Festival de Cannes 2023 : le film de Justine Triet, Palme d'or, dans un palmarès qui récompense les favoris
Si la compétition du 76e Festival de Cannes a vu défiler des habitués, comme Hirokazu Kore-Eda, Ken Loach, Wes Anderson ou Wim Wenders, ces derniers n'ont pas donné le meilleur d'eux-mêmes. Ils ont ainsi permis à de nouveaux arrivants d'atteindre le haut des marches. La réalisatrice française Justine Triet a ainsi décroché la Palme d'or avec son beau film procès, Anatomie d'une chute, et Jonathan Glazer le Grand prix avec The Zone of Interest qui aborde la Shoah du côté des bourreaux nazis.
En décernant la Palme d'or à Justine Triet, le jury est allé dans le sens d'une plus grande représentation féminine au sein de la compétition de la sélection officielle, deux ans après l'avoir offerte à Julia Ducournau pour Titane. Il y avait en effet sept réalisatrices en lice sur vingt et un concurrents à la Palme, un record, même si une parité exacte reste à atteindre. Mais cette répartition hommes-femmes n'est-elle pas à l'image de celle qui règne au sein de la profession ?
Erreur de casting
Au-delà de la parité demeurent les œuvres. Si le film de Justine Triet était sur toutes les lèvres depuis sa projection, et était représentatif d'une très belle sélection française (dont trois films signés par des réalisatrices), il était fortement concurrencé par The Zone of Interest, donné favori par un grand nombre de festivaliers. Aussi n'y aurait-il pas une erreur de "casting" entre cette Palme française et le Grand prix remis au réalisateur américain ?
En effet, si Anatomie d'une chute est un très beau film, il relève d'un genre classique - le film procès -, prétexte à l'introspection d'un couple, alors que The Zone of Interest traite d'une façon inédite la Shoah, dont la puissance du traitement émane d'une mise en abyme de l'horreur nazie, extrêmement maîtrisée dans une mise en scène novatrice. Quoi qu'il en soit, la déception de Jonathan Glazer quand il est monté sur scène était visible, même si cette "deuxième" place est une belle récompense.
Trois prix inattendus et mérités
Les Prix du jury, du réalisateur et du scénario ont été respectivement attribués aux Feuilles mortes d'Aki Kaurismäki, à La Passion de Dodin Bouffant de Tran Anh Hùng et à Yuji Sakamoto, scénariste de Monster.
Le premier, qui correspond au coup de cœur du jury présidé par le réalisateur suédois Ruben Östlund, a récompensé le cinéaste finlandais, qui avait déjà remporté à Cannes le Grand Prix 2002 pour L'Homme sans passé. Les jurés ont salué la continuité et la cohérence d'Aki Kaurismäki dans ses sujets et ses mises en scène, dont la dominante sociale et la modestie inventive privilégient le mélodrame et le langage cinématographique de l'image sur les dialogues. Un lien avec les origines du cinéma muet, qui passe ici par un hommage explicite aux Lumières de la ville (1931) de Charlie Chaplin.
La Passion de Dodin Bouffant, lauréat du Prix du réalisateur, est une véritable surprise, tant les commentaires recueillis après sa projection étaient mitigés. Ce choix est des plus justifiés, tant Tran Anh Hùng, à la double nationalité franco-vietnamienne, fascine dans son filmage de la préparation, de la présentation et de la dégustation des plats, au cœur d'un film qui exalte la gastronomie française au XIXe siècle. Ses mouvements de caméra, lumières et compositions colorées traduisent une suavité qui n'a d'égal que la sensualité émanant du sujet, qui s'ouvre à la sexualité dans la passion d'un gastronome (Benoît Magimel) pour sa cuisinière (Juliette Binoche). Magnifique.
Enfin, le Prix du scénario, décerné au Japonais Yuji Sakamoto pour son script de Monster, honore le meilleur atout de ce film signé Hirokazu Kore-Eda. La construction éclatée en trois parties du film choisie par le réalisateur japonais n'était pas forcément la meilleure manière de mettre en images ce beau scénario consacré à l'amitié fusionnelle entre deux garçons de 11 ans. Racontée du point de vue d'un professeur, de la mère et d'un enfant, tout en références à Rashomon d'Akira Kurosawa (1950), l'histoire souffre de cette construction trop sophistiquée. Le scénario demeure, malgré ce traitement, d'une très belle sensibilité.
Deux magnifiques prix d'interprétation
Les prix d'interprétation masculine et féminine ont récompensé un acteur et une actrice qui se sont révélés des atouts majeurs à la qualité des œuvres qu'ils interprètent.
L'acteur japonais du film de Wim Wenders, Perfect Days, Koji Yakusho, qui joue un employé des toilettes de Tokyo, passionné de musique, de photo et d'arbres, traduit un amour pour la beauté dont l'émotion est palpable dans tous les plans. Taiseux et solitaire, il ne vit que pour ces instants contemplatifs et créatifs pratiqués tels des rituels. Rattrapé par son passé par l'arrivée inattendue d'une jeune nièce, il verse dans un torrent d'émotions quand il prend conscience des liens qu'il a choisi de rompre avec ses riches origines familiales, pour s'engager dans une vie modeste, mais habitée par un amour des arts chaque jour renouvelé. Sans Koji Yakusho, vu auparavant dans The Third Murder de Hirokazu Kore-Eda (2018) par exemple, Perfect Days n'atteindrait pas ses objectifs.
Le Festival a enfin distingué l'actrice turque Merve Dizdar, interprète du merveilleux film de Nuri Bilge Ceylan, Les Herbes sèches, autre sérieux prétendant à la Palme d'or. Elle y joue Nuray, une professeure d'anglais dans un collège, dont un collègue de retour d'Istanbul dans sa petite ville natale d'Anatolie tombe amoureux et qui, grâce à elle, va retrouver espoir, alors qu'elle est courtisée par son meilleur ami.
Handicapée, amputée d'une jambe dans la vie, Merve Dizdar dégage une vitalité et une sincérité à l'écran qui illuminent le film. Elle communique une palette d'émotions et une intelligence de propos dont Les Herbes sèches est parcouru de bout pour en faire un des plus beaux films de cette 76e édition aux nombreuses surprises. Une cuvée rassurante quant à la qualité d'un cinéma mondial exigeant et novateur, toujours à l'écoute du monde.
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