Netflix et le festival de Cannes : la polémique en six actes
Un haut responsable de Netflix appelle les festivals de cinéma au changement alors qu'une polémique a éclaté à Cannes sur le modèle de diffusion du géant de la vidéo en ligne. Franceinfo vous résume les enjeux du débat.
Netflix bouscule le festival de Cannes. Alors que la 70e édition s'est ouverte mercredi 17 mai, la plateforme américaine a obligé le festival à modifier son règlement. Netflix a deux films en compétition et une politique qui veut que ses films soient diffusés en ligne le même jour que leur sortie en salles. Mais la volonté du site de streaming se heurte à la règlementation française, voire à la conviction du président du jury. Franceinfo voux explique cette polémique.
Acte 1 : deux films de Netflix en compétition à Cannes, une règle empêche leur sortie en salles
The Meyerovitz Stories de Noah Baumbach et Okja de Bong Joon-Ho, sont sélectionnés parmi les 19 longs métrages qui brigueront la Palme d'or. Distribués par la plateforme aux 100 millions d'abonnés, les deux œuvres ne peuvent théoriquement pas bénéficier en France d'une sortie en salles et d'une diffusion en ligne concomitante, en raison d'une réglementation particulière. En France, un film ne peut être diffusé sur une plateforme de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) comme Netflix, Amazon ou Canalplay, que 36 mois après la sortie en salles.
Acte 2 : les exploitants de salle protestent
Après la révélation de la sélection cannoise, la Fédération nationale des cinémas français a appelé le 14 avril à "une clarification rapide" afin de s'assurer que ces deux œuvres "pourront sortir dans les salles de cinéma en respectant le cadre réglementaire en vigueur". Et la Fédération nationale des cinémas françaisa exprimé son inquiétude pour "l'exception culturelle" française incarnée par les règles favorisant la sortie en salle des films. "Netflix veut clairement la mort des salles", s'est emporté le distributeur et patron du Pacte, Jean Labadie.
Les exploitants de salles craignent que les films cannois ne sortent sans respecter la fameuse chronologie des médias. Cette réglementation "permet de donner à une oeuvre le temps d'exister et les moyens de se financer", estime le producteur Alain Rocca, également président d'UniversCiné, une plateforme de SVOD française. Et de rappeler que ce dispositif "régule les rapports de force entre producteurs, réalisateurs, distributeurs et spectateurs". Des négociations sont en cours avec le Centre national du cinéma pour affiner ce cadre, sans le remettre en cause.
Acte 3 : Netflix et le festival de Cannes échouent à trouver un accord
Netflix, fervent opposant du système français, l'accusait en 2015 de "favoriser le piratage". Mais face à la montée au créneau des exploitants français, Netflix a proposé une sortie des films cannois dans quelques salles de l'Hexagone, sans donner davantage de détails sur le dispositif envisagé. "Nous sommes convaincus que les cinéphiles français n'ont pas envie de voir ces films trois ans après le reste du monde", avait mis en avant la plateforme, mais aucun accord n'a finalement été trouvé avec le festival de Cannes.
Le 10 mai, le festival explique dans un communiqué avoir "a demandé en vain à Netflix d'accepter" que les deux films puissent sortir en salle et ne soient "pas uniquement" disponibles pour ses abonnés. Malgré l'absence d'accord, les deux films seront cependant maintenus en compétition, a précisé le festival. La présidente du Centre national du cinéma Frédérique Bredin a salué cette décision, "respectueuse pour les réalisateurs", tout en "déplorant profondément l'intransigeance de Netflix".
Acte 4 : le festival adapte ses règles
Après l'échec des négociations avec Netflix, le festival de Cannes annonce le 10 mai une modification de son réglement pour 2018, imposant une sortie en salle pour tout film en compétition. "Dorénavant, tout film qui souhaitera concourir en compétition à Cannes devra préalablement s'engager à être distribué dans les salles françaises", explique le communiqué du festival de Cannes.
Reed Hastings, le patron de Netflix, a réagi sur son compte Facebook en s'en prenant à "l'ordre établi [qui] serre les rangs contre nous". Il vise "les exploitants qui veulent nous empêcher d'être en compétition à Cannes".
"Plus que jamais, notre régulation apparaît dépassée", ont pour leur part réagi les cinéastes français de l'Association des auteurs, réalisateurs, producteurs (ARP). Dans un communiqué publié le 11 mai, l'ARP apelle les pouvoirs publics à revoir la réglementation sur la diffusion des films. "Après plusieurs années de concertation sans résultats, nous demanderons au prochain gouvernement de s'emparer rapidement de ce dossier politique", indique l'ARP, pour "l'intérêt général du secteur et la pérennité de son financement". Et les cinéastes de l'ARP rappellent leur attachement à la diffusion de leurs oeuvres en salles et apportent leur soutien aux deux cinéastes.
Acte 5 : Netflix appelle les festivals à "changer"
Lundi 15 mai, le directeur des contenus de Netflix en a remis une couche. Ted Sarandos a déclaré à Séoul que Cannes devrait se conformer à sa mission première qui est de "célébrer les arts" sans tenir compte des plateformes. "Historiquement, de nombreux films arrivent au festival de Cannes sans aucune distribution", a-t-il dit lors d'une conférence de presse organisée pour présenter Okja avant sa première sur la Croisette. Ce projet à 50 millions de dollars, avec Tilda Swinton, sera distribué dans les salles sud-coréennes, américaines et britanniques mais ne sera disponible que sur Netflix dans le reste du monde.
Aux yeux de Ted Sarandos, les festivals de cinéma seront contraints de s'adapter car de plus en plus de films sont disponibles ailleurs que dans les salles. "Les spectateurs changent, du coup la distribution change, du coup les festivals (...) vont vraisemblablement changer". A l'avenir, nombre de bon films pourraient "arriver [à Cannes) de manière différente", a-t-il dit.
Acte 6 : le président du jury met la pression sur Netflix
La première journée du grand rendez-vous du cinéma a été marquée par des déclarations du président du jury, Pedro Almodovar. "Ce serait un énorme paradoxe que la Palme d'or ou un autre prix décerné à un film ne puisse pas être vu en salles", a-t-il estimé, mettant ainsi la pression sur Netflix.
Pour Almodovar, Okja et The Meyerowitz Stories ne sauraient donc remporter aucun prix. A moins d'un rétropédalage de Netflix, qui a annoncé une sortie en salles en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, en même temps que sa diffusion mondiale sur sa plateforme aux 100 millions d'abonnés.
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