"Reykjavik", "Au fin fond de décembre", "Eclipse totale"... les thrillers et polars incontournables pour Noël
Les thrillers et les polars continuent de s'intéresser aux problématiques actuelles : transition écologique, piratage informatique, la montée des extrêmes... Ils questionnent aussi les identités blessées et les âmes tourmentées.
"Éclipse totale" : la sobriété lui va si mal
Harry Hole se noie dans l’alcool, appelle la mort à venir le prendre. Il est prêt à l’accueillir, à tout moment. Sans joie et sans peur. L’unique inspecteur norvégien spécialisé dans les tueurs en série se trouve à Los Angeles quand il reçoit un appel à l’aide d’un avocat pour résoudre une affaire sensible, avec à la clé près d’un million de dollars. Soit le total d’une dette contractée auprès de recouvreurs mexicains. Il a dix jours pour retrouver, à Oslo, un assassin qui a décapité une femme et pris le cerveau d’une autre. On retrouve l’univers du désormais détective privé : des crimes sordides, un tueur intelligent et profondément blessé, une affaire aux ramifications inattendues, du sexe sans amour, de l’alcool à la fois béquille et moyen d’autodestruction… Jo Nesbo s’amuse avec un indéniable talent dans Éclipse totale (Gallimard noir) à manipuler son lecteur en multipliant les fausses pistes. Enivrant.
Éclipse totale, Jo Nesbo, traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier, Gallimard noir, 22 euros
"Au fin fond de décembre" : fait comme un rat
Theo Wolf a peu de raisons de vivre. Sa vie est un encéphalogramme plat. Des mauvais choix, Theo en a fait beaucoup. Le premier, c’est d’avoir tué le mauvais suspect du viol suivi du meurtre de sa fille. Après avoir purgé sa peine de prison, l’ancien inspecteur de police se retrouve sans amis et sans argent. Il prend le premier boulot sans qualification : exterminateur de rats. Et lors de sa première mission, il découvre le cadavre presque momifié d’une vieille dame dans un immeuble délabré. L’ancien flic devenu dératiseur mène une enquête solitaire et noue une étrange relation avec le cadavre. Patrick Conrad signe un livre ténébreux avec Au fin fond de décembre (Actes Sud). L’écrivain flamand explore les méandres d’une âme tourmentée. Noir, c’est noir. Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir.
(Au fin fond de décembre, Patrick Conrad, traduit du néerlandais par Nöelle Michel, Actes Sud, 22,50 euros)
"Reykjavik", un polar glacial comme un iceberg
Reykjavik (éditions de La Martinière) est un ouvrage à quatre mains. D'un côté, Ragnar Jonasson, écrivain de polar islandais réputé et grand amateur d'Agatha Christie, et de l'autre Katrín Jakobsdóttir, plus connue comme Première ministre de l'Islande depuis 2017. Le résultat, un roman glacial comme un iceberg et une enquête sur 30 ans après la disparition mystérieuse d'une jeune fille. Si l'on retrouve dans Reykjavik les ingrédients qui font le succès du polar islandais depuis près de vingt ans - le vent, le froid, la pluie et les ciels blancs, les paysages de nature et les bords graniteux de mer, une île isolée et cette population où tout le monde connaît tout le monde - le lecteur sent la touche de la première ministre Katrin Jakobsdóttir. Elle est écologiste, féministe, prête à faire grève contre les inégalités homme femme. Sous sa plume, le portrait de la bonne société bourgeoise et conservatrice de l'Islande des années 80 est impitoyable. Les hommes dirigent les affaires du pays. Entre eux aucune peau de banane, aucune dénonciation ne semble possible, l'amitié vaut silence. Ce sont tous des hommes de pouvoir et d'argent, et parmi eux, qui a commis l'irréparable ?
(Reykjavik, Ragnar Jónasson et Katrín Jakobsdóttir, traduit de l’islandais par Jean-Christophe Salaün, Éditions de La Martinière, 22,50 euros)
"Mon cœur est une tronçonneuse" : les cauchemars de Jade
Révélé en France avec Un bon indien est un Indien mort (Rivages/noir), Stephen Graham Jones continue de défricher des espaces inconnus. L’écrivain amérindien raconte une certaine Amérique à travers une adolescente mal dans sa peau. Jade Daniels, à moitié indienne, vit dans son propre univers, comme pour se protéger de toute la violence qui l’entoure. Jusqu’à ce qu’elle soit rattrapée par des phénomènes inexpliqués. Jade est passionnée par les slashers, sous-catégorie de film d'horreur, où les personnages sont éliminés les uns après les autres par un tueur masqué. La petite bourgade de Proofock dans l’Idaho devient un théâtre d'assassinats mystérieux. Jade est convaincue qu’elle doit se dresser contre l’injustice. Avec moult références au genre gore, Stephen Graham Jones aborde dans ce livre de nombreux thèmes sociétaux. Original.
