Procès d'Harvey Weinstein : à quoi ressemble la vie de l'ancien producteur depuis les révélations d'octobre 2017 ?
Près de 100 femmes ont accusé ce géant du cinéma américain de harcèlement, d'agressions sexuelles et de viols. Son procès a débuté à Manhattan, lundi.
Le cliché pris à la dérobée pourrait être sans intérêt. Carrure imposante et crâne dégarni, voûté dans un large sweat-shirt gris, un homme mange une glace, seul, à la table d'un hôtel du New Jersey (Etats-Unis). L'image a pourtant fait la une du site américain TMZ*, spécialisé dans l'actualité des célébrités, lundi 30 décembre. L'homme de la photo n'est autre qu'Harvey Weinstein, ancien seigneur d'Hollywood. Le producteur que certains surnommaient "Dieu". Un géant déchu depuis que près de 100 femmes l'ont accusé de violences sexuelles, lançant un mouvement historique de libération de la parole : #MeToo.
Une semaine avant l'ouverture de son procès pour viols et agressions sexuelles, lundi 6 janvier à Manhattan, le cofondateur des studios Miramax se trouvait au sud de New York pour "se reposer et se relaxer". Qu'a fait l'ancien titan du cinéma de ces deux dernières années, depuis les enquêtes accablantes du New York Times* et du New Yorker* et la pluie de témoignages le visant ?
Rejeté par Hollywood
Quelques jours ont suffi pour anéantir la toute-puissance d'Harvey Weinstein, début octobre 2017. Le producteur, accusé d'avoir violé, harcelé, agressé sexuellement et acheté le silence de plusieurs dizaines de femmes, est banni de sa propre société, The Weinstein Company. L'entreprise, cofondée avec son frère Bob en 2005, l'informe de son licenciement par e-mail, dimanche 8 octobre. Les explosives enquêtes journalistiques déclenchent des enquêtes policières, à New York et à Londres, puis à Los Angeles.
C'est ensuite tout le milieu du cinéma qui rejette sans appel l'un de ses plus grands magnats. L'Académie du cinéma britannique (Bafta) le suspend "avec effet immédiat" le 11 octobre, qualifiant d'"inacceptables" les faits qui lui sont reprochés. Un comportement "impardonnable", "qui ne peut susciter qu'une condamnation nette et sans appel", réagit aussi le Festival de Cannes. Trois jours plus tard, la prestigieuse Académie des Oscars vote "bien au-delà de la majorité requise des deux tiers" l'exclusion du producteur aux 303 nominations et 75 statuettes. Le réputé syndicat américain des producteurs (PGA) lance une procédure similaire, la semaine suivante.
Nous prenons nos distances avec quelqu'un qui ne mérite pas le respect de ses collègues.
L'Académie des Oscarsdans un communiqué, le 14 octobre 2017
Lâché par ses pairs, Harvey Weinstein l'est aussi par sa femme. Georgina Chapman le quitte, le 10 octobre, tandis que les accusations à son encontre se multiplient. "J'ai besoin d'aide, les gars", lance-t-il deux jours plus tard à une poignée de paparazzis postés devant la maison de sa fille, avant d'entrer dans un monospace noir.
Traité pour dépendance sexuelle
Le producteur part se cacher dans l'Arizona voisin, où il entame une cure de désintoxication pour dépendance sexuelle. En Arizona, Harvey Weinstein maintient son niveau de vie. Après un passage dans un hôtel de luxe de la ville de Scottsdale, où le tarif minimum approche les 500 dollars la nuit, il s'installe dans une résidence haut de gamme à proximité, d'après le Los Angeles Times*. Le producteur y occupe avec son "coach de sobriété" un appartement meublé de presque 160 m2, décrit le New York Times*. Il poursuit aussi sa cure de désintoxication à 58 000 dollars (51 982 euros) au centre Gentle Path at the Meadows, dans la ville rurale de Wickenburg, à une heure de route.
D'après plusieurs témoins rencontrés par le New York Times, Harvey Weinstein ne suit ce traitement que partiellement. A Scottsdale, certains habitants le croisent parfois. "Mon mari et moi avions divorcé, j'emmenais donc mes fils voir un psychologue", raconte à franceinfo une habitante de cette banlieue de Phoenix. Un soir de février 2018, "qui vois-je sortir d'une séance avec le psychologue ? Harvey Weinstein". Sa présence en public, même rare, heurte certains locaux. Sa liberté aussi, après tant d'accusations de violences sexuelles. En janvier 2018, alors qu'il quitte le restaurant d'un hôtel de Scottsdale, un client éméché le gifle à deux reprises, rapporte TMZ*. "Tu es une vraie merde d'avoir fait ça à ces femmes", lui crache l'inconnu.
