On vous explique pourquoi Disney a menacé de ne pas sortir "Wakanda Forever" au cinéma
La suite de "Black Panther" a failli atterrir directement sur la plateforme Disney+. En cause : la chronologie des médias dans le viseur de certains studios.
Soulagement pour les salles de cinéma. Wakanda Forever, la suite de Black Panther, les aventures du superhéros noir de Marvel, sort dans les salles obscures françaises mercredi 9 novembre. Disney, qui produit le film, l'a confirmé lundi 17 octobre après avoir (longtemps) laissé planer le doute. Dans un premier temps, la société avait menacé de sortir ce blockbuster directement sur sa plateforme de streaming Disney+. Franceinfo vous explique pourquoi Wakanda Forever a été au centre d'une lutte à propos de la chronologie des médias entre les exploitants et la firme américaine, avec en toile de fond le contexte difficile pour les salles de cinéma.
Les pouvoirs publics ont clairement reconnu la nécessité de moderniser la #chronologieDesMedia & un calendrier précis a été arrêté pour en discuter, @WaltDisneyCo a donc décidé de confirmer la sortie au cinéma, de #BlackPantherWakandaForever @MarvelStudios le 9 novembre prochain. pic.twitter.com/eotTcTc01i
— Hélène Etzi (@HeleneEtzi) October 17, 2022
Quel est l'objectif de cette menace ?
En septembre, lors de l'assemblée générale du Syndicat français des théâtres cinématographiques, Disney avais émis la possibilité de sortir Wakanda Forever directement sur Disney+ en France. En préférant sa plateforme de streaming aux salles obscures, la firme aux grandes oreilles espérait ainsi doper ses abonnements avec un blockbuster, très attendu par les fans.
Le premier volet des aventures de Black Panther avait en effet attiré 3,8 millions de spectateurs en France et engrangé 1,3 milliard de dollars de recettes dans le monde. Mais l'objectif de Disney était aussi de contourner la chronologie des médias.
C'est quoi la chronologie des médias ?
La chronologie des médias est une réglementation française qui protège les salles, chaînes et diffuseurs qui financent la création, en régulant la sortie sur internet, dans le commerce ou à la télévision des films. Actuellement, lors de la sortie d'un film, les salles de cinéma ont une exclusivité de 4 mois, réduite à 3 mois si le film a enregistré moins de 100 000 entrées en 4 semaines. Ensuite, s'ouvre la fenêtre de la vidéo à la demande à l'acte (VOD) et de l'édition physique (DVD et Blu-ray).
Au bout de six mois, OCS et Canal+, partenaires financiers majeurs du cinéma en France, peuvent diffuser le film. Netflix, qui contribue aussi à la création française, est susceptible d'ajouter des longs-métrages à son catalogue 15 mois après leur sortie au cinéma. Disney et Amazon, eux, doivent attendre 17 mois. Enfin, en bout de chaîne, un film peut être retransmis sur les chaînes gratuites classiques (TF1, France 2, M6...) 22 mois après sa sortie en salle.
Que reproche Disney à ce système ?
La chronologie des médias a déjà été revue en janvier 2022 et a réduit de 36 à 17 mois le délai pour que Disney mette en ligne ses productions sur sa plateforme. Mais ni Disney ni Amazon n'ont signé cet accord. Et dix mois après, le géant hollywoodien fait déjà pression pour réviser ces règles. Dans son viseur : l'obligation de retirer ses films de la plateforme lorsqu'ils passent sur les chaînes gratuites, au bout de 22 mois. Ces chaînes ont alors une exclusivité de diffusion qui dure jusqu'à 36 mois après la sortie du film, rappelle LeBlogdumodérateur.
En comparaison, aux Etats-Unis, AMC, numéro un des cinémas, et les studios Universal ont signé en juillet 2020 un accord ramenant à 17 jours, le délai entre les sorties des films en salle et leurs sorties en DVD et vidéos à la demande. La Warner, elle, a signé en août 2021 avec AMC un accord réduisant l'exclusivité pour ces cinémas à 45 jours, avant la mise à disposition de ces films sur la plateforme de streaming HBO Max, rapporte Allociné.
Dans les négociations, ouvertes début octobre sous l'égide du Centre national de la cinématographie (CNC), la firme aux grandes oreilles dispose donc d'une arme redoutée : la menace de ne plus sortir certains films en salles, quitte à se priver des recettes afférentes.
"La chronologie des médias nous contraint à évaluer nos sorties en salle film par film."
Disney, en septembredans le magazine "Le Film français"
Une sortie sur Disney+ "aurait été un vrai handicap pour nos cinémas", avait déclaré la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak. "N'oublions pas que ces films américains financent le cinéma français" via la taxe sur les billets, avait-elle rappelé en octobre.
Pourquoi le sujet risque de revenir ?
Si la sortie dans les salles Wakanda Forever est une victoire pour les cinémas dans cette lutte qui les oppose à Disney, la firme n'a pas dit son dernier mot. La chronologie des médias "doit être complètement révisée", persiste la multinationale dans une déclaration transmise à l'AFP. Elle promet de contribuer "de manière constructive aux réflexions et débats afin de définir dès février 2023 un nouveau cadre équitable, flexible et incitatif à la sortie des films en salles de cinéma". Elle continue toutefois de menacer : "Dans l'intervalle, nous continuerons à décider au cas par cas de la stratégie de sortie de nos films."
Ainsi, si Avatar, la Voie de l'eau, la suite du carton Avatar, va bien sortir sur les écrans le 14 décembre, le traditionnel Disney de Noël, Avalonia, l'étrange voyage, sera lui disponible sur Disney+. Un mode de fonctionnement qui fait forcément grincer des dents dans le secteur. "Nous ne voulons pas que les plateformes fassent pression, comme Disney en ce moment, pour renégocier cette chronologie qui donne des couloirs d'exploitations justes, selon les obligations de chacun", assure la productrice Elisabeth Perez à franceinfo.
"Ce n'est pas en réduisant encore le temps entre la sortie en salle et la diffusion à la télévision et/ou sur les plateformes qu'on va faire revenir les gens dans les salles, bien au contraire."
Elisabeth Perez, productriceà franceinfo
Les négociations entre les différents acteurs s'annoncent donc compliquées. Et la position des pouvoirs publics va être scrutée de près. "Ces blockbusters, qui font venir beaucoup de monde dans nos cinémas, on en a besoin", a assuré la ministre Rima Abdul-Malak. Mais, selon elle, "la chronologie des médias ne peut pas être un bloc de marbre figé". Le lancement de discussions a toutefois permis, selon elle, "de rassurer Disney sur une volonté d'évolution" et de "faire cesser ce chantage sur la sortie de certains films en salles".
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