Cinéma : le cauchemar de l'usine à rêves en 2020
Mal commencée, mal finie, cette année cinéma marquera à tout jamais le 7e art avec ses salles fermées, ses tournages interrompus, toute une profession au chômage partiel… Voici un bilan de l’année de tous les changements, et de tous les dangers.
L’usine à rêves a cauchemardé en 2020, avec une perte de 69,4% d’entrées par rapport à 2019. Fermeture des salles le 15 mars avec le premier confinement, arrêt des tournages, explosion du streaming, création de systèmes d’aides… Le cinéma n’a jamais connu une telle crise, que cela soit après le crash de 1929 ou durant l’Occupation. A ces époques, les salles étaient pleines des deux côtés de l’Atlantique.
Toute la profession s’inquiète, y compris de la pérennité des salles de cinéma menacées par les habitudes prises d’abonnement aux plateformes de streaming : Netflix, Disney+, La Cinétek et autres. Comment en est-on arrivé là ? Retour sur une année de tous les dangers pour le cinéma, spectacle populaire et collectif entre tous.
Des salles de cinéma fermées deux fois
"L'année 2020 est marquée par la pandémie mondiale de Covid-19, qui a conduit à la fermeture des salles de cinéma à deux reprises pendant 162 jours au total. Sur l'ensemble de l'année 2020, la fréquentation atteint 30% de celle observée en 2019", souligne le CNC dans son rapport annuel publié mercredi 30 décembre.
Dans un premier temps, toutes les salles de spectacles ont été fermées, donc les cinémas, du 15 mars au 22 juin. Avec le déconfinement, la réouverture des salles a vu une fréquentation timide, mais qui s’est accélérée dans les dernières semaines. De 3,2 millions de spectateurs par semaine, on est passé à un million. Mais Au revoir les cons d’Albert Dupontel engrange sur une seule semaine d’exploitation plus de 600 000 entrées, un record, et ADN de Maïvenn est prometteur sur seulement deux jours d’exploitation. Le public est de retour. Mais Badaboum : le deuxième confinement de novembre entraîne une deuxième fermeture des cinémas.
On nous renvoie désormais au 7 janvier pour envisager ou non une réouverture des salles. Vu le taux non atteint des 5000 contaminations par jour (il est de 15 000 en moyenne et jusqu'à 26 000) pour rouvrir, personne n’ose l'envisager. Même le 20 janvier (date prévue pour la réouverture des bars et restaurants) est peu probable.
L’explosion du streaming
En ces temps de privation des salles de cinéma, les plateformes de streaming explosent leurs chiffres d’affaires et leurs nombres d'abonnés. Le public confiné veut du ciné… chez soi. Comme pour la musique, où les artistes multiplient les prestations à domicile (l’extraordinaire initiative de Lady Gaga One World : Together at Home réunit 119 000 Français et 15 millions d’Etats-Uniens).
Concernant les consommateurs de films en streaming, on en comptait 729,8 millions au troisième trimestre 2020, contre 552,1 millions un an plus tôt (chiffres Strategy Analytics TV and Strategies, cités par Le Film Français). Entre Netflix, Amazon et Googles, c’est Disney+ qui se taille la part du lion. Lancée en novembre 2019, la plateforme atteignait 86,2 millions d’abonnés dans le monde au 2 décembre, rien que pour les États-Unis et l'Europe de l’Ouest.
Le succès n’est pas seulement américain. En France, Filmo TV, UniversCiné, La Cinétek ont communiqué des chiffres exponentiels, comme toutes les plateformes en Europe. Tant et si bien que distributeurs et exploitants de salles s’interrogent sur l’assiduité des spectateurs en salles, compte tenu les "mauvaises" habitudes prises. Gageons que le cinéma restera la sortie préférée des Français, avec le restaurant (l’un n’empêchant pas l’autre, au contraire), en accord avec l’invention du cinématographe conçu comme un spectacle collectif par les frères Lumière il y a tout juste 125 ans.
"Malgré tout, on ne s'en sort pas si mal, les Français restant attachés à aller au cinéma. Cela demeure la sortie culturelle la plus répandue, en couple, en famille, entre amis. Une expérience différente de la consommation individuelle chez soi", relève Benoît Danard, directeur des études au CNC. "Au moment où il n'y a jamais eu autant d'offres sur les plateformes, les Français sont revenus en masse fin octobre pendant la semaine de la Toussaint, où trois millions d'entrées ont été enregistrées, en raison d'une offre attractive", alors même que le couvre-feu concernait 75 % du parc des salles, dit-il.
Les festivals en berne
La fermeture des salles jusqu’au 22 juin a entraîné l’annulation du Festival de Cannes qui se déroule toujours à la mi-mai. Thierry Frémeaux, délégué général du Festival de Cannes, a réagi très vite avec le Président du Festival Pierre Lescure, en mettant en place un "label Cannes 2020" qui accompagnerait les films sélectionnés pour Cannes dans d’autres festivals à partir de septembre (Venise, Deauville, San-Sebastian, Toronto). Ces œuvres seraient également soutenues par le label lors de leur sortie en salles. Plusieurs en ont bénéficié : Josep, ADN, Antoinette dans les Cévènnes…
D’autres réalisateurs ont préféré attendre 2021 pour présenter leur film. Comme Paul Verhoeven avec Benedetta, interprété par Virgina Efira et Charlotte Rampling. Le réalisateur américain Spike Lee, prévu comme président du jury, et qui devait présenter deux films hors compétition, a reporté sa venue à l’année prochaine. Mais le 74e Festival aura-t-il lieu alors que les transports aériens restent limités et qu’on nous prédit une épidémie persistante jusqu’à l’été malgré l’arrivée des vaccins ?
