Coupe du monde 2022 : on vous explique la bataille autour du brassard "One Love", interdit par la Fifa au Qatar
La Fédération internationale de football voit dans ce message contre les discriminations une prise de position politique contre le pays hôte du Mondial, où les relations entre personnes du même sexe sont punies par la loi.
"Qu'il est beau pour les gens de mettre de côté ce qui les sépare pour préserver leur diversité et ce qui les unit en même temps". Derrière les belles paroles de l'émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, lors de la cérémonie d'ouverture de la Coupe du monde de football, dimanche 20 novembre à Doha, c'est une bataille beaucoup plus âpre qui s'est jouée en coulisse sur un sujet pourtant consensuel : la lutte contre les discriminations, et notamment contre l'homophobie.
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Lundi, sept sélections européennes (Allemagne, Angleterre, Belgique, Danemark, Pays-Bas, pays de Galles et Suisse) ont annoncé qu'elles renonçaient à faire porter à leurs capitaines le brassard "One Love", orné d'un cœur arc-en-ciel. Un abandon de dernière minute, à quelques heures du premier match impliquant l'une de ces équipes, Angleterre-Iran, motivé par la menace de sanctions sportives de la part de la Fifa. Franceinfo vous explique les racines de ce débat autour de ce petit morceau de tissu.
D'où vient ce brassard "One Love" ?
Le brassard de la discorde n'est pas apparu dans les semaines précédant le Mondial au Qatar. Il est lancé en 2020 par la Fédération de football des Pays-Bas, en collaboration avec les clubs du pays, et s'inscrit alors dans le cadre d'un plan plus global de lutte contre les discriminations dans le football, élaboré en réaction à des insultes racistes ayant visé un joueur noir lors d'un match de deuxième division en 2019.
"En portant le brassard 'One Love', nous voulons souligner (...) que nous sommes opposés à toutes les formes d'exclusion et de discrimination, partout dans le monde", résume une vidéo promotionnelle de la fédération néerlandaise.
S'il est né en réaction au racisme, le symbole vise à dénoncer toutes les discriminations, notamment sexistes et homophobes. "Les couleurs du logo OneLove symbolisent la couleur de peau et l'origine (rouge/noir/vert) et toutes les identités de genre et orientations sexuelles (rose/jaune/bleu)", écrit la fédération néerlandaise sur son site (lien en néerlandais). Elles ne reprennent pas, en revanche, les couleurs du drapeau arc-en-ciel, qui symbolise la lutte pour les droits des personnes LGBTQI+.
En septembre, neuf autres sélections européennes décident de l'adopter : l'Allemagne, l'Angleterre, la Belgique, le Danemark, le pays de Galles, la Suisse et la France (tous qualifiés pour le Mondial), ainsi que la Norvège et la Suède (qui ne le sont pas). Lors de rencontres de la Ligue des nations, il était apparu aux bras de tous leurs capitaines, dont les Français Raphaël Varane et Antoine Griezmann, qui suppléaient dans ce rôle Hugo Lloris, blessé.
Si le message de la campagne "One Love" ne vise pas spécifiquement le Qatar, son extension à d'autres sélections que les Pays-Bas émane d'un groupe de travail de l'UEFA chargé d'étudier les "questions relatives aux droits des travailleurs et aux droits humains au Qatar jusqu'au Mondial-2022", expliquait alors la fédération allemande. Son homologue néerlandaise affirmait clairement, dans son communiqué (en néerlandais), que ces équipes avaient aussi l'intention de le porter lors du Mondial.
La Fifa s'opposait-elle à cette initiative quand elle a été annoncée ?
En septembre, la décision de porter ce brassard lors de matchs en Europe ne provoque aucune réaction publique de la part de la Fifa. Mais à l'approche du Mondial, le sujet des lois homophobes du Qatar prend de l'importance. La Fifa et les organisateurs de la Coupe du monde sont obligés de s'exprimer pour assurer aux spectateurs qu'ils ne seront pas affectés par les lois criminalisant les relations entre personnes du même sexe dans l'émirat. Un discours mis à mal par les déclarations d'un des ambassadeurs qataris de la compétition, à deux semaines de l'échéance : "Ils devront accepter nos règles", affirme-t-il alors, qualifiant l'homosexualité de "dommage mental".
Début novembre, la chaîne britannique Sky News révèle un courrier adressé aux 32 équipes participantes par le président de la Fifa, Gianni Infantino, et sa secrétaire générale Fatma Samoura. Les deux dirigeants font comprendre qu'ils désapprouvent toute volonté de prendre position sur des sujets extérieurs au sport. Cependant, ils n'évoquent pas directement les brassards, ni l'éventualité de sanctions. A l'exception de la France, toutes les fédérations impliquées dans la campagne "One Love", ainsi que le Portugal, signent alors une lettre ouverte pour affirmer qu'elles continueront de "faire pression" pour des réformes au Qatar, sans évoquer les droits des personnes LGBTQI+.
