Librairies indépendantes : tous ensemble contre Amazon ?
Dans sa librairie "Le Comptoir des Mots ", installée à deux pas de la place Gambetta dans le XXe arrondissement de Paris, Renny Aupetit mène un combat infatigable. Au milieu des milliers de livres qu'il propose à une clientèle d'habitués, il se bat pour exister dans un secteur qui a été bouleversé voilà 14 ans. Avec l'arrivée d'Amazon pour l'an 2000 en France, le réseau de la librairie française a trouvé un adversaire puissant, et protéiforme. Pour lui, le géant américain du commerce en ligne n'est ni plus ni moins qu'"un éléphant dans un magasin de porcelaine ", qui "débarque " avec des envies de faire exploser le monde du livre, ou en tout cas d'y imposer ses propres règles.
Pour lui, au-delà des méthodes contestées de l'entreprise - conditions de travail des salariés, questions de domiciliation fiscale... -, la présence d'Amazon oblige forcément à se poser des questions. Le client est invité à "ne pas faire n'importe quoi derrière son écran d'ordinateur ".
Une place pour tout le monde ?
La menace qui plane sur les librairies indépendantes est un sujet d'inquiétude récurrent. La mairie de Paris, la ville française qui compte le plus de librairies, s'en émeut même sur son site institutionnel, donnant la parole à des acteurs du secteur en n'hésitant pas à tirer à boulets rouges sur Amazon. "Mieux qu'Amazon, les librairies parisiennes ", claironne l'article qui figure en bonne place sur le site. De plus en plus de sites web, comme leslibraires.fr, ou celui du collectif Libr'Est, tentent eux aussi de défendre la librairie indépendante, et son intérêt dans un monde numérisé, où acheter son livre dans un magasin "physique" deviendrait presque un acte militant.
Pourtant, le mouvement de recul de la librairie par rapport au commerce en ligne a ralenti ces derniers mois. Malgré les exemples médiatiques de la disparition des librairies Chapitre, ou du réseau Virgin - qui ne sont pas, bien évidemment, à ranger au rayon des librairies indépendantes -, le réseau français reste solide. Et pour le président d'Amazon France Romain Voog, il y a même une place pour tout le monde, "une complémentarité d'offre sur Internet ". Pas de guerre, donc, mais un discours officiel qui plaide pour la diversité de l'offre culturelle en France.
Amazon Killer, pied de nez ultime
Un jeune homme de 22 ans a décidé de s'emparer de ce combat sociétal. Elliot Lepers, jeune entrepreneur, a mis en ligne en décembre dernier Amazon Killer. Cette extension web, sur le navigateur Google Chrome, propose automatiquement un second bouton, qui apparaît à côté d'un livre recherché sur Amazon. Au moment de l'achat, et après avoir profité de la recherche avancée et des listes de lecture proposées par le site aux millions de visiteurs, l'internaute peut cliquer sur ce bouton et être ainsi redirigé vers Place des Libraires, un moteur de recherche regroupant des centaines de librairies indépendantes. Après avoir trouvé votre livre sur Amazon, vous le commandez dans une "vraie" librairie...
Pour Elliot Lepers, qui avoue mener une démarche politique, il s'agit avant tout de montrer aux lecteurs qu'il a "le choix " aujourd'hui encore. Il a eu l'idée de créer Amazon Killer à l'été dernier, alors que les députés français venaient de voter une loi dite anti-Amazon.
Pas que les libraires...
Au fil des ans, Amazon n'a pas braqué seulement les libraires indépendants. Le groupe américain s'est mis à dos une bonne partie du monde du livre. Editeurs, auteurs, fournisseurs... Tous n'avaient pas forcément envisagé le bouleversement qu'instaurait l'arrivée de cet acteur devenu omniprésent. Dernière friction en date, le lancement à la fin de l'année dernière de l'offre d'abonnement illimitée Kindle Unlimited. Pour environ dix euros par mois, l'abonné peut choisir parmi les quelque 20.000 références françaises en livres numériques - surtout des ouvrages qui "datent" un peu, voire beaucoup. Pour les pouvoirs publics français, cette offre est suspecte, car elle ne respecterait pas forcément une loi simple - la loi du 10 août 1981 dite "loi Lang" -, une spécificité bien française : le prix unique du livre. Pour Vincent Monadé, président du Centre national du livre (CNL), qui dépend du ministère de la Culture, cette question de la légalité est clairement posée.
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Malgré tout, la contre-offensive s'organise. Les principaux syndicats de l'édition ont réussi à créer un contrat-type, faisant de l'éditeur le responsable de l'oeuvre sur n'importe quel support. Un contrat censé aussi bénéficier aux auteurs. Plus commerciale est l'initiative de Google, avide de concurrencer Amazon. Le moteur de recherche s'est allié au prestigieux libraire américain Barnes & Noble pour livrer des livres en express. Service accessible uniquement dans certaines grandes villes américaines. Et l'appétit de la firme surpuissante est sans limites, puisqu'elle songerait désormais à se lancer clairement dans le commerce en ligne. Bien loin des préoccupations des libraires indépendants, qui ne trouveraient là qu'un concurrent de plus dans le paysage.
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