Cinq romans immanquables de la rentrée littéraire d'hiver 2024
Le premier roman du chanteur de Zebda, Magyd Cherfi, le dernier roman, posthume, de Russell Banks, une curiosité illustrée signée Nicolas Mathieu, un thriller familial de Vincent Almendros et le récit de Jean-Pierre Martin de son séjour en prison dans les années 1970. Voici cinq romans remarquables de la rentrée littéraire de janvier 2024.
"N'oublie rien" de Jean-Pierre Martin
N'oublie rien est le récit des 61 jours de détention de Jean-Pierre Martin en 1970, alors qu'il est âgé de 22 ans, à la maison d'arrêt de Saint-Nazaire. Incarcéré pour "apologie d'incendie volontaire", ce jeune intellectuel devenu ouvrier, militant d'extrême gauche, est accusé d'avoir distribué un tact justifiant l'attaque au cocktail Molotov de la direction des Chantiers de l'Atlantique.
Tout à la fois témoignage sur les conditions en détention, sur la solitude de l'enfermement et les moyens d'y échapper par la pensée, galerie de portraits de ceux qui peuplent la prison, des deux côtés des grilles, manifeste d'un homme dont la révolte gronde toujours, et portrait d'une époque, ce court livre est un trésor d'humanité, à l'instar de Mes fous, publié en 2020 aux éditions de L'Olivier.
("N'oublie rien" de Jean-Pierre Martin, L'Olivier, 192 pages, 18,50 euros).
"Sous la menace" de Vincent Almendros
Quentin passe le week-end avec sa mère et sa cousine Chloé chez ses grands-parents. L’adolescent vient de se faire renvoyer de son collège après avoir mis une raclée à l'un de ses camarades. Quentin, mal aimé sans qu'il sache pourquoi par sa mère, mal dans sa peau parce que son corps se transforme et qu'il sent germer en lui des pulsions qui le dépassent, a du mal à retenir sa colère au point qu'il se sent "devenir un monstre". Quels secrets les adultes lui cachent-ils sur son père ? Que sait sa cousine Chloé, et sans doute presque tout le monde dans sa famille, qu'il ne sait pas ?
L'auteur d'Un été et de Faire mouche (Éditions de Minuit, 2015 et 2018) confirme son art de distiller dans une écriture éthérée et précise le malaise et la tension produite par des secrets et des mensonges qui empoisonnent la vie.
("Sous la menace" de Vincent Almendros, Éditions de Minuit, 128 pages, 17 euros).
"La Vie de ma mère !" de Magyd Cherfi
Slimane, Kabyle de la deuxième génération, la cinquantaine, cuistot, père de deux ados, décide de renouer avec sa mère qu'il a délaissée depuis un bon moment. Il ne se doute pas de l'aventure qui l'attend, en compagnie d'une femme algérienne à l'émancipation tardive et pleine de surprises, dont le roman dresse un portrait à la fois touchant et hilarant.
Magyd Cherfi, chanteur et parolier du groupe Zebda, avait déjà publié quatre livres autobiographiques, dont Ma Part de Gaulois, en 2016, un livre dans lequel il racontait sa jeunesse et ses rêves et ses douleurs d'adolescent d'origine algérienne dans les quartiers nord de Toulouse. Avec La Vie de ma mère !, il se lance pour la première fois dans l'art du roman. Un nouvel exercice d'écriture qu'il explore dans une langue joyeuse, imagée, inventive, pour raconter avec délicatesse la relation d'un quinquagénaire en crise d'identité avec sa mère, et avec le reste de la fratrie. Avec ce beau portrait, il ouvre une fenêtre sur un monde et une communauté riche d'une langue, et d'une histoire transgénérationnelle à partager.
("La Vie de ma mère !" de Magyd Cherfi, Actes Sud, 272 pages, 21,50 euros).
"Le Ciel ouvert" de Nicolas Mathieu, dessins d'Aline Zalko
Pendant quelques mois, le temps d'une histoire d'amour clandestine, Nicolas Mathieu a publié des messages sur son compte Instagram. Des messages en apparence postés pour ses 11 000 followers, en réalité des adresses secrètes à la femme qu'il aime, mais qui "n'est pas libre". Un temps plus tard, alors que cette histoire est terminée, il décide de reprendre ces messages, avec d'autres, pour composer un livre.
Comme des points se rejoignant jusqu'à se toucher, ces textes, illustrés, dessinent une ligne, une trajectoire dans laquelle on peut lire tout à la fois les frémissements du quotidien, la succession des saisons, les soubresauts d'une histoire en marche, et aussi le temps qui passe. De cet assemblage de textes singuliers, de ces poèmes en prose trempés dans le réel, de ce "laboratoire de roman", aussi, surgit comme toujours chez Nicolas Mathieu une forme de vérité universelle qui, partant du cœur, nous "ouvre le ciel", et nous touche.
("Le Ciel ouvert" de Nicolas Mathieu, Actes Sud, 130 pages, 18,50 euros).
"Le Royaume enchanté" de Russell Banks
1971, Harley Mann, un vieux monsieur de 81 ans, confie à un magnétophone "Grunding TK46 flambant neuf", l'histoire de sa vie. Un écrivain, qui a retrouvé par hasard ces bobines abandonnées, se charge de les retranscrire. Dans ces bobines, le récit d'une vie hors du commun, commencée à la fin du XIXe siècle dans une communauté ruskinite socialiste utopiste à Waycross dans le sud du Montana. Une fois le père décédé, la famille Mann (la mère enceinte d'un dernier enfant, le frère jumeau de Harley et un autre garçon plus jeune) se réfugie à la Plantation Rosewell, en réalité une exploitation esclavagiste, avant d'atterrir à Saint-Cloud, près d'Orlando, en Floride, dans la communauté des "Shakers", une secte du protestantisme (c'est sur cette terre que sera implanté près de sept décennies plus tard le premier parc d'attractions Disney, le "Royaume enchanté" rêvé par Walt Disney).
Dans ce qu'ils perçoivent au premier abord comme un havre de paix, les membres de la famille, qui s'est agrandie avec la naissance d'une petite sœur, retrouvent une vie plus paisible et se plient aux règles strictes imposées par la communauté. Une secte qui sépare les membres des familles et impose notamment l'obligation d'abstinence. C'est dans cette communauté que Harley devient adulte, et qu'il rencontre l'amour de sa vie…
Ce roman est le dernier, posthume, de Russel Banks, disparu en janvier 2023. A travers l'épopée de ce personnage étrange, le grand romancier américain fait autant le portrait d'un homme que celui d'une Amérique versée dans un mysticisme gravé dans son ADN. Avec le récit de ce destin incroyable, et la vie de ces communautés qu'il déploie dans le regard d'un jeune homme plein d'amour et de fougue, le romancier fouille les tréfonds de l'humanité, et éclaire de sa plume méticuleuse l'Amérique d'aujourd'hui, en creusant dans les racines de son histoire. Ce grand roman testament du romancier américain est tout simplement passionnant.
("Le Royaume enchanté" de Russell Banks, traduit de l'anglais (États-Unis) par Pierre Furlan, Actes Sud, 384 pages, 23,50 euros).
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