Art Basel Paris, la foire d'art contemporain revient au Grand Palais et des œuvres envahissent la capitale

Octobre à Paris est la saison de l'art contemporain. Une tradition. Les galeries du monde entier débarquent avec leurs stocks d'œuvres plus ou moins novatrices, mais toutes à vendre.
Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 12min
La citrouille à pois "Pumpkin" de Yayoi Kusama devant le Grand Palais pour Art Basel 2024. (CHRISTOPHE AIRAUD)

Cet été, le Grand Palais restauré fut pendant les Jeux olympiques l'un des sites les plus admirés et remarqués. La foire d'art contemporain Art Basel Paris, ex-Fiac, s'y installe du 18 au 20 octobre. C'est un retour en plein centre de Paris. Au total, 135 000 m2 pour 195 galeries, dont 53 nouvelles qui exposent et vendent ce que le marché de l'art estime le plus important de la scène artistique.

Les organisateurs aiment à dire qu'"Art Basel Paris est la plus importante foire d'art contemporain et moderne au monde". Un slogan marketing ou une réalité dans un marché de l'art qui oscille entre inquiétude et frilosité ? À voir durant les quatre jours de cette foire et aussi dans neuf lieux parisiens.

Un marché inquiet

Art Basel est avant tout un marché, une foire. Sous l'immense verrière du Grand Palais restauré, les galeristes, le jour des collectionneurs, mercredi 16 octobre, s'affairent à ne pas rater une vente, même si souvent les œuvres les plus chères ont été discutées les jours précédents. "Le marché est compliqué", avouent les galeristes avec ce sens de la formule. Et si Frieze, l'homologue britannique d'Art Basel, a donné des signes encourageants, l'inquiétude est de mise.

Judith Benhamou, spécialiste de l'économie de l'art contemporain et journaliste aux Echos nous confie que "le marché est évidemment ralenti. Les prix n'ont pas encore vraiment baissé parce que ceux qui vendent n'ont pas envie que ça baisse. Mais il y a moins de demande, c'est clair. Et il y a un début de révision du marché et de la demande."

Une révision qui entraîne un repli sur des valeurs sûres, des artistes ayant prouvé leur talent, des artistes confirmés, dont la carrière ne risque pas d'être un feu de paille.

Stand de la galerie Ceysson et Bénétière lors d'Art Basel en 2024. (COURTESY CEYSSON ET BENETIERE)

Cela se confirme chez Ceysson et Bénétière, galeriste historique de Pierre Buraglio, Bernard Pagès, Bernar Venet. Sur leur stand, des Claude Viallat aux prix de 110 000 à 130 000 euros. "Nous allons dire que le marché a toujours été raisonnable avec nos artistes", estime Loïc Garrier, responsable de la galerie parisienne. "Aujourd'hui, on arrive à des prix qui commencent à devenir conséquents mais qui sont justes."

Et de renchérir : "On n'est pas sur des artistes qui ont 40 ans et dont la cote a explosé. Ce marché-là est plus compliqué aujourd'hui. C'est justement ce marché qui a explosé et qui s'est dérégulé." La sagesse pourrait être le mot d'ordre de l'année. Pour saluer la persévérance des artistes.

Judith Benhamou le confirme : "On accordait trop de valeur à des artistes qui étaient en devenir, donc qui n'avaient pas fait toutes leurs preuves. Donc il y avait une sorte d'injustice. Mais l'injustice n'est pas encore réparée. On est au début du processus. Il y a eu déjà beaucoup de fermetures de galeries à New York. À Paris aussi. Il y a une inquiétude générale mais, paradoxalement, du fait de la multiplication des projets en ce moment à Paris, il règne une sorte de d'euphorie qui contraste avec l'ambiance mondiale."

La stratégie du galeriste

"Paris, centre du monde de l'art durant Art Basel" est un slogan souvent entendu. Pour être le centre du monde, la foire accompagne l'actualité culturelle parisienne. En écho à l'exposition Arte povera à la Bourse de commerce, Alighiero Boetti, représentant de l'Arte povera aux immenses cartes du monde multicolores est montré chez Tornabuoni Art, galerie italienne. La galerie Loevenbruck présente par exemple une sculpture de Hans Belmer en parallèle à la saison surréaliste parisienne.

Mais Hervé Loevenbruck joue lui aussi le jeu de l'actualité. Sur son stand, un œuvre attire l'œil. Une peinture du français Gilles Aillaud, qui après sa belle rétrospective Gilles Aillaud, animal politique au Centre Pompidou en 2024 a repris "du poil de la bête" dans l'esprit des collectionneurs.

