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Kinshasa à la Cité de l'architecture : une immersion dans la grande cité africaine à travers le regard de 70 artistes

Six commissaires proposent à la Cité de l'architecture un voyage à Kinshasa à travers les oeuvres multiformes de 70 jeunes artistes congolais qui saisissent l'effervescence de la ville et traduisent l'humour de ses habitants.

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
A gauche, Hilaire Balu Kuyangiko, dit Hilary Balu, Transe communication, 2018 - A droite, Nelson Makengo, Epaka, série "Théâtre urbain", 2016 (A gauche © Hilary Balu - photo © Pierre Schwartz - A droite © Nelson Makengo)

Installations, photographies, peintures, films, musique, c'est à travers les œuvres de plus de 70 artistes que la Cité de l'architecture et du patrimoine a choisi de nous faire découvrir Kinshasa, ville trépidante et créative de 13 millions d'habitants, dans une exposition foisonnante et réjouissante (jusqu'au 11 janvier 2021).

Ce ne sont pas moins de six commissaires qui ont imaginé cette exposition. "Pour nous, il était très important que ce soit un travail collectif : pour dialoguer avec plus de 70 artistes, il était fondamental qu'on ait des points de vue différents, qu'on apporte des connaissances, des idées, des envies différentes", explique Dominique Malaquais, historienne d'art et politologue à l'Institut des mondes africains du CNRS.

Mega Mingiedi,Kinshasa I et Kinshasa II, 2018 (© Mega Mingiedi)

70 jeunes artistes racontent la ville

70 artistes, donc, pour la plupart nés après 1985, à l'image d'une ville où 93% des habitants ont moins de 45 ans. Des artistes qui viennent contredire "le vieux poncif selon lequel les artistes contemporains en Afrique seraient principalement autodidactes", souligne Dominique Malaquais, pour qui il est "très important de dire" que nombre d'entre eux "ont fait l'Académie des Beaux-Arts de Kinshasa, la plus vieille d'Afrique sub-saharienne, fondée dans les années 1940, même si tous n'ont pas souhaité suivre ce que l'Académie leur enseignait".

La ville se montre à travers neuf thèmes, performance, sport, paraître, musique, capital(ism)e, esprit, débrouille, futur, mémoire, des "chroniques" présentées selon un parcours très réussi et volontairement "poreux", non linéaire, car souvent il n'y a pas véritablement de frontière entre l'une ou l'autre : la performance des maîtres de la "SAPE" (art de l'élégance vestimentaire), par exemple, est forcément liée au paraître.

Michel Ekeba, "Liberté - Exo-astrosquelette", 2018 (© Michel Ekeba - photo © Sébastien Godret)

Performance, un acte politique

On est accueilli par de formidables costumes de performers : Tickson Mbuyi a réalisé un habit avec des préservatifs pour inviter les Kinois à se protéger des MST et des grossesses non désirées. Cédrick Mbengi, surnommé "100% papier" car il n'utilise que du papier, a imaginé un costume blanc et rose entièrement en papier toilette pour sensibiliser aux questions de la déforestation massive.

Les performances, qui ont généralement lieu dans l'espace public, sont aussi montrées à travers des films. "Ce sont des actes politiques, symboliques, faits pour choquer", explique l'artiste congolais Eric Androa Mindre Kolo, également commissaire de l'exposition, performer lui-même. L'humour y est aussi omniprésent.

Gosette Lubondo, "Imaginary Trip #7", 2016 (© Gosette Lubondo, courtesy d’Axis Gallery, New York)

Une bibliothèque pour les sens

Pour Fiona Meadows, responsable de programme à la Cité de l'architecture et commissaire, il s'agissait de "montrer la ville par ses sens, en avoir une approche sensible". Pour Mega Mingiedi, autre artiste et commissaire, "Kinshasa est comme une grande bibliothèque où les gens se nourrissent du son, des odeurs, des couleurs, des ambiances".

Pas d'odeurs ici mais des cimaises aux couleurs des façades de la grande cité, et puis la musique, omniprésente dans les églises, dans la rue, dans les boîtes. Kinshasa est surtout connue pour la rumba congolaise mais ici ce sont de jeunes artistes du rap, du hip-hop, du slam qui sont mis en avant, plus contestataires que leurs aînés souvent liés à la politique officielle.

Dareck Tubazaya, "Kin sport", 2017 (© Dareck Tubazaya)

Kinshasa vue par le bas

À droite du parcours, on est invité à des traversées de Kinshasa, avec deux cartes dessinées par Mega Mingiedi, qui oppose la ville officielle à celle des habitants des quartiers, avec les noms qu'ils leur donnent en langila, l'argot du lingala (langue des Kinois). Plus loin, c'est un film du Français Florent de la Tullaye en forme de long traveling qui se promène à travers la capitale congolaise à bord d'une moto, faisant défiler les couleurs et les ambiances, à hauteur d'être humain. Car la visite de la ville se veut "par le bas". À l'image des photographies de Nelson Makengo, qui place des figurines Marvel par terre et saisit la ville au ras du sol, le transformant en décor de science-fiction.

Dans des alcôves à gauche, on peut regarder des films ou découvrir des installations comme celle de Mega Mingiedi qui a reconstitué une espèce de concentré de Kinshasa, "ville de commerce où il y a beaucoup de système D, ce qu'on appelle 'article 15'". Au centre, une commerce ambulant où on vend de tout. Au mur, il a accroché couvertures de magazines, livres, affiches de concerts, bouteilles de bière, photos d'hommes politiques. Eric Androa Mindre Kolo, lui, aborde la question de la mort qui l'a frappé très jeune : son père est décédé quand il avait trois ans et la mort le hante. Un énorme cercueil submergé sous les fleurs artificielles est entouré de photos de personnes disparues. "À travers l'art, j'ai pu enterrer mon père", dit-il.

Roger Kangudia, "Les invités", série "Terrasses" (© Roger Kangudia)

Une ville aux mille villages

Les difficultés d'une ville dont la population double tous les 15 ans, où le revenu par habitant est un des plus faibles au monde, où 85% de l'espace urbain est auto-construit, sont bien sûr présentes. La question des enfants accusés de sorcellerie est abordée par Géraldine Tobe, elle-même victime d'exorcismes, dans des tableaux où elle noircit la toile avec une lampe à pétrole. Faute d'électricité, des quartiers entiers sont plongés dans le noir à la nuit tombée. Cédrick Nzolo a magnifiquement saisi des silhouettes à peine éclairées par une lampe à pétrole ou par la fenêtre d'un commerce doté d'un générateur.

Mais, "pour nous, Kinshasa n'est pas une ville chaos, elle n'est pas la ville catastrophe que représente le regard très cliché que l'Europe et l'Amérique du Nord ont sur les villes africaines", souligne Sébastien Godret, spécialiste des questions urbaines et autre commissaire de l'exposition. Il parle plutôt d'une "ville aux mille villages", à l'opposé de nos villes "rangées" par activités.

Kinshasa Chroniques
Cité de l'architecture et du patriomoine
Palais de Chaillot, 1 place du Trocadéro, Paris 16e
Tous les jours sauf le mardi, 11h-19h
Tarifs : 12 € / 9 € (billet couplé avec Paris 1910-1937- Promenade dans les collections Albert Kahn)
Du 14 octobre 2020 au 11 janvier 2021

L'exposition, coproduite avec le Musée international des Arts modestes (MIAM) de Sète, y a été présentée en 2018-2019.

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