Aya Nakamura aux JO : de la rumeur sur sa présence aux Jeux à l'ouverture d'une enquête pour racisme, on vous résume la polémique

La chanteuse de 28 ans, sacrée artiste féminine aux dernières Victoires de la musique, est stigmatisée par l'extrême droite et fait l'objet de nombreuses attaques racistes depuis l'annonce de sa possible participation à la cérémonie d'ouverture.
Article rédigé par franceinfo
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La chanteuse Aya Nakamura, à Paris, le 19 novembre 2020. (JOEL SAGET / AFP)

Des jours de polémique avant que l'affaire ne prenne un tournant judiciaire. Une enquête a été ouverte, vendredi 15 mars, après les nombreuses attaques racistes qui visent la chanteuse franco-malienne Aya Nakamura depuis les rumeurs sur son éventuelle participation à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris l'été prochain.

Les détracteurs de la chanteuse francophone la plus écoutée au monde ne tolèrent pas les libertés que l'artiste prend avec la langue française, comme dans Djadja, mêlant argot, vocabulaire et images d'origines diverses. Franceinfo revient sur cette controverse. 

1 Fin février, "L'Express" révèle la possible participation d'Aya Nakamura à la cérémonie d'ouverture des Jeux

Le 29 février, L'Express révèle qu'Aya Nakamura, sacrée artiste féminine de l'année, va participer à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques, le 26 juillet. L'hebdomadaire relate une scène entre Emmanuel Macron et la chanteuse, qu'il a reçue à l'Elysée. "Alors, quels chanteurs ou quelles chansons du répertoire français comptent pour vous ?", lui aurait demandé le chef de l'Etat. Réponse de l'intéressée : "J'aime beaucoup Edith Piaf." "La réponse ravit Emmanuel Macron. Qui, tout à trac, se fait coach : 'Eh bien, il faut que le jour J, vous chantiez ce que vous aimez'", raconte encore L'Express

Cette participation éventuelle n'a été officialisée à ce jour ni par la chanteuse, ni par les organisateurs des Jeux, ni par l'Elysée.

2 L'extrême droite s'empare de l'affaire 

Un groupuscule de l'ultradroite, Les Natifs, poste, samedi 9 mars, sur ses réseaux, une photo d'une banderole tendue par une dizaine de ses membres sur les bords de Seine. "Y'a pas moyen Aya, ici c'est Paris, pas le marché de Bamako !", peut-on y lire. "Une quinzaine de Natifs ont manifesté dans le 4e arrondissement afin de dénoncer le choix de notre président : remplacer l'élégance française par la vulgarité, africaniser nos chansons populaires et évincer le peuple de souche au profit de l'immigration extra-européenne", poursuit le communiqué du groupe. 

Le lendemain, des huées surgissent à l'évocation du nom d'Aya Nakamura, lors d'un premier grand meeting de campagne des élections européennes de Reconquête, parti d'extrême droite d'Eric Zemmour, à Paris. Le 12 mars, sur BFMTV, Marion Maréchal, la tête de liste de Reconquête, se livre sur le sujet : "On aime ou on n'aime pas, elle ne chante pas en français. Elle ne représente ni la culture ni l'élégance française." Un mantra qu'elle répétera sur Europe 1 le même jour, mais aussi le 15 mars sur C8

3 Aya Nakamura se défend

Le 10 mars, la chanteuse s'exprime sur cette affaire, sur le réseau X. "Je vous dois quoi en vrai ?", écrit-elle, à destination des commentaires haineux qui lui parviennent depuis les sorties de l'extrême droite. Deux jours plus tard, elle remercie également sa "commu" pour le soutien. 

Sur RMC, mercredi 13 mars, l'avocat de la chanteuse, Karim Sebihat, dénonce, lui, une "polémique infâme" et une "provocation à la discrimination".

4 La star reçoit de nombreux soutiens

Immédiatement, Aya Nakamura est défendue. Parmi les soutiens figure celui du metteur en scène Thomas Jolly, chargé de la cérémonie d'ouverture des JO, qui se dit sur ses réseaux "profondément choqué par le racisme dont est victime Aya Nakamura". Sans confirmer la participation de la chanteuse, il promet que "les cérémonies s'élèveront contre toute forme de discrimination. La France, à travers une mosaïque de talents, célébrera la beauté et la richesse de sa diversité." 'Nous avons été très choqués par les attaques racistes visant Aya Nakamura ces derniers jours", fait aussi savoir le comité d'organisation des Jeux, en apportant son "total soutien à l'artiste française la plus écoutée dans le monde". 