Le galeriste nous déclare : "On n'est pas dans une foire marchande au sens strict avec des œuvres à vendre. Ce sont des œuvres qui ont été pensées, qui ont été réfléchies et on va chercher à trouver leur prochaine famille d'accueil. Chaque œuvre a sa place sur le stand." La preuve avec Le Marabout derrière la grille qui semble avoir été peint sur place.

"Marabout derrière la grille", œuvre de Gilles Aillaud de 1970, présentée par la galerie Loevenbruck. (FABRICE GOUSSET)

Hervé Loevenbruck rajoute : "On a pris une œuvre qui, au-delà du fait qu'elle arrive un an après la rétrospective d'Aillaud, dialogue avec la structure du Grand Palais que l'on retrouve ici avec son architecture métallique dans l'œuvre sans doute peinte au Jardin des plantes à la fin des années 1960."

Les espoirs des émergents

Quand on parle prudemment d'argent chez les galeristes ayant pignon sur rue, il suffit de monter le grand escalier du Palais et sur les coursives, à l'étage les galeries émergentes. Elles observent les mastodontes du marché et ne pratiquent pas la langue de bois. Et proposent des œuvres plus décoiffantes.

Le discours d'Elisa Rigoulet, directrice de la jeune galerie Exo Exo, dix ans d'âge, est plus direct. "Je pense que de manière globale, en ce moment, les collectionneurs et les collectionneuses sont frileux d'acheter. Nous, on pratique des prix qui sont ceux des artistes émergents, c'est-à-dire pas très chers." Entre 3 000 et 30 000 euros pour la grande installation vidéo.

Elle présente Lou Fauroux, une artiste trentenaire mêlant vidéo et bas relief en résine narrant un combat contre la toute-puissance des Gafam, des IA, sous fond de culture pop et de monde post-internet.

Vue du stand de la galerie Exo Exo et de l'installation de Lou Fauroux. (XOXO)

La foire est un sacré investissement pour une jeune galerie : "Le stand, il nous coûte 12 000 euros. Pour une galerie comme la nôtre, c'est un gros investissement, plus la production des œuvres de l'artiste sur le stand. Comme nous montrons des artistes émergents, nous prenons des risques." Les acheteurs aussi, mais peut-être l'avenir de l'histoire de l'Art leur donnera raison.

Le retour de l'art moderne

Comme pour prouver que collectionner est une aventure et un pari, à quelques pas de là, nous sommes chez Dina Vierny, galerie historique. Une leçon du passé que cet hommage à un grand collectionneur, marchand et critique d'art, Wilhelm Uhde (1874-1947). Il fut le premier acheteur de Picasso, il a découvert le Douanier-Rousseau. Il a aidé Séraphine Senlis. C'est un clin d'œil aux acheteurs d'aujourd'hui. Marie Lesbats, directrice adjointe de la galerie, dit à Franceinfo Culture : "C'est une manière de mettre la lumière sur un collectionneur, de rappeler l'importance de collectionner, d'acheter les premiers exemplaires, les premières œuvres d'un artiste qui n'est pas encore connu. Un acheteur peut être un visionnaire."

Vue du stand de la galerie Dina Vierny à Art Basel Paris, en 2024. (GRAYSC)

Wilhelm Uhde a acheté des Picasso, des Douanier Rousseau, des Seraphine Senlis pour à l'époque soutenir ces artistes. Aujourd'hui, la galerie vend entre 1 million et 1 million et demi d'euros ces tableaux. "L'art moderne est une valeur sûre, une valeur refuge pour les collectionneurs. Les acheteurs américains reviennent, et Art Basel prouve que Paris est un rendez-vous important", nous rappelle Marie Lesbats.

L'état du monde

Chez Perrotin, un des galeristes star de Paris, on profite là aussi de l'actualité pour présenter un jeune artiste franco-suisse qui expose actuellement Stone Speakers - les bruits de la terre au Palais de Tokyo, jusqu'au 5 janvier. Au mur, un grand tirage noir et blanc au charbon, vendu entre 20 000 et 30 000 euros, un cliché poétique représentant une forêt mais pas que. Il s'agit d'une adroite superposition entre une image des fossiles conservés au Musee d'histoire naturelle de Berlin et une prise de vue de la forêt équatorienne. Toujours perméables aux bruits du monde, les artistes parlent du monde en danger et de sa préservation.

