Coupe du monde 2022 : les audiences des matchs permettent-elles de mesurer un éventuel boycott de la compétition ?
TF1 a annoncé son meilleur score de l'année après France-Australie, qui a réuni autant de téléspectateurs que le premier match des Bleus en 2018, lors de la Coupe du monde en Russie. Mais de nombreux facteurs compliquent la comparaison.
"Il y a eu une campagne [de critiques contre le Qatar] qui était excessive." Déjà peu enclin à médire de l'émirat, le président de la Fédération française de football s'en est pris ouvertement, mercredi 22 novembre sur RTL, à ceux qui déplorent le bilan carbone désastreux, la mort de nombreux ouvriers et les lois homophobes du pays hôte. Pour Noël Le Graët, "la preuve" que ces détracteurs exagèrent est "le record battu" lors de France-Australie la veille : l'audience télévisuelle était la meilleure, toute chaîne confondue, depuis plus d'un an et l'élimination des Bleus lors du dernier Euro, selon TF1.
#Audiences @TF1 #FIFAWorldCup
— TF1 Pro (@TF1Pro) November 23, 2022
FRANCE⚡️AUSTRALIE
MEILLEURE AUDIENCE DEPUIS juin 2021 tous programmes et toutes chaînes confondues
12,5 M tvsp
Des niveaux records sur toutes les cibles
✅ 73% PdA 4-14
✅ 53% FRDA-50a
✅ 69% 15-34a
✅ 61% 25-49a
✅ 69% Hom 25-49a pic.twitter.com/UQLSxwkHGb
Pour Noël Le Graët, c'est manifestement la preuve que ceux qui appellent à boycotter la compétition sont une petite minorité. Une analyse plutôt partagée sur les réseaux sociaux, mercredi, aussi bien par ceux qui critiquent ce boycott que par ses partisans. Peut-on déduire de ces audiences que le rejet de ce Mondial au Qatar par une partie du public n'était qu'un fantasme ?
Les horaires faussent la comparaison
Que TF1 ait battu son record de l'année n'est pas franchement une surprise : les matchs des Bleus dans les grandes compétitions sont systématiquement les programmes les plus regardés. Pour savoir si ce Mondial est boudé, il faut le comparer aux précédentes éditions. L'entrée en lice des Bleus en 2018 semble offrir un point de comparaison idéal puisque l'adversaire était le même. La similitude des deux scores est frappante : France-Australie avait attiré 12,6 millions de personnes en 2018, contre 12,5 mardi soir. L'audience du match d'ouverture avait déjà marqué les esprits : 5,1 millions de personnes ont regardé Qatar-Equateur dimanche, contre un peu moins de 4 millions pour Russie-Arabie saoudite, il y a quatre ans.
Mais l'horaire et la date de ces rencontres compliquent la comparaison. Alors que le match d'ouverture du Mondial 2018 avait été diffusé à 17 heures un jeudi, celui du Mondial 2022 était programmé au même horaire un dimanche, jour plus propice à se trouver devant sa télévision. Difficile de savoir si le coup d'envoi du France-Australie en Russie, un samedi à midi, a favorisé la hausse ou la baisse de l'audience. Mais il est certain que la question ne se posait pas pour celui de mardi, qui démarrait à 20 heures, en plein "prime time".
Le public "hors foyer" ignoré jusqu'en 2020
En remontant plus loin dans le passé, on constate que les précédentes entrées en lice des Bleus avaient été bien plus regardés : 15,8 millions de téléspectateurs en 2014 contre le Honduras (un dimanche à 21 heures), 15 millions en 2010 contre l'Uruguay (un vendredi à 21 heures) et 14,7 millions en 2006 contre la Suisse (un mardi à 18 heures). Face à ces scores, l'enthousiasme pour les débuts des Français au Qatar apparaît plus mesuré.
L’entrée en lice des Bleus tenants du titre dans cette Coupe du monde a moins drainé les foules qu’en 2018, avec pourtant un horaire et une période de l’année plus favorables. C’est aussi en nette baisse comparée au 1er match de l'Euro 2021 (+ de 15M téléspectateurs à 21h sur M6) pic.twitter.com/OAl97DhWmZ
— Thomas Guinhut (@thomasguinhut) November 23, 2022
Par rapport à ces années, "beaucoup de choses ont changé dans la façon dont on consomme le foot", prévient Jean-Charles Malbernard, expert des médias au sein de l'institut de sondages CSA. L'essor des réseaux sociaux et du streaming a renforcé la concurrence à laquelle fait face la télévision. Mais la technologie permet aussi de mieux mesurer qui regarde quoi, relève ce spécialiste de la consommation de contenus sportifs. Depuis 2020, Médiamétrie, qui mesure les audiences de chaînes françaises, intègre le "hors foyer", grâce à des boitiers portables fournis à un nouveau panel.
Un boycott plus visible si les Bleus vont loin
Quand TF1 annonce le nombre de spectateurs devant France-Australie, il inclut donc désormais ceux qui ont regardé le match au bar, chez des amis ou au travail. Autant de spectateurs qui étaient invisibles dans les audiences des Coupes du monde précédentes, où le visionnage en extérieur était d'autant plus important que le tournoi se tenait l'été. Ce nouveau dispositif fonctionnait déjà pendant le dernier Euro, ce qui a permis à Médiamétrie de mesurer que 14% des spectateurs des matchs de la France les regardaient hors de chez eux. En se fiant à cette estimation, le fait que l'audience du premier match des Bleus en 2022 n'ait pas augmenté par rapport à celui de 2018 souligne qu'une partie du public a manifestement boudé la rencontre.
L'intention de boycotter le Mondial au Qatar concerne par ailleurs "en grande partie des personnes assez éloignées du foot", souligne Jean-Charles Malbernard. Un sondage du Parisien observait par exemple que 54% des Français interrogés ne comptaient regarder aucun match (sans préciser pourquoi), mais ce taux tombait à 12% chez les sondés se disant "intéressés" par le football.
Ce public "éloigné du foot" et donc très occasionnel "s'agrège en général au fil du parcours des Bleus", à mesure qu'ils se rapprochent potentiellement du titre. "Le fera-t-il cette année ?" s'interroge l'expert. Le premier match de poules n'est en tout cas pas idéal pour jauger de leur détermination. C'est quand les Bleus quitteront le Qatar que l'on saura à quel point les Français ont manifesté leur rejet de ce Mondial.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.