Le premier marché du film au monde a toutefois été maintenu en virtuel en 2020. Les festivals autorisés, avec des restrictions sanitaires strictes, ont relayé le label Cannes 2020, tout comme les distributeurs pour soutenir les films cannois sélectionnés. Opération réussie, donc, mais sans cinémas ouverts, pas de visibilité, et donc pas de spectateurs. D'autres films 'labélisés" sont en attente de sortie, comme Le Discours, Ibrahim ou Slalom.
Hollywood exsangue stoppe les tournages
Hollywood a de nouveau mis à l'arrêt la plupart de ses tournages, au moins jusqu'à la mi-janvier, a annoncé le syndicat des acteurs jeudi 31 décembre, alors que les cas de Covid-19 continuent de battre des records à Los Angeles, devenu l'un des principaux foyers de la pandémie aux Etats-Unis.
Mais dès cet été, la haute saison aux Etats-Unis, les majors hollywoodiennes ont retardé toutes les sorties de leurs blockbusters. Le premier film impacté est le nouveau James Bond, Mourir peut attendre (titre prédestiné) dont la distribution a été repoussée trois fois. Il est désormais attendu le 31 mars sur les écrans français et le 2 avril partout dans le monde.
Le dernier Christopher Nolan, Tenet, est le seul blockbuster à être sorti en salles depuis mars, avec un flop mémorable pour Warner aux Etats-Unis faute de cinémas ouverts. Mais le film a bien marché en France avec 2,3 millions d'entrées. La déconvenue a poussé la major à revoir sa copie en raison de la fermeture de la plupart des salles aux États-Unis. Elle opte dorénavant pour la sortie de ses films sur sa plateforme de streaming, c'est le cas de Wonder Woman : 1984, ou Dune.
Disney avait pris les devants, en réservant l’adaptation avec acteurs de Mulan aux seuls abonnés de sa plateforme depuis le 30 novembre. Même chose pour Soul, le nouveau Pixar, seulement disponible en streaming depuis le 25 décembre. Universal est sur la même ligne, mais n’a encore rien annoncé. Toutefois, vu l'évolution de la pandémie sur le continent, les mêmes dispositifs devraient être de instaurés dans tous les grands studios américains.
Tournages en rond
Avec les mesures sanitaires mises en place, tous les tournages en Europe comme aux États-Unis sont suspendus. Seules les émissions en direct ont cours et de rares séries TV ont repris, mais ces dernières sont souvent arrêtées suite à la détection d’une contamination. Alors, autant rediffuser d’anciens épisodes… Toute la création est en stand-by, mais la créativité ne s’est pas évaporée pour autant.
Ainsi Fred Cavayé, adaptateur de Adieu Monsieur Haffmann, la pièce de Jean-Philippe Daguerre, obligé d’interrompre son tournage à Montmartre en mars dernier, nous confiait que les nouvelles conditions de tournage l’avaient obligé à revoir son scénario pour s’adapter au nombre réduit de figurants et à l’interdiction de contact entre les acteurs. "Parfois les difficultés sont créatrices" disait-il en pleine réécriture. Avec, selon lui, un résultat plus inventif que l’original.
On imagine aisément ce que 2020 va inspirer aux scénaristes et réalisateurs pour traiter de la période dans les prochaines années. Nous n’avons pas fini d’en entendre parler…
Help !
Devant la fermeture des salles et l’arrêt des tournages, des aides gouvernementales, notamment en France, ont été adoptées. Le CNC (Centre National de la Cinématographie) a ainsi obtenu une indemnisation d’une partie des sinistrés de la profession, à hauteur de 50 millions d’euros pour la production et les techniciens, suite au désistement des assureurs. Les mutuelles, solidaires, ont contribué pour la même somme. Un exemple qui a été repris dans nombre de pays, comme en Allemagne.
Mais le couvre-feu d’octobre et le deuxième confinement de novembre a amené de nouvelles contraintes. La ministre de la Culture Roselyne Bachelot a annoncé alors une rallonge de 35 millions d’aides qui s’ajoutent aux 7,5 milliards concédés au secteur culturel global, depuis le premier confinement, dont une partie ira bien entendu au cinéma.
On en est là. Mais la question majeure, après cette épreuve, reste la fidélité des spectateurs aux salles. Si le désir de fictions demeure en littérature, au cinéma, à la télévision, et dans le spectacle vivant, les confinements successifs ont poussé le public à en jouir à la maison. Une tendance déjà prise avant la pandémie, mais qui s'est accentuée. Cependant le sens de la communauté et du partage que procure la salle, de cinéma comme de théâtre et de concert, procure une expérience unique et irremplaçable. L’invention du cinéma vient de là, faisons tout pour qu’il perdure.
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