Un regard inédit : les premiers pas du hip-hop en France dans l'objectif de Marc Terranova
Graffeurs, danseurs, scratcheurs, terrains vagues et boîtes de nuit : de 1987 à 1989, le photographe Marc Terranova a saisi les premiers pas du hip-hop en France. Un reportage au long cours inédit, dont l'exposition "Hip Hop 360" à la Philharmonie expose une cinquantaine de photos. Il nous a raconté sa rencontre avec le mouvement et nous commente en supplément sept de ses clichés.
Ses photos, nous les avons découvertes à l’exposition Hip-Hop 360 qui se tient jusqu’au 24 juillet à la Philharmonie de Paris. Le reportage en images de Marc Terranova sur les premières heures du hip-hop à Paris nous a électrisé. Car non seulement les clichés, hyper vivants et denses en couleurs, étaient superbes, mais le reportage, inédit jusqu'ici, se déployait dans toutes les directions de ce mouvement naissant, témoignant de la sève juvénile qui animait ses pionniers.
C’est bien simple, entre 1987 et 1989, Marc Terranova est partout : aux fameuses soirées Chez Roger Boîte Funk au Globo, où il tire le portrait de Destroy Man et Jhony Go, Spank, Solo, Flavor Flav de Public Enemy, danseuses anonymes ou agents de sécurité des Black Panthers ; il est au petit matin devant La Java avec Lionel D, Chignol et Dee Nasty ; il colle au train des graffeurs dans le métro ou les terrains vagues ; il accompagne les premiers breakdancers en démonstration dans les rues de Paris ; il est présent à une battle de rap sur le canal de l'Ourcq ; il immortalise à Radio Nova la complicité joyeuse entre Dee Nasty et Afrika Bambaataa et il est même à La Courneuve lors d’un rassemblement de pacification entre bandes rivales.
Le tag et le graffiti, premiers signes visibles de l'arrivée du hip-hop en France
Comment cette série de photos était-elle restée inédite jusqu’ici en dépit de ses qualités ? Nous avons voulu en savoir plus sur son auteur, recueillir ses impressions et comprendre comment un tel trésor, qui comprend en réalité un butin de quelque 1500 photos (dont une cinquantaine sont visibles à la Philharmonie), avait pu rester si longtemps dans l’ombre.
"En tant que Parisien, j’ai commencé à voir les premiers signes du mouvement Zulu qui arrivait des Etats-Unis sur Paris via les tags et les graffitis. J’avais une formation artistique, musique, danse classique et arts plastiques, mais je me dirigeais vers la photo et le hip-hop m’interpellait. Lorsque j’ai fait ce reportage au long cours, j’étais animé par la passion. Ce n’était pas un boulot de commande", se souvient Marc Terranova.
"J’ai découvert le mouvement petit à petit, en suivant d’abord les gars qui faisaient des graffiti. Puis j’ai rencontré des danseurs, je trouvais ça super inventif et je voyais bien qu'ils avaient de la discipline et s'entraînaient comme des malades. Puis j'en ai suivi certains en boîte, à la radio, sur le terrain. Au fur et à mesure, j’ai compris qu’un mouvement rassemblait tout ça."
Tel "un chasseur à l'affût", il attendait le bon moment pour shooter
S’il connaissait les acteurs et activistes du hip-hop naissant par leurs petits noms, le photographe cultivait une certaine distance. Son âge - il approchait alors doucement la trentaine - lui donnait une assurance et une crédibilité naturelles face aux bouillonnants ados, lascars et autres fiers à bras qui constituaient le gros des troupes. Marc Terranova aimait alors la photo de rue, et refusait de faire poser ses sujets. Ce qui l’intéressait c’était la photo de l’instant, saisir au vol un regard, une émotion.
"Pour shooter, j'attendais qu'il se passe un truc, que les breakers se mettent à faire un break de folie au milieu des clubbeurs. Mais même quand il ne se passait rien, ça m'interpellait. Surtout les regards. Parfois aussi je serrais les fesses parce qu’il y avait de la tension et de la violence", se remémore-t-il en riant.
L’une de ses bottes secrètes : être toujours là au bon moment tout en sachant se faire oublier, tel "un chasseur à l’affût". Une discrétion et une patience qu’il n’a jamais cessé d’appliquer puisqu’il est devenu par la suite photographe animalier.
Une écriture et une esthétique particulières
Si ses photos nous ont tapé dans l’œil à la Philharmonie, c’est aussi parce qu’elles développent une esthétique particulière. Ce n’est pas un hasard : sorti de l’école Louis Lumière, Marc Terranova était assez mûr alors pour vouloir développer une écriture. Pour cela, il travaillait tout en "open flash", que ce soit en intérieur ou en extérieur, avec son vieux Nikon F2 24x36. Tout était également "travaillé en vitesse lente pour avoir des filets de lumière et une sensation de mouvement." Ce qui donne une dynamique tout en fluidité à ses images.
"Montrer le mouvement dans toute sa diversité"
Pourtant, vers 1990, lorsqu’il va présenter son reportage au long cours et son book de magnifiques tirages à Jacques Massadian, qui organisait les soirées au Globo et était en relation avec le magazine Actuel et Nova, ce dernier ne se montre intéressé que "par le vandalisme, les tags dans le métro et les gros bras posant devant des wagons couverts de tags", regrette le photographe.
"Moi je voulais montrer le mouvement dans toute sa diversité. D’autant que la presse stigmatisait le mouvement Zulu et n’en parlait qu’au travers des affrontements entre bandes. Or on ne pouvait pas résumer à ça cet incroyable bouillonnement d’artistes émergents. J’ai donc refusé. Que Massadian ne comprenne rien à mes photos, cela m’a dégoûté et dissuadé. Je suis passé à autre chose."
Voilà pourquoi cette précieuse série est restée inédite jusqu’à ce que le commissaire de l’exposition Hip-Hop 360 à la Philharmonie, François Gautret, ne repère le travail de Marc Terranova et intègre une cinquantaine de ses photos à sa célébration des 40 ans du mouvement en France. Voici sept de ses clichés commentés (commentaires à lire dans les légendes), en attendant que son reportage finisse par acquérir la visibilité qu’il mérite et fasse l'objet d'une exposition à part entière.
Exposition "Hip-Hop 360"
A voir à la Philharmonie de Paris jusqu'au 24 juillet 2022
Tous les jours sauf le lundi de 11h à 20h et les vendredis jusque 22h
Tarifs : Gratuit pour les moins de 16 ans, de 7 à 12€ pour les autres
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