"Alaïa avant Alaïa" : à la découverte des origines du style du couturier, de Tunis à Paris
À travers des documents d’archives, des photographies et des dessins, l'exposition "Alaïa avant Alaïa" analyse les années d’apprentissage, depuis les débuts du couturier en herbe sur le point de quitter Tunis pour Paris dans les années 1950, jusqu’à l’éclosion du phénomène Alaïa à l’orée des années 1980.
Alaïa avant Alaïa est une exposition réalisée par la Fondation dont le couturier avait souhaité la création plusieurs années avant sa disparition en novembre 2017. À travers des documents d’archives, des photographies et des dessins - pour la majorité présentés pour la première fois - elle décortique les années d’apprentissage du futur couturier, des années 1950 à l’éclosion du phénomène Alaïa.
Sous la grande verrière de la Fondation - où Azzedine Alaïa convoquait la presse et les amis à ses défilés -, des robes nées de ces trois décennies fondatrices et des créations plus récentes se dévoilent. Là, au milieu d'une galerie de portraits de celles et ceux, qui convaincus du talent du jeune couturier, l’ont accompagné. Troublant.
De sa Tunisie natale à Paris
L'exposition Alaïa avant Alaïa trace le portrait d’un couturier aussi talentueux que pudique sur ses années de jeunesse durant lesquelles les femmes ont eu une importance capitale. Quand d’autres de sa génération fréquentaient écoles, ateliers ou studios des maisons de mode, Azzedine Alaïa, lui, perfectionnait sa technique au contact de femmes, tour à tour protectrices, soutiens et clientes privilégiées.
La scénographie est originale. A première vue en entrant dans la galerie, on ne voit point de robes pourtant elles sont bien présentes mais cachées. En effet, l'exposition prend la forme de grands panneaux chronologiques installés sur toute la longueur de la galerie. Avec images et textes, ils retracent la vie et les rencontres du couturier.
Au sein de ces tableaux sont aménagés des niches ouvertes sur une sélection de vêtements. Il suffit de passer la tête à l'intérieur de celles-ci pour les découvrir. Au milieu de la galerie, un escalier mène à la suite de l'exposition à l'étage où se tient une sélection de photographies en noir et blanc.
Un parcours jalonné de femmes qui ont compté
Au rez-de-chaussée, le point de départ de l'exposition est bien entendu sa Tunisie, natale, celle des années 1935 à 1955. Des images en noir et blanc de sa jeunesse en famille avec sa soeur, son frère, sa mère, sa tante, son grand-père... retracent des moments clefs.
Au fil de la lecture, l'on découvre que durant trois décennies, Azzedine Alaïa rencontre celles qui devaient lui rester fidèles tout au long de sa vie. Il y a sa soeur Hafida pour qui il réalise de menus travaux à l’école à Tunis, mais aussi l’amie de toujours Latifa Ben Abdallah et Madame Pinault, la sage-femme qui le conforte dans sa vocation de sculpteur puis de couturier avant de gagner Paris en 1956. L'ancien étudiant en sculpture aux Beaux-Arts de Tunis considérait le vêtement dans son volume : à l’image d’un sculpteur, il lui tournait autour, et créait le plus souvent à même le corps de ses modèles. "Je travaille sur un mannequin, c'est comme si je manipulais de la glaise. Je moule, le monte, je démonte, je couds, je découds", disait Azzedine Alaïa.
Il est rare et touchant qu'une exposition détaille autant les années de jeunesse d'un couturier. Celles d'Azzedine Alaïa sont ponctuées de rencontres : "J'habillais une femme, elle me recommandait à une autre. J'habillais les femmes de Picasso, Miro, Calder. C'était une chance", lit-on parmi les citations mentionnées, ici.
Sur les conseils d’une des figures de l’émancipation féminine tunisienne Habiba Menchari, il retrouve sa fille, Leïla, mannequin le jour chez Guy Laroche. D'autres comme Simone Zehrfuss, épouse du grand architecte, et la Comtesse Nicole de Blégiers émanciperont le goût du jeune Azzedine en l’ouvrant vers les arts de son temps.
En 1959, il rencontre le peintre Christoph von Weyhe avec qui il sillonne la capitale et ses musées.
Greta Garbo, Arletty, Louise de Vilmorin
Qu’importe s’il n’est resté que quelques jours dans les ateliers de Dior, sa formation, ce sont ces femmes qui dirigent la mode à Paris qui vont la lui faire découvrir. Greta Garbo lui suggère de grands manteaux d’hommes dans lesquels elle aime s’envelopper d’anonymat. Arletty lui voue une admiration inconditionnelle. Ses robes zippées lui sont tributaires de beaucoup. Le couturier dira que la robe à fermeture asymétrique que portait Arletty dans le film Hôtel du Nord inspira ce qui allait devenir sa signature.
Sa proximité avec la femme de lettres Louise de Vilmorin l’ouvre, quant à elle, aux cercles des artistes et à la mondanité. Il pourra compter aussi sur Bettina, l'amie de toujours et Carla Sozzani (aujourd'hui, présidente de la Fondation).
Aux commandes qui s’amoncellent rue de Bellechasse, Azzedine multiplie les expériences. Sur une invitation d'Alain Bernardin, il taille les costumes des filles du Crazy Horse, chez les grands fourreurs, il perfectionne sa technique des cuirs et des peaux. Une collection de cuirs rivetés sanglés est refusée chez Charles Jourdan mais lance l’éclosion du phénomène Alaïa. Le créateur Thierry Mugler avec lequel Azzedine entretient une relation amicale forte l’encourage. Prosper Assouline et Andrée Putman l’accompagnent.
Azzedine est désormais Alaïa mais l'homme n'a pas changé ni à sa manière de vivre, ni à sa philosophie : ses vêtements sont faits pour durer quel que soient les engouements et les modes.
Faire perdurer son oeuvre
Azzedine Alaïa, fils d'agriculteurs né en Tunisie, avait travaillé chez une couturière de quartier pour financer ses études aux Beaux-Arts avant de tenter sa chance à Paris à la fin des années 1950. Il s'est fait connaître dans les années 1980 en inventant le body, le caleçon noir moulant, la jupe zippée dans le dos, des modèles qui ont contribué à définir la silhouette féminine sexy et assurée d'alors. Il a ensuite travaillé à son rythme, loin des défilés et de la presse, grâce à un réseau de clientes fidèles.
Pendant cinquante ans, il a été un collectionneur passionné. En 2007, il a décidé de protéger son œuvre et sa collection d’art en fondant l’Association Azzedine Alaïa, conjointement avec son partenaire de vie le peintre Christoph von Weyhe, et son amie depuis plus de quarante ans, l’éditrice Carla Sozzani, afin que cette association devienne la Fondation Azzedine Alaïa.
Cette dernière abrite tous les trésors de la maison et de son créateur et expose son travail et les œuvres d’art de sa collection personnelle, à Paris, au 18 rue de la Verrerie, où il a vécu et travaillé, et à Sidi Bou Saïd, la ville qu’il a tant aimée. Ces lieux abritent des expositions régulières sur l’histoire de la mode et du design.
Exposition "Alaïa avant Alaïa" jusqu'au 31 décembre 2022 sous la direction d’Olivier Saillard. Association Azzedine Alaïa. 18, rue de la Verrerie. 75004 Paris. Tous les jours de 11h à 19h.
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