"On a fait de ce cinéma un bien commun" : La Clef a célébré son rachat en projetant des films engagés dès jeudi soir

Le cinéma indépendant du Quartier latin a été racheté par le collectif associatif "La Clef Revival". Pour célébrer l'événement, des séances sont programmées jusqu'à dimanche, avant une ouverture définitive prévue pour 2025; après travaux.
Article rédigé par Mehdi Magueur
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6min
Pour sa séance d'ouverture, La Clef a fait salle comble ce jeudi 27 juin. (MEHDI MAGUEUR)

"On a les clés de La Clef". Après plusieurs années de lutte, la formule sonne comme une victoire émue. Celle du collectif "La Clef Revival", devenu mercredi 19 juin l'unique propriétaire du cinéma indépendant situé au coeur du Ve arrondissement de Paris dans le Quartier latin. L'association avait été expulsée des lieux par la police en mars 2022, après les avoir occupés pendant presque trois ans à la suite de la fermeture du cinéma.

Pour célébrer le rachat du cinéma, la quarantaine de membres actifs a organisé au pied levé une ouverture exceptionnelle d'une durée de quatre jours. "Tout s'est fait à l'arrache", plaisante Mona, membre du collectif. Les projections ont débuté dès le jeudi 27 juin à 6 heures du matin, avec la diffusion de Cléo de 5 à 7, réalisé par Agnès Varda, en présence de sa fille, la créatrice Rosalie Varda. "C'est le film qui devait être diffusé lorsqu'on s'est fait expulser. C'était symbolique de tout recommencer avec sa diffusion", livre Mona.

Toutes les séances à prix libre

En début de soirée jeudi, la majorité des membres du collectif se sont présentés devant une salle comble pour la séance d'ouverture. "On voulait fêter cette victoire, pas seulement entre nous, mais aussi avec vous", s'exclame une membre au milieu de longues séquences d'applaudissements. Le cinéma doit sa renaissance au lancement d'une cagnotte participative et d'une levée de fonds, qui ont atteint quelque 2 millions d'euros. 

"On a fait de ce cinéma un bien commun", lance fièrement une autre membre sur scène. Le film surprise choisi pour inaugurer cette première des quatre soirées, Cien niños esparando un tren (titre original non traduit, signifiant "Cent enfants qui attendent un train"), donne immédiatement le ton. Le documentaire chilien de 55 minutes, réalisé en 1988 par Ignacio Aguëro, filme des ateliers de cinéma organisés par Alicia Vega, enseignante dans une banlieue pauvre de Santiago. De quoi ressortir de la salle renforcé par une conviction immuable : le cinéma, art universel, appartient à tout le monde. 

Le cinéma indépendant La Clef, dernier à exister sous une forme associative dans la capitale, se veut résolument engagé. Avec ces quatre jours d'ouverture exceptionnelle, le collectif espère livrer un avant-goût du visage qui sera affiché par le lieu culturel à sa réouverture définitive.

"Toutes les séances seront à prix libre, programmées collectivement avec différents cycles et des thématiques variées comme les mémoires queer, l'histoire des luttes, ou des films décoloniaux", expose Thomas, membre de La Clef Revival. 

Réouverture définitive en septembre 2025

C'est aussi cette proposition d'un cinéma alternatif et engagé qui a convaincu les donateurs. Parmi eux, Thibaut, 24 ans, n'avait jamais franchi ses portes auparavant. "J'ai découvert La Clef lorsqu'elle était fermée, via les appels de soutien sur les réseaux sociaux. J'ai participé à la cagnotte, à la recherche d'un lieu engagé. Je reviendrai, on s'y sent bien. À l'heure de l'argent roi, c'est une belle victoire cette réouverture", témoigne l'intermittent.

Parmi les mécènes, on retrouve quelques grands noms du cinéma, de Quentin Tarantino à Martin Scorsese. 

Pour sa séance d'ouverture, La Clef a fait salle comble ce jeudi 27 juin. (MEHDI MAGUEUR)

Pour l'heure, la cagnotte a été réactivée. Le cinéma doit encore faire peau neuve avant sa réouverture définitive au public, prévue pour septembre 2025. "Il y a encore des travaux à effectuer et des choses à remettre aux normes, notamment l'accessibilité aux personnes à mobilité réduite", détaille Mona.

Coût total de l'opération : 600 000 euros. "On espère que la mairie de Paris et le CNC vont pouvoir financer près de la moitié, mais il faut qu'on trouve les 300 000 euros restants, d'où la nécessité de la cagnotte", complète Thomas. 

"Lieu de résistance"

À terme, le collectif vise toutefois une indépendance économique complète. Autrement dit, l'objectif est de ne plus avoir à dépendre des subventions publiques. Un enjeu majeur au vu du contexte politique en France, avec la percée de l'extrême droite aux élections européennes, et des élections législatives incertaines à venir.

"On a discuté avec des réseaux de cinémas alternatifs en Europe, dont certains dans des pays où l'extrême droite est au pouvoir. Ils nous ont témoigné d'une hécatombe, car la plupart des structures n'étaient pas propriétaires de leurs bâtiments. Les pouvoirs publics peuvent alors diminuer ou couper les subventions, voire interdir l'ouverture des lieux". 

Le cinéma La Clef, dans le Ve arrondissement de Paris, a rouvert ses portes pour quatre jours le jeudi 27 juin (MEHDI MAGUEUR)

La Clef s'est ainsi protégée, en devenant propriétaire unique du bâtiment via un fonds de dotation. "C'est encourageant, ça montre aussi qu'il y a d'autres modèles pour gérer les lieux de culture, et que les luttes paient. C'est nécessaire que des ilôts à part comme celui-ci puissent exister", se réjouit Adèle, 23 ans, spectatrice qui a financé la cagnotte. "Notre projet a été construit de sorte à ce que La Clef devienne un lieu de résistance", confirme Thomas. 

La séance terminée, la soirée s'achève avec fierté et espoir. Jusqu'au dimanche 30 juin, jour de premier tour des élections législatives, plusieurs films autour des élections et des enjeux politiques sont programmés. Les festivités s'achèveront par un ciné-concert à 21h00. Avec, certainement un oeil attentif sur les résultats électoraux. 

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