Le gouvernement réagit aussi vivement. "Attention aux prétextes pour s'attaquer à quelqu'un par pur racisme", dénonce, le 12 mars, Rachida Dati lors d'une audition au Sénat. "S'attaquer à une artiste pour ce qu'elle est, c'est inacceptable, c'est un délit", poursuit la ministre de la Culture.

"Aya Nakamura a été victime d'attaques racistes qui sont tout à fait inadmissibles et qui doivent être condamnées avec la plus grande fermeté", embraye, le 14 mars, Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques. Quelques jours auparavant, elle avait également publié un message de soutien sur X. 

De nombreux responsables politiques apportent, dans la foulée du gouvernement, leur soutien à l'artiste, à l'image de Sandrine Rousseau (Les Ecologistes), qui dénonce un "racisme" "indécent". "Nous sommes en train de parler d'une star mondiale. On a l'impression que nous sommes en train de parler d'une petite artiste qui viendrait de la banlieue. C'est ça qui est extrêmement grave et extrêmement méprisant", déplore sur franceinfo Lilian Thuram, président de la fondation Education contre le racisme, pour l'égalité. Les chanteurs Hugues Aufray, sur France 5, le 16 mars, et Benjamin Biolay, sur RTL le 13 mars, montent aussi au créneau pour défendre Aya Nakamura. 

5 Des linguistes s'emparent du sujet

"L'argument de la langue française est un prétexte", dénonce, le 11 mars, sur France 3, Médéric Gasquet-Cyrus, sociolinguiste à Aix-Marseille Université. "Elle a beaucoup plus enrichi la langue française que la plupart des académiciens actuellement en poste, qui ne font que répéter les mêmes choses", poursuit-il. 

"'Djadja', 'Pookie', quand les gens répètent ça, ils jouent avec la langue française. C'est ça aussi la chanson, c'est un jeu verbal, c'est une façon de se l'approprier par du rythme, de la mélodie, de la prosodie, par des jeux de syllabes. C'est ce qu'elle fait en tant que chanteuse.

Médéric Gasquet-Cyrus, sociolinguiste

à France 3

Il n'est pas le seul linguiste à prendre la défense de la chanteuse. Trois jours plus tard, dans Le Parisien, son confrère Julien Barret assure qu'Aya Nakamura "crée de l'art ou de la poésie, sans être forcément intelligible à chaque phrase". Il prend pour exemple le cas du poète Antonin Artaud ou de la poésie médiévale pleine "de fantaisie, très licencieuse, avec des gros mots".

6 Le patron du Sénat embraye sur de nouvelles critiques

Gérard Larcher, le président LR du Sénat, se désolidarise des déclarations de soutien des membres du gouvernement envers Aya Nakamura. "Quand je regarde le texte de ses chansons, je trouve qu'on est assez loin de la représentation de notre pays. Par exemple avec 'catchaca', cette ode à la levrette...", déplore-t-il sur France 2, le 14 mars. Ecorchant au passage l'expression "en catchana" utilisée par la chanteuse dans son tube Djadja.

7 Le parquet de Paris ouvre une enquête

Le Pôle national de lutte contre la haine en ligne (PNLH) ouvre une enquête après la réception, mercredi, d'un signalement de la Licra "dénonçant des publications à caractère raciste au préjudice d'Aya Nakamura", annonce, le 15 mars, le parquet, sollicité par l'AFP.

"Par l'expression méprisante et injurieuse 'Ici, c'est Paris, pas le marché de Bamako !', Aya Nakamura est assignée malgré elle à ses origines, développe la Licra dans un communiqué. Ces propos humiliants visent à dénier l'appartenance d'Aya Nakamura à la communauté nationale, laissant entendre qu'elle ne serait pas digne de représenter la France dans un événement aussi prestigieux que la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques 2024 en raison de ses origines et de sa couleur de peau."

SOS Racisme annonce également, le 15 mars, sur X, saisir à son tour la justice, dénonçant des "vagues de haine raciste contre Aya Nakamura". 

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