Dans les jours précédant le Mondial, l'équipe du Danemark apprend que la Fifa n'a pas autorisé sa demande de porter, à l'entraînement, des tee-shirts ornés du slogan "Droits humains pour tous". Les Lois du jeu, fixées par la Fifa, interdisent de longue date tout "slogan, inscription ou image à caractère politique, religieux ou personnel", comme le précise l'alinea 5 de la loi 4, que l'on peut lire sur le site de la FFF. Le texte reconnaît cependant le caractère "ambigu" de ce qui constitue un message politique. La sélection danoise, qui a annoncé se plier au règlement, conteste la politisation de ses tee-shirts, mais aussi du brassard "One Love". Un brassard sur lequel la Fifa n'a jamais explicitement pris position.
A quel titre l'a-t-elle finalement interdite ?
A la veille du début du Mondial, la fédération internationale a sorti de son chapeau ses propres brassards. Différents pour chaque phase de la compétition, ils portent des messages "positifs" choisis en lien avec trois agences de l'ONU, explique l'institution : "Pas de discriminations" en quarts de finale, mais aussi "Sauvons la planète" pour le deuxième match de poules, ou encore "Protégeons les enfants. Partageons les repas" pour la troisième rencontre des groupes. Une façon opportune de noyer le poisson ? "La campagne Non à la discrimination, qui devait initialement débuter à partir des quarts de finale, a été avancée", précise-t-elle dans un communiqué lundi.
Dans cette nouvelle communication, la Fifa n'évoque toujours pas les brassards "One Love", mais elle explique qu'elle ne laisse pas le choix entre l'une ou l'autre des campagnes, renvoyant aussi vers un article du règlement de la Coupe du monde qui précise que "seuls les brassards de capitaine fournis par la Fifa sont autorisés".
Si l'objet de cette décision n'était pas assez clair, l'instance le souligne en choisissant de préciser que "le président de la Fifa a réaffirmé son soutien à la communauté LGBTQI+ durant la Coupe du monde" et qu'il a "évoqué ce sujet avec les plus hautes autorités du pays", qui lui garanti, dit-il, que "tout le monde serait le bienvenu".
Quelle a été l'attitude de la France ?
Le capitaine des Bleus, Hugo Lloris, est le seul qui avait annoncé de lui-même, en amont de la compétition, qu'il ne porterait pas le brassard "One Love". "Lorsqu'on accueille des étrangers en France, on a souvent l'envie qu'ils se prêtent à nos règles et respectent notre culture. J'en ferai de même lorsque j'irai au Qatar", avait justifié le gardien lors d'une conférence de presse le 14 novembre, s'attirant des critiques.
Outre son "opinion personnelle", le joueur avait expliqué qu'un tel geste nécessiterait "l'accord de la Fifa et de la Fédération" et fait référence à la position exprimée quelques jours plus tôt par le président de la FFF Noël Le Graët. "J'aime autant qu'il ne le fasse pas", avait déclaré ce dernier dans une interview accordée à L'Equipe. "Quelquefois, je me dis que l'on veut être tellement donneurs de leçon qu'il faudrait regarder aussi ce qui se passe chez nous", ajoutait-il alors.
A nouveau interrogé lundi, Hugo Lloris a réitéré sa position, sans référence cette fois à la "culture" locale : "La Fifa organise la compétition, elle définit un cadre, des règles."
Pourquoi les autres sélections ont-elles finalement cédé ?
Dans les jours précédant l'ouverture du Mondial, de l'Angleterre à l'Allemagne en passant par le Danemark, toutes ont réitéré leur intention de porter le brassard "One Love". Y compris au prix d'éventuelles pénaltés financières infligées par la Fifa : "S'il devait y avoir des sanctions financières, à titre personnel je suis prêt à payer des amendes", avait par exemple assuré le président de la fédération allemande Bernd Neuendorf vendredi.
C'est finalement un retournement de dernière minute qui a fait vaciller ces sept équipes : la perspective d'une sanction sportive. "Quelques heures avant le premier match, la Fifa nous a (officiellement) précisé que le capitaine recevrait un carton jaune s'il portait le brassard de capitaine OneLove", a déclaré la fédération néerlandaise lundi. "En tant que fédérations nationales, nous ne pouvons pas demander à nos joueurs de risquer des sanctions sportives, y compris des cartons jaunes", estiment les sept fédérations dans le communiqué commun, lundi, annonçant leur renoncement de dernière minute.
S'ils avaient porté le brassard, les joueurs concernés auraient joué sous la menace d'une expulsion, ou d'une suspension après deux cartons en deux matchs. Mais le choix de ne pas défier la Fifa pour préserver leurs chances sur le terrain a valu quelques critiques aux pays concernés. Notamment en comparaison avec un autre geste politique : le refus des joueurs de l'Iran, opposés à l'Angleterre lundi, de chanter leur hymne national. Les Iraniens risquaient "bien pire qu'un carton jaune", écrit par exemple une députée travailliste britannique sur Twitter.
Reste à savoir si certains joueurs choisiront d'exprimer autrement le message qu'ils voulaient porter. Lundi, les joueurs de l'Angleterre ont posé le genou à terre avant le coup d'envoi du match contre l'Iran, un autre geste symbolique de la lutte contre les discriminations.
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