: Enquête Six mois de prison avec sursis pour le vice-président du comité des pêches
Le tribunal a suivi les réquisitions du procureur. En effet, lors de l’audience le 16 mai dernier, il avait réclamé à l’encontre de l’armateur une peine de six mois de prison avec sursis, trois ans d’inéligibilité et près de 400 000 euros d’amende. Car le représentant des pêcheurs d’Occitanie avait des antécédents. Il avait déjà écopé de plusieurs amendes, et lors d’un contrôle en juillet 2022, les gendarmes de Port-la-Nouvelle ont trouvé à bord de son bateau plusieurs caisses de merlus et de queues de lotte déjà préparées, dissimulées sous des cirés et des couvertures, alors que le bateau n’avait déclaré aucune prise de pêche. Mais comme il n’était pas à bord du bateau au moment de la pêche, le tribunal l’a relaxé sur l’infraction de dissimulation de pêche.
Les gendarmes avaient aussi découvert des filets non règlementaires et des certifications pour l’équipage étaient manquantes. Lors du contrôle, le ton monte. Présent aux côtés de son capitaine, Bernard Pérez menace les gendarmes d’appeler "Paris". Dans leur compte rendu, que la cellule investigation de Radio France a pu consulter, les enquêteurs précisent que l’armateur s’en serait pris à eux, en leur disant que s’ils le contrôlaient, c’est parce qu’ils savaient qu’il avait des "relations".
Une pratique interdite et régulière
À l’issue de ce contrôle, l’armateur va faire l’objet d’une enquête plus poussée. Les données de l’administration des pêches vont alors établir qu’il a perçu plus de 22 000 euros en 2021 et 2022 pour la vente de poissons interdits considérés comme trop petits. "Quand les merlus font moins de 20 cm, il est parfaitement interdit de les commercialiser parce qu’ils ne se sont pas reproduits", explique Olivier Gourbinot, coordinateur fédéral de France nature environnement (FNE) Occitanie, partie civile dans ce dossier. Ces poissons font l’objet d’un plan de protection en Méditerranée, le plan West Med, pour permettre aux stocks de se reconstituer, et aux pêcheurs de pouvoir continuer à en vivre dans les prochaines années. Des mesures que le président du comité régional ne pouvait ignorer, puisqu’il a lui-même participé aux négociations de ce plan en tant que représentant de la profession, et qu’il défend lui-même la pêche durable.
"Je ne savais pas" se défend Bernard Pérez
Lors de l’audience devant le tribunal correctionnel de Narbonne, le 16 mai dernier, Bernard Pérez s’est défaussé sur la criée de Port-la-Nouvelle. S’il a rapporté ces poissons au port au lieu de les relâcher en mer, c'était, a-t-il dit, pour aider les scientifiques à évaluer l’intégralité des poissons capturés lorsqu’ils viennent faire leurs observations à la criée. Il affirme qu’il ne savait pas qu’ils étaient ensuite vendus. Aux gendarmes, Bernard Pérez a expliqué qu’il devait les rejeter en mer le lendemain du contrôle qui a mal tourné.
Le directeur de la criée a reconnu devant les enquêteurs que certains poissons interdits étaient effectivement vendus à la criée, mais que cela ne représentait qu’une petite quantité. Sa responsabilité juridique pourrait, elle aussi, être engagée puisque l’interdiction de commercialisation de ces poissons s’applique également aux criées et aux acheteurs : mareyeurs ou autres. Le directeur de la criée n’a pas répondu à nos demandes d’interview.
Des professionnels embarrassés
Plusieurs pêcheurs nous ont dit être surpris par la lourdeur des réquisitions du procureur à l’encontre de Bernard Pérez. Certains ont reconnu avoir déjà pêché des poissons en dessous de la taille réglementaire. "Sinon, on ne pêcherait plus rien", estime l’un d’entre eux. Mais s’il peut arriver d’en pêcher, la règle impose de les relâcher en mer. "À quoi bon ? Une fois dans le filet, ils sont bien souvent morts", poursuit-il.
En cas de contrôle, les pêcheurs écopent en général de quelques centaines d’euros d’amende. "Moi, j’ai eu jusqu’à 15 000 euros d’amende, ça m’a calmé", a expliqué à la cellule investigation de Radio France un autre professionnel. Est-ce que cette affaire est une exception ou la règle en Méditerranée ? C’est la question que se pose la partie civile : "L’affaire Bernard Pérez montre qu’à la criée de Port-la-Nouvelle, il y a de la vente de merlus trop petits. Nous avons aussi porté plainte à la suite d'informations concernant des ventes similaires à la criée d’Agde", détaille Olivier Gourbinot de FNE Occitanie.
Un président doit montrer l’exemple
Ce qui a aggravé le cas de Bernard Pérez aux yeux du ministère public, c'est qu’en août 2023, lors du contrôle d’un camion frigorifique en route vers l’Espagne, les gendarmes découvrent une nouvelle fois des poissons trop petits pêchés par son bateau, le "Edouard François". Lors de l’audience, la procureure a évoqué le "sentiment d’impunité" qu’éprouve M. Pérez, alors qu’en tant que président du comité des pêches, "il devait donner l’exemple à toute la profession".
À ses côtés, à la barre du tribunal, le capitaine de son bateau a écopé, comme le procureur le demandait, de 4 000 euros d’amende. Car il n’avait pas, comme d’autres membres d’équipage, les qualifications requises pour conduire le bateau. Là encore, Bernard Pérez a affirmé ne pas être au courant, tout en expliquant qu’il n’obtenait pas toujours de réponse de la part de l’administration lorsqu’il demandait des informations sur les qualifications nécessaires.
Sollicité, ni lui ni son avocat n’ont souhaité faire de commentaire. En attendant, cette affaire embarrasse d’autres représentants des pêcheurs puisque Bernard Pérez est également vice-président du comité national. "S’il avait un peu de bon sens maritime, il aurait dû admettre qu’il avait déconné", estime José Jouneau, le président du comité régional des pêches des Pays de la Loire et membre du comité national des pêches. "Ce n’est pas étonnant qu’il y ait des pêcheurs qui font dissidence aujourd’hui", poursuit-il.
Le comité est en effet aujourd’hui très critiqué par certains professionnels qui l’accusent de ne défendre que les gros armateurs. Certains d’entre eux viennent de créer une nouvelle association l’Union Française des pêcheurs artisans. En attendant la décision du tribunal, Bernard Pérez est présent aux assises de la pêche qui débutent ce jeudi 20 juin, à Lorient. Et il a l’intention de faire appel de cette condamnation.
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