Coupe du monde 2022 : les autres sélections présentes au Qatar en font-elles plus que les Bleus pour défendre les droits humains ?
L'équipe de France a annoncé qu'elle ferait des dons à des ONG. Mais Hugo Lloris avait renoncé à porter le brassard arc-en-ciel contre les discriminations que d'autres capitaines comptaient arborer, avant son interdiction par la Fifa.
"Quelque chose sera mis en place, vous serez mis au courant en temps et en heure." Les joueurs de l'équipe de France n'ont pas tardé à lever le voile après les déclarations cryptiques de leur capitaine, Hugo Lloris. Ils vont "soutenir les ONG qui œuvrent pour la protection des droits humains", par l'intermédiaire d'un fonds, ont-ils annoncé dans une lettre ouverte, mardi 15 novembre, à la veille de leur départ pour le Qatar. "Notre passion ne doit pas être la cause du malheur de certains", écrivent-ils dans ce texte commun, affirmant leur volonté de "rappeler [leur] attachement au respect des droits humains et [leur] refus de toute forme de discrimination".
Cette initiative survient après une série de déclarations plus timorées au sujet de l'organisation du Mondial au Qatar, critiqué pour son bilan climatique, les conditions de travail des ouvriers dans le pays et le non-respect de certains droits humains dans le pays. Le sélectionneur Didier Deschamps a plusieurs fois refusé de s'exprimer sur le sujet, renvoyant ses joueurs à leur liberté de parole. Le président de la FFF, Noël Le Graët, a été critiqué par la ministre des Sports après une réaction jugée trop légère après les révélations de "Complément d'enquête" sur le traitement des employés de l'hôtel des Bleus.
Enfin, lundi, Hugo Lloris a annoncé qu'il ne porterait pas au Qatar le brassard de capitaine aux couleurs arc-en-ciel, symbole de défense des droits des personnes LGBTQI+, au nom du "respect" de la "culture" du pays hôte. Cette position tranche avec celles d'autres sélections, même si elles ont finalement toutes renoncé à ce message sous la menace de cartons jaunes. Franceinfo vous résume comment d'autres équipes abordent la situation au Qatar.
L'Australie a appelé à des réformes
Premiers adversaires des Bleus, les Australiens les ont devancés en s'exprimant sur les droits humains au Qatar dans une vidéo (en anglais) mise en ligne le 26 octobre. Une dizaine de joueurs des "Socceroos" y lisent un message, filmés en noir et blanc, dans lequel ils expliquent avoir échangé depuis deux ans avec des travailleurs migrants et des organisations. "Nous avons appris que la décision d'organiser la Coupe du monde au Qatar a eu pour résultat la souffrance d'un nombre incalculable de travailleurs", explique l'un d'eux.
Les joueurs mentionnent dans leur message "les progrès faits" par le Qatar, mais aussi l'implémentation "inégale" des réformes annoncées par l'émirat. Ils plaident pour de nouvelle mesures : "L'établissement d'un centre de ressources pour les migrants, des réparations concrètes pour ceux dont les droits ont été niés, et la décriminalisation de toutes les relations entre personnes de même sexe."
Les Australiens ne prévoient pas d'autres actions lors de la compétition, a expliqué leur capitaine, Mitchell Duke, lundi : "Ce que nous avons dit dans cette vidéo a été dit, ce qui devait être entendu a été entendu, et maintenant très franchement, nous nous occupons juste de football."
Pas de message sur le maillot du Danemark
L'équipe du Danemark, autre adversaire des Bleus, souhaitait s'entraîner au Qatar avec des maillots portant l'inscription "Human Rights for All" ("Droits humains pour tous"). Mais la Fédération internationale de football (Fifa) a rejeté cette demande, ont annoncé les Danois le 10 novembre. Les règles en vigueur interdisent aux équipes d'arborer des slogans politiques. Le patron du football danois, Jakob Jensen, estimait quant à lui que le message "n'était pas très politique, dans le sens où il pouvait recevoir le soutien de tout le monde".
Les Scandinaves se plieront à l'interdiction. Les joueurs ont "décidé de [se] concentrer sur le football" sur place. Pour autant, leur tenue au Qatar n'est pas anodine : leurs nouveaux maillots arborent des logos estompés, qu'il s'agisse de celui de l'équipe nationale ou de l'équipementier danois Hummel. "Nous ne souhaitons pas être visibles pendant un tournoi qui a coûté la vie à des milliers de personnes", a expliqué la marque. Celle-ci a également choisi d'ajouter une tunique noire, "la couleur du deuil", aux maillots rouges et blancs habituels, mais elle ne sera pas portée au Qatar, les équipes n'ayant pas droit à trois maillots différents lors de la Coupe du monde.