Rattrapé par la justice new-yorkaise
Loin d'Hollywood, reclus au milieu de terres arides, Harvey Weinstein sait bien qu'il sera bientôt confronté aux enquêtes le visant. Chaque matin à Scottsdale, le sexagénaire "fait un point avec ses avocats de la côte est" des Etats-Unis. Pour sa défense, il s'est offert, dès novembre 2017, celui qui a la réputation d'être le "meilleur avocat de New York", Benjamin Brafman. Celui qui avait défendu Dominique Strauss-Kahn dans l'affaire du Sofitel de New York, en 2011.
En ce début d'année 2018, les enquêtes judiciaires à l'encontre du producteur se poursuivent. Sa société, la Weinstein Company, annonce qu'elle va se déclarer en faillite, après l'échec d'une proposition de rachat. Elle dépose le bilan le 20 mars (mais sera rachetée plus tard) et annule les accords de confidentialité empêchant certaines victimes de parler. Une étape qui "permettra à des voix qui ont été trop longtemps bâillonnées de pouvoir enfin être entendues", se réjouit le procureur général de l'Etat de New York d'alors, Eric Schneiderman. Ce dernier s'était opposé à une reprise de la Weinstein Company, en raison d'un manque de mesures de réparation pour les victimes du producteur.
Pendant que la justice poursuit son travail, Harvey Weinstein prend ses dispositions financières. Entre octobre 2017 et avril 2018, le millionnaire vend cinq propriétés, pour un montant de 51,6 millions de dollars (46,2 millions d'euros), rapporte le Hollywood Reporter*. De quoi financer ses dépenses judiciaires qui s'élèvent à 500 000 dollars, voire un million de dollars (896 250 euros) par mois, d'après les informations du Los Angeles Times.
Le 25 mai 2018 marque un tournant, tant pour lui que pour ses victimes déclarées. Vers 7h30 ce matin-là, Harvey Weinstein, vêtu d'un pull bleu ciel et d'une veste bleu marine, entre dans un commissariat de police du sud de Manhattan. Deux heures plus tard, l'ancien maître d'Hollywood se présente menotté à la cour criminelle de New York pour apprendre qu'il est inculpé (l'équivalent d'une mise en examen en France) pour viol et fellation forcée (un chef d'accusation depuis annulé), commis sur deux femmes en 2013 et 2004. Il sera inculpé pour une nouvelle agression sexuelle, début juillet.
Ce prévenu a usé de son argent, de son pouvoir et de sa position pour attirer des jeunes femmes dans des situations où il était capable d'abuser sexuellement d'elles.
Joan Illuzzi-Orbon, procureurelors de l'inculpation d'Harvey Weinstein, le 25 mai 2018
Harvey Weinstein plaide non-coupable. Dans l'attente de son procès, il bénéficie d'une libération sous caution immédiate, grâce au paiement d'un million de dollars – en espèces. Seules conditions : porter un bracelet électronique et remettre son passeport à la justice. Harvey Weinstein s'engage à rester à une distance raisonnable de Manhattan, entre les Etats de New York et du Connecticut. L'inculpé peut encore résider quelques mois dans sa propriété vendue de Westport, relève le site Westport Now*. "Depuis mai 2018, M. Weinstein vit une vie calme, assure à franceinfo son porte-parole Juda Engelmayer. Quand il n'est pas avec sa famille et ses proches, il travaille avec ses avocats et son équipe de communication sur son dossier judiciaire". "Il n'a travaillé sur aucun projet de film au cours des deux dernières années", ajoute-t-il, démentant ainsi des propos tenus par Benjamin Brafman.
Conspué lors de rares sorties publiques
Harvey Weinstein est "à peu près tous les jours" en contact avec son nouveau duo d'avocats, Donna Rotunno et Damon Cheronis, précise le porte-parole. Le procès qui approche et les femmes qui l'accusent deviennent, selon les mots d'un ami à CNN*, une "obsession". "Il a le sentiment qu'Hollywood lui doit des excuses", confie à la chaîne un proche, évoquant le déni de l'ancien producteur. Cet ami l'entend régulièrement faire le récit de sa carrière et de ses campagnes de financement. A New York, Harvey Weinstein poursuit sa thérapie "pour être plus conscient de ses actions, être plus reconnaissant et présent pour ses proches", nuance Juda Engelmayer.
