Comment l'actrice Adèle Haenel est devenue le chantre du #MeToo français

La comédienne est celle qui a osé dénoncer pour la première fois les violences sexuelles dans le cinéma français et qui a renoncé à sa carrière cinématographique afin de défendre les droits des victimes.
Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6min
L'actrice française Adèle Haenel à la 45e édition de la cérémonie des César du cinéma français, à la salle Pleyel, à Paris, le 28 février 2020. (BERTRAND GUAY / AFP)

"C'est la honte ! C'est la honte !", lance Adèle Haenel le 29 février 2020 en quittant la cérémonie des César pour protester contre l'attribution de la récompense dans la catégorie meilleure réalisation à Roman Polanski pour son film J'accuse. "Distinguer Polanski, c'est cracher au visage de toutes les victimes. Ça veut dire que violer les femmes n'est pas si grave", avait-elle déclaré quelques jours plus tôt dans un entretien au New York Times en 2020 en évoquant cette nomination aux César.

L'actrice Adèle Haenel a fissuré l'omerta dans le cinéma français, ouvrant la voie au mouvement #MeToo, en accusant publiquement d'agressions sexuelles le réalisateur Christophe Ruggia. Quitte à le payer de sa carrière.

Des années de silence

Les faits remontent au tournage du film Les Diables. L'actrice est alors une enfant de 11 ans, passionnée de théâtre, repérée lors d'un casting passé par hasard. C'est lors de la préparation et du tournage du film, sorti en 2002 et dans lequel elle interprète une adolescente autiste, qu'Adèle Haenel dit avoir été sous "l'emprise" de Christophe Ruggia et subi des agressions sexuelles entre 12 et 15 ans. Après cette expérience traumatisante, elle abandonnera le cinéma et poursuivra des études de commerce.

À l'instar de nombreuses victimes de violences sexuelles, elle s'est tue jusqu'à ses révélations à Mediapart en novembre 2019. Christophe Ruggia réfute toute violence, Adèle Haenel fait face et reçoit de nombreux soutiens, dont ceux des comédiennes Marion Cotillard et Julie Gayet. "Peu importe si cela nuit à ma carrière", dit-elle dans les colonnes du New York Times. "Je crois que j'ai fait quelque chose de bien pour le monde et pour mon intégrité."

Une situation "emblématique" à dénoncer

Les révélations d'Adèle Haenel interviennent alors qu'elle vit une belle séquence professionnelle. Elle est l'héroïne du dernier film de Céline Sciamma, Portrait de la jeune fille en feu (2019), une histoire d'amour entre deux femmes au XVIIIe siècle. Il vient de sortir en salles après avoir décroché le prix du scénario au dernier Festival de Cannes.

Le long-métrage est devenu une œuvre féministe de référence, pour sa façon de filmer le désir, débarrassé du "regard masculin". Et Adèle Haenel est nommée pour le César de la meilleure actrice, mais l'Académie a également sélectionné, dans de nombreuses catégories, le film J'accuse de Polanski, au grand dam des féministes. En novembre 2019, sur Mediapart, elle soulignait que "la situation de Polanski est malheureusement un cas emblématique".

En février 2020, cette 45e cérémonie des César aurait dû être une autre soirée mémorable pour la jeune femme qui avait renoué avec le cinéma en dépit du drame vécu à l'adolescence.

Six ans après Les Diables, Haenel est de nouveau devant la caméra. Elle est cette fois dirigée par une réalisatrice féministe, Céline Sciamma. Naissance des pieuvres (2007) signe sa renaissance à l'écran, dans la peau d'une ado qui découvre le désir.

Comédienne charismatique

Elle enchaîne les rôles au caractère affirmé, dont une prostituée dans L'Apollonide : Souvenirs de la maison close (2011) de Bertrand Bonello ou une militante d'Act Up dans 120 battements par minute (2012) de Robin Campillo. Romain Cailley, qui la dirige en jeune rebelle qui se prépare à l'apocalypse dans Les Combattants (2015), loue "une énergie, une présence, bref, un charisme".

Le rôle lui vaut son deuxième César, après celui obtenu en 2014 dans un second rôle pour Suzanne de Katell Quillévéré. À cette occasion, elle fait son coming out en remerciant sa compagne Céline Sciamma : "Parce que je l'aime". C'est d'ailleurs avec les yeux de l'amour que Sciamma la filme dans Portrait d'une jeune fille en feu.

En quittant avec fracas les César pour s'insurger contre le sacre de Roman Polanski, Adèle Haenel est devenue un symbole. L'autrice Virginie Despentes salue le lendemain "la guerrière", celle grâce à qui les femmes osent dire : "On se lève et on se casse !" Bientôt, c'est au 7e art que l'actrice tourne le dos.

Ses adieux paraissent dans Télérama en 2023, à quelques jours de l'ouverture du Festival de Cannes, le plus grand rendez-vous mondial du cinéma. Elle dénonce dans sa tribune "la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels et, plus généralement, la manière dont ce milieu collabore avec l'ordre mortifère écocide raciste du monde tel qu'il est".

Si elle est partie des plateaux de tournages, elle n'a pas pour autant renoncé à la comédie. Elle s'est tournée vers le théâtre aux côtés de Gisèle Vienne, metteuse en scène contemporaine. Et continue la lutte, à la gauche de la gauche, contre les violences sexuelles, le racisme et le capitalisme.

Cinq ans après les révélations de la comédienne et l'ouverture d'une enquête, l'affaire Adèle Haenel arrive au tribunal. À 35 ans, c'est une très jeune retraitée qui est attendue sur le banc des parties civiles face à Christophe Ruggia, 59 ans, dont le procès pour agressions sexuelles sur mineure démarre le lundi 9 décembre. Le cinéaste, qui conteste les accusations, et Adèle Haenel, partie civile au procès, viendront à l'audience devant le tribunal correctionnel, selon leurs avocats respectifs.

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