadres frondeurs profitent de la position de faiblesse de Jean-Claude Mas au sein de l’actionnariat de PIP, pour arracher, lors d'une réunion, la promesse d'un retour progressif, en deux ans, au Nusil, le gel homologué, indique Loïc Gossart. Finalement, la seule différence sera le remplacement du gel de remplissage PIP par un autre, dénommé PIP 2. "Les produits étaient les mêmes, seul le dosage changeait. Pour ma part, cela me paraissait un peu artisanal", ajoute-t-il.
Dans le même temps, des informations fausses continuent d'être transmises aux autorités sanitaires, comme le font remarquer la présidente du tribunal, le vice-procureur et les avocats des parties civiles. Toutefois, cette année-là, l'Afssaps commence à être alertée par les chirurgiens esthétiques sur les prothèses PIP. 34 incidents sont signalés (taux de rupture, explantations nécessaires...). "Un chirurgien a visité PIP fin 2007, un autre a voulu en 2008", confirme Loïc Gossart.
2009, la fronde et le scandale
Pour Jean-Claude Mas, cette chronologie est fausse. "J'apprends beaucoup de choses en écoutant les témoins. Les discussions sur le gel sont arrivées en 2009", a-t-il rétorqué lors du procès. Effectivement, c'est en 2009 qu'Hannelore Font bloque la sortie de certains lots de prothèses PIP. C'est aussi en 2009 que Malika, ingénieur en recherche et développement tente de démissionner, après avoir constaté une nouvelle commande de gel frelaté. Mais il est déjà trop tard.
Les choses s’accélèrent. L'Afssaps obtient la confirmation d’un taux anormal de rupture des implants PIP à l’été 2009, et reçoit, à l’automne, des photos de fûts d'huiles de silicone non déclarées, en provenance de l'usine de PIP à La Seyne-sur-Mer (Var). A la suite de quoi, en mars 2010, deux inspecteurs de l’agence des produits de santé sont dépêchés sur place et découvrent la fraude. Dans la foulée, les prothèses PIP sont retirées du marché et, cette fois, le scandale éclate.
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