Les Pays-Bas et l'Angleterre rencontreront des ouvriers
Les joueurs des Pays-Bas et de l'Angleterre n'ont pas eu que du football au programme de leurs premiers jours au Qatar. Ils ont rencontré le 17 novembre des travailleurs étrangers qui ont participé à l'organisation de cette Coupe du monde. "Le fait que nous soyons prêts à le faire vous en dit long sur les idées de notre fédération et de notre équipe", avait commenté le sélectionneur néerlandais, Louis Van Gaal, très critique à l'égard de l'attribution du Mondial au Qatar, lors de l'annonce de cette initiative. Ces deux rencontres ne se sont cependant pas faites aux dépens du pays hôte, puisqu'elles ont lieu dans le cadre d'un programme organisé par le Qatar et la Fifa.
La Fédération néerlandaise de football a également annoncé (contenu en anglais) qu'elle vendrait aux enchères les maillots portés par les joueurs au Mondial, comme elle l'a déjà fait après deux rencontres en septembre. L'argent récolté sera utilisé "pour améliorer la situation des travailleurs migrants au Qatar", affirme l'organisation, bien qu'elle n'ait pas précisé de quelle manière.
Huit nations ont critiqué l'appel de la Fifa à éviter les déclarations politiques
Le président de la Fifa, Gianni Infantino, et sa secrétaire générale, Fatma Samoura, ont adressé début novembre une demande claire aux 32 équipes qualifiées pour le Qatar, dans un courrier révélé par un média britannique : "S'il vous plaît, concentrons-nous maintenant sur le football. (...) Ne laissez pas le football être entraîné dans chaque bataille idéologique ou politique."
Un avertissement auquel ont répondu publiquement dans une lettre ouverte huit nations qualifiées (Belgique, Danemark, Angleterre, Allemagne, Pays-Bas, Portugal, Suisse et pays de Galles), ainsi que la Suède et la Norvège (non qualifiées). Ces fédérations assurent qu'elles vont "continuer de soutenir la dynamique en faveur d'un changement positif et progressif" et de "faire pression" pour deux mesures : la mise en place d'un "fonds de compensation pour les travailleurs migrants" et la création d'un "centre pour les travailleurs migrants" à Doha.
Plusieurs nations ont tenté de porter un brassard contre les discriminations
Les capitaines de plusieurs sélections avaient l'intention de porter au Qatar un brassard orné d'un cœur multicolore. Si ce symbole ne reprend pas les couleurs du drapeau arc-en-ciel symbolisant la fierté des personnes LGBTQI+, il est notamment destiné à soutenir les droits de ces dernières, et plus largement des victimes de toutes discriminations. Lancé en 2020 aux Pays-Bas, et élargi à d'autres pays dans le cadre d'un groupe de travail de l'UEFA lié au Mondial 2022, le brassard a été porté en septembre par les capitaines de neuf sélections, dont sept qualifiées pour le tournoi. Si Hugo Lloris a annoncé qu'il ne le porterait pas au Qatar, ses homologues des équipes d'Allemagne, d'Angleterre, de Belgique, du Danemark, des Pays-Bas, du pays de Galles et de la Suisse comptaient le faire.
Ces fédérations ont finalement annoncé lundi qu'elles renonçaient aux brassards "One Love" ("Un seul amour") à l'issue d'une bataille de plusieurs jours avec la Fifa, qui n'a autorisé que ses propres messages contre les discriminations. Prêtes à payer d'éventuelles amendes, les instances nationales ont fait marche arrière quand la Fifa a menacé d'infliger des cartons jaunes aux joueurs qui porteraient l'équipement interdit, risquant de les mettre en difficulté sur le plan sportif.
De leur côté, les Etats-Unis ont choisi d'orner leur centre d'entraînement et leur salle de presse au Qatar d'une version multicolore de leur badge. "Notre groupe croit à l'inclusivité", a expliqué le gardien Sean Johnson.
Impossible de ne pas penser aux propos de Lloris.
— Antoine Latran ~ Culture Soccer (@CultureSoccer) November 14, 2022
L'équipe des USA affiche dans son centre d'entraînement ce logo.
"C'est un signe de nos valeurs", dit le gardien Sean Johnson. "Nous sommes un groupe qui croit en l'inclusivité et nous continuerons à projeter ce message." pic.twitter.com/KEoEXcwBwi
"Quand nos sommes sur la scène mondiale, et dans un lieu comme le Qatar, il est important d'attirer l'attention sur ces questions", juge le sélectionneur américain Gregg Berhalter. Il estime que le pays hôte a fait "des tonnes de progrès", mais qu'il reste "du travail".
L'Angleterre et l'Allemagne sont par ailleurs arrivées au Qatar dans des avions à la décoration très symbolique. L'appareil des Anglais était baptisé "Rainbow" ("arc-en-ciel") et orné d'un personnage avec des chaussures multicolores, tandis que celui des Allemands portait le slogan "Diversity Wins" ("La diversité gagne"). Toutefois, dans les deux cas, ce sont les compagnies (Virgin Atlantic et Lufthansa) qui ont choisi d'envoyer ces messages.
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