Une partie de lui pense qu'il va s'en sortir et qu'il sera de nouveau bienvenu dans son ancienne vie.
un proche d'Harvey Weinsteinà CNN
Dans le Manhattan où il avait tant d'influence, Harvey Weinstein refait quelque peu surface. A deux reprises en moins d'un mois, il se rend à l'Actor's Hour, scène ouverte d'un bar de l'East Village. Sa présence est, sans surprise, remarquée et décriée par certains sur scène. Pas par tous. "Un comédien l'a confronté, disant sur scène qu'il était un violeur", se remémore Christopher Moore, présent lors de la prestation du 30 septembre. "Personne d'autre ne l'a confronté directement lors de l'événement", ajoute le jeune homme.
Harvey Weinstein l'a regardé et n'a pas réagi. Après que le comédien l'a confronté, l'un des organisateurs est venu sur scène et a reproché à l'humoriste d'avoir attaqué un membre du public. Ils voulaient que tous se sentent bienvenus à l'"Actor's Hour".
Christopher Mooreà franceinfo
D'après ce témoin, le producteur était accompagné de quatre amis, dont deux femmes se produisant ce soir-là. "Plusieurs personnes présentes sont allées le voir à sa table pour réseauter. Les autres se plaignaient de sa présence", explique Christopher Moore. La scène se répète le 23 octobre. Ce soir-là, Kelly Bachman décide à son tour de confronter le paria d'Hollywood. "Je ne savais pas que l'on devait apporter nos sprays au poivre et nos sifflets anti-viol ici", lance sur scène la comédienne Kelly Bachman, face à Harvey Weinstein. Elle entend des "Ta gueule" dans l'assistance.
Deux comédiennes, Zoe Stuckless et Amber Rollo, défient ensuite le producteur à sa table. "Personne ne va rien dire ? Je suis à un mètre d'un putain de violeur, et personne ne dit rien ?", s'exclame Zoe Stuckless, choquée par le manque d'indignation de la salle. Elles sont toutes les deux expulsées du bar pour ces propos, rapporte BuzzFeed*. Harvey Weinstein, impassible, ne bouge pas.
Hey all, I know I'm late to the conversation here. I don't usually use twitter but it seems like that's where a lot of this conversation is happening. Last night I confronted Harvey Weinstein in a bar along with a number of other artists. Heres the thread (1/?) #HarveyWeinstein pic.twitter.com/L8Oee5hAO7
— Zoe Stuckless (@revoltchild) October 25, 2019
Au fil de l'automne, le sexagénaire est repéré dans l'un de ses lieux de prédilection, le restaurant italien Cipriani, dans le quartier de Greenwich Village. Il reste discret, parfois trop, aux yeux des autorités. D'après la procureure Joan Illuzi-Orbon, le bracelet électronique d'Harvey Weinstein s'est arrêté au moins 57 fois entre octobre et décembre. "Il ne s'agissait pas de problèmes techniques, assure-t-elle. Monsieur Weinstein ne voulait pas que l'on sache où il se trouvait". En conséquence, le 11 décembre, la caution assurant sa liberté est relevée à deux millions de dollars (1 792 381 euros), souligne le New York Times*.
"Pas oublié" par ses victimes déclarées
Quelques jours plus tard, Harvey Weinstein tente un retour médiatique. L'ancien baron pose, affaibli et hirsute, avec un déambulateur, dans une chambre de l'hôpital presbytérien de New York, pour le photographe du New York Post*. Il dit se remettre d'une opération, après une blessure au dos causée par un accident de voiture pendant l'été. Refusant d'évoquer les accusations contre lui, le producteur dit se sentir "comme oublié". "J'ai fait plus de films dirigés par des femmes et au sujet des femmes que n'importe quel autre cinéaste, se vante-t-il. J'étais le premier, le pionnier !"
L'opération de communication fonctionne. Ses propos, rares depuis #MeToo, sont repris par de nombreux médias. Des doutes émergent toutefois sur cette image d'homme diminué. Comme le révèle Inside Edition*, un rapport de police sur son accident de voiture ne fait état d'aucun blessé.
Face à cette tentative de réhabilitation, 23 femmes réagissent dans un communiqué commun, diffusé par le mouvement Time's Up. Toutes affirment avoir été harcelées, agressées sexuellement ou violées par le producteur. "Il dit dans un entretien qu'il ne veut pas être oublié. Eh bien, il ne le sera pas, écrivent-elles. On se souviendra de lui comme d'un prédateur sexuel, un agresseur impénitent qui a tout pris, et qui ne mérite rien." Un homme "intouchable", jusqu'à ces dizaines de témoignages, qui risque désormais la prison à vie.
*Les liens suivis d'un astérisque sont en anglais.
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