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Pourquoi le scandale Weinstein a enfin pu être révélé

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Harvey Weinstein, pendant le Tribeca Film Festival, à New York, le 18 avril 2015. (ILYA S. SAVENOK / GETTY IMAGES NORTH AMERICA /AFP)

Il a fallu plus de trente ans pour que des victimes trouvent le courage de s'exprimer. Il a aussi fallu des circonstances plus propices à libérer leur parole.

Pourquoi maintenant ? C'est l'une des nombreuses questions qui se posent, à la lecture des témoignages accablants contre Harvey Weinstein, accusé de harcèlement, d'agressions sexuelles et de viols. Après trois décennies de silence parfois coupable, le verrou a fini par sauter. La honte des unes et la complicité des autres ont laissé la place à une liste de témoignages qui n'en finit pas de s'allonger et pourrait se poursuivre "dans les semaines à venir", selon Megan Twohey, coauteure de l'enquête explosive du New York Times (en anglais)

Franceinfo a tenté de comprendre ce qui a permis aux nombreuses victimes de finalement prendre la parole.

Des précédents ont ouvert la voie

"Il est possible que ces femmes m'aient parlé parce qu'elles se sont senties plus prêtes à partager leurs expériences, car le monde a changé en ce qui concerne les questions de sexe et de pouvoir", écrit Ronan Farrow, qui a contribué à révéler l'enquête, dans le The New Yorker (en anglais). L'affaire Weinstein s'écrit en effet à la lumière d'autres affaires récentes de violences contre les femmes : le procès de Bill Cosby, les affaires Bill O''Reilly et Roger Ailes chez Fox News. Elle fait également écho au cas du président Donald Trump, accusé d'agressions sexuelles"Beaucoup d'entre nous pensaient et espéraient que cela finirait par sortir", explique un ancien cadre de la Weinstein Company à Ronan Farrow. "Je crois que c'est maintenant le bon moment, dans le climat actuel, pour la vérité", poursuit-il.

Le procès de l'acteur Bill Cosby a eu au moins pour conséquence concrète d'inciter la Californie à supprimer la prescription dans les affaires de viol"Seuls deux violeurs sur cent sont condamnés et envoyés en prison. Les autres 98% ne sont jamais punis pour leurs crimes", avait à l'époque souligné Connie Leyva, la sénatrice démocrate à l'origine du texte, se félicitant d'une avancée légale considérable pour les victimes de viol.

Le monde n'a pas totalement changé pour autant. Il se trouve toujours des voix pour reprocher aux victimes leur long silence, les rendre responsables de leur situation, défendre les agresseurs et dénoncer des "ragots". C'est le "victim-blaming", qui s'inscrit dans la culture du viol. Mais désormais, il existe aussi, en face, une solidarité nouvelle parmi les femmes (et les hommes), qui se soutiennent, sur les réseaux sociaux et dans la vie, et qui s'engagent de plus en plus frontalement contre le sexisme et le racisme à Hollywood. "Ces femmes m'ont dit qu'elles parlaient parce que rester silencieuses mettrait sûrement en danger les femmes qui arriveraient après elles", explique encore Ronan Farrow à ABC News. Et des jeunes actrices et réalisatrices comme Brie Larson (Room), Lena Dunham (Girls), Jennifer Lawrence (Hunger Games), ont très vite apporté leur soutien aux "courageuses survivantes", sans questionner leur récit.

Le sexisme est devenu un sujet journalistique

"A l'époque, je n'ai même pas envisagé d'en faire un article. Je n'écrivais pas sur le féminisme ; il n'y avait pas vraiment de journalisme à ce sujet", écrit Rebecca Traister sur le site The Cut, du New York Magazine. Elle aussi avait entendu les rumeurs qui couraient sur Harvey Weinstein, mais à ce moment-là, les journalistes d'Hollywood ne parlaient que de cinéma, explique-t-elle.