Julian Charrière explique à Franceinfo Culture son travail, à l'écoute des blessures du monde mais aussi de ces résiliences. "Il y a cette superposition de la trace minérale et du végétal d'une forêt du passé et d'une forêt d'aujourd'hui qui est en train de disparaître." De ce cliché s'échappent à la fois une douceur et une inquiétude.

Photographie "Sun Sets In Stone | Alethopteris – Chinchipe" de Julian Charrière présenté par la galerie Perrotin. (TANGUY BEURDELEY)

"Mon travail naturellement traite de la blessure, des cicatrices, de la friction entre l'humain et d'autres sphères du monde." Et ainsi pour ceux qui veulent découvrir le travail de Julian Charrière, rendez-vous au palais de Tokyo.

Des conteuses à Iéna

Art Basel ne se passe uniquement au Grand Palais et ne coûte pas uniquement une fortune. Direction un autre palais, celui d'Iéna, siège du Conseil économique, social et environnemental. Un palais de béton brut d'Auguste Perret où tout est gratuit et la performance porte le joli nom de Tales & Tellers (Contes et conteuses).

Projection et performance au palais d'Iena "Tales and Tellers" lors d'Art Basel Paris. (COURTESY MIU MIU T / SPACE STUDIO)

Et pour y voir quoi ? Un projet mené par Goshka Macuga, artiste polonaise vivant à Londres. Un dispositif original : des courts-métrages réalisés par des cinéastes émergentes ou reconnues (Miranda July, Alice Rohrwacher, Rosalie Varda, Naomi Kawase, Lynne Ramsay, Mati Diop…) sont projetés sur des écrans aux airs de science-fiction. Ces projections, des récits d'artistes explorant "l'idée de féminité en perpétuelle transformation", dit le propos, sont rejouées, réinterprétés par des performeuses. C'est joyeux et festif. Une bouffée de couleur. Une initiative due à la marque Miu Miu, marque de luxe car art contemporain et luxe font bon ménage.

Un champignon hallucinogène place Vendôme

Plus au centre de Paris, la place Vendome, 1er arrondissement : la place du luxe et des grands joailliers, et c'est la tradition, en octobre poussent ici de bien curieuses sculptures. On dirait presque un dévergondage dans les beaux quartiers. On se souvient du plug anal de Paul McCarthy en 2014 qui avait fait polémique et avait même été vandalisé par des anti-art contemporain ronchons, voir ultra-réactionnaires.

En 2023, la poétique Wave, mi-bijou, mi-boule d'aluminium de Urs Fischer reflétait joliment le soleil suivant les heures de la journée. Cette année, voici le champignon géant de l'artiste Carsten Höller.

Le champignon géant de Carsten Höller, place Vendôme, durant Art Basel 2024. (PIERRE BJÖRK)

Ce champignon fait d'alu et d'acier mesure 3 mètres, c'est un hybride de trois espèces : le chapeau rouge est de l'Amanita muscaria, extrêmement vénéneux et psychotrope, le voile en filet du Phallus indusiatus et les lamelles striées du Tricholoma columbetta, tous deux comestibles. Mais pourquoi ? Höller est agronome et ainsi a créé ce monstre dangereux et hallucinogène, mais séduisant comme le sont tous les dangers.

L'artiste rappelle ainsi sa fascination pour les champignons. La galerie Gagosian explique : "L'intérêt particulier de l'artiste pour ce champignon réside dans son importance culturelle, historique, religieuse et spirituelle, tant par ses propriétés hallucinogènes psychoactives que par son aspect visuel."

L'artiste rajoute : "Je trouve les champignons attrayants à bien des égards, car ils sont si puissants en termes de forme, de couleur, de goût et de toxicité, et sont si inutiles. Ils constituent vraiment une énigme – nous ne savons pas pourquoi ils sont comme ils sont." La place Vendome n'est pas un sous-bois mais ce champignon de plusieurs mètres de haut y a bien poussé.

Art Basel au Grand Palais
Avenue Winston Churchill
75008, Paris

Billetterie : de 44 euros plein tarif à 1 500-2 400 euros (billet Premium+Discovery)

Journées publiques (accès avec un billet ou une invitation)
Vendredi 18 octobre, de 11 à 19 heures
Samedi 19 octobre, de 11 à 19 heures
Dimanche 20 octobre, de 11 à 19 heures

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