Et de la même façon que de nouvelles actrices, plus engagées, ont émergé, une génération de journalistes plus sensibles aux questions de discrimination a vu le jour et a contribué à faire des discriminations sexistes et des violences faites aux femmes un véritable sujet traité par les médias. "Quelque chose a changé, le fait que nous en ayons fait un sujet de conversation a aidé celles à qui il semblait impossible pendant si longtemps de raconter leurs histoires, à sentir que s'exprimer était désormais à leur portée", explique encore Rebecca Traister.

"Le courage est contagieux"

C'est un effet domino, qu'explique très simplement Gretchen Carlson, ancienne présentatrice de Fox News, qui accusait Roger Ailes de l'avoir licenciée pour avoir refusé des avances sexuelles. "Quand une femme décide de dire enfin 'Ça suffit', son courage est contagieux", explique-t-elle à l'agence Associated Press (en anglais). La journaliste Janice Min, qui a travaillé pendant sept ans pour le Hollywood Reporter, a longtemps essayé de publier, en vain, des éléments sur l'affaire Weinstein. Pour elle, les femmes qui accusent Harvey Weinstein, comme celles qui ont dénoncé Bill Cosby, ont trouvé "la sécurité dans le nombre". "L'histoire d'une femme en entraîne une autre, cela change la culture du silence", explique-t-elle à AP.

L'avocate Gloria Allred, qui a représenté de nombreuses victimes de harcèlement sexuel pendant plus de quarante ans, dont des accusatrices de Bill Cosby, le confirme : "Nombre de femmes ne veulent plus souffrir en silenceElles ont atteint un point de bascule. L'une parle, puis deux, et cela encourage les autres, qui se sentent plus en sécurité", car moins seules.

Katherine Kendall, l'une des actrices qui accusent Harvey Weinstein, décrit dans le podcast du New York Times, "The Daily", la solidarité qui, selon elle, lie désormais les victimes de Harvey Weinstein, qu'elles se connaissent ou non. "J'ai l'impression de tenir par la main, en silence, les autres femmes qui ont traversé cela, et il y a une grande force qui se dégage de cela".

Harvey Weinstein était déjà sur le déclin

Si l'affaire a pris cette dimension, c'est aussi parce que le magnat Harvey Weinstein est très vite tombé en disgrâce. Le déroulé des révélations semble confirmer cette piste. Nombre d'accusatrices, comme Gwyneth Paltrow ou Angelina Jolie, ne se sont pas exprimées avant que la Weinstein Company ne se débarrasse de cet encombrant patron. Comment a-t-il pu chuter aussi rapidement ? Sa déchéance a débuté il y a quelques années.

Sur The Cut, la journaliste Rebecca Traister raconte les dernières fois où elle a aperçu le producteur. "J'ai été frappée par son déclin physique, se souvient-elle. Il semblait petit et fragile, et une autre fois il m'a même semblé qu'il marchait avec une canne". Mais ce possible affaiblissement physique s'est surtout accompagné d'une perte de pouvoir à Hollywood. "Il n'est plus le titan du film indépendant, le magnat qui peut briser les chances d'Oscar d'un acteur", poursuit la journaliste. 

"En réalité, le nœud se resserre depuis des années autour du cou de Harvey Weinstein", explique Variety (en anglais). Le magazine évoque une "mentalité de bunker" dans la société, tandis que "les problèmes d'argent s'aggravaient". Variety souligne les récents flops de films comme A vif ! ou Gold, l'incapacité de la société de production à prendre le virage des séries télé, "les départs de cadres haut placés jamais remplacés". Harvey Weinstein et sa société avaient perdu leur flair, "leur force de frappe dans les festivals", tandis que de nouvelles sociétés, "plus respectueuses des auteurs", émergeaient, et que Amazon et Netflix commençaient à s'imposer à Hollywood.

Dans sa chute, Harvey Weinstein risque d'entraîner un peu plus bas encore la Weinstein Company, dont le nom entaché par les accusations de violences contre les femmes, ne pourra plus, pour longtemps, être autant loué par les académies des Oscars et des Golden Globes.

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