(Mon cœur est une tronçonneuse, Stephen Graham Jones, traduit par Fabienne Duvigneau, Rivages/Noir, 24 euros)
"L’étoile du désert": Le vieux briscard et la jeune ambitieuse
Michael Connelly a créé deux personnages : l’inspecteur Harry Bosh et son demi-frère Mickey Haller, l’avocat rock’n’roll. Longtemps, l’unique personnage féminin était Eleanor Wish, agente du FBI, ex-femme du détective du LAPD, confinée aux seconds rôles. Ensuite est née Renée Ballard dans En attendant le jour (Calmann-Levy). Succès immédiat du personnage. Depuis, la jeune femme, montée en grade, et le désormais jeune retraité font équipe au gré des enquêtes. Un duo qui fonctionne à merveille. Fraîchement nommée à la tête de l'unité des affaires non résolues, l'inspectrice Renée Ballard fait appel à son ancien ami et mentor pour constituer son équipe. Objectif : résoudre une affaire d'assassinat de toute une famille dans le désert de Mojave neuf ans auparavant. Comme souvent chez Michael Connelly, maître de la manipulation, l’enquête va dans tous les sens et les fausses pistes se multiplient. On sent que l’auteur du best-seller Le poète a pris plaisir à développer une intrigue dans l’intrigue : qui de Renée Ballard ou de Harry Bosh prendra le pas sur l’autre ? Y aura-t-il passage de relais entre le vieux briscard et la jeune ambitieuse ? L’étoile du désert se lit avec gourmandise.
(L’étoile du désert, Michael Connelly, traduit par Robert Pépin, Calmann-Levy, 22,90 euros)
"À balles réelles" : Sergio Ramirez vise au cœur le régime de Managua
L’écrivain nicaraguayen revient sur un épisode douloureux : le massacre de 300 étudiants en 2018. Sergio Ramirez nous fait découvrir de l’intérieur l’appareil répressif. À balles réelles (éditions Métailié) ou les désillusions d’un régime à bout de souffle. Les héros d’hier sont fatigués, mais toujours voraces, souples idéologiquement et insatiables. Le pouvoir corrompt, au Nicaragua comme ailleurs. À balles réelles est un livre à charge, un puissant réquisitoire contre les maîtres d’hier et d’aujourd’hui. Sergio Ramirez sait de quoi il parle. Après des études en Allemagne, il abandonne sa carrière pour s’engager aux côtés de la révolution sandiniste et devient membre de l’Assemblée nationale, puis vice-président du premier gouvernement élu en 1984. Il est revenu de ses anciens engagements. Ses idéaux ont été confrontés au réel. L’auteur du Châtiment divin et du Bal des masques décrit la déconnexion entre un régime prêt à tout pour demeurer aux manettes et une population déterminée à tourner la page.
(À balles réelles, Sergio Ramirez, traduit de l’espagnol par Anne Proenza, éditions Métailié, 23 euros)
"Le silence des noyées" : Au vacarme des non-dits
Le silence des noyées (éditions du Masque) se lit d’une traite. Le rose fuchsia s’estompe assez vite pour devenir noir obscur. Il était une fois en Écosse une famille, somme toute comme les autres, qui se protégeait derrière les non-dits, ces silences pesants et complices, jusqu’à l’arrivée d’une étrangère. Étrange étrangère. Tout se fissure, craquelle. Avec une écriture vive, précise, minutieuse jusqu’aux détails les plus anodins, Gabriel Katz, auteur des Papillons noirs, série incarnée au petit écran par Niels Arestrup et Nicolas Duvauchelle, dissèque les secrets et les mensonges d’une famille bourgeoise. Son procédé de double narration fonctionne, donne de la profondeur aux deux récits. On se retrouve embarqué dans un navire fou pour une destination finale inéluctable. On n’est pas loin de Festen.
(Le silence des noyées, Gabriel Katz, éditions du Masque, 20 euros)
"La fille dans les serres de l’aigle" : Salander est de retour, Mikael Blomkvist aussi
Elle ne s’essouffle jamais. La saga Millenium continue de surprendre. Pour le septième volet, et premier d’une trilogie, c’est Karin Smirnoff, écrivaine suédoise, qui succède à David Lagercrantz. La Fille dans les serres de l’aigle (Actes Sud) est un thriller noir qui a tout pour plaire à ses millions de lecteurs. Moins introspectif que l’originel, il s’attaque de front aux problématiques actuelles et aux excès du capitalisme débridé. La transition écologique suscite des convoitises démesurées. Le futur parc éolien devient le champ de bataille où tous les coups sont permis et où le politique cède devant la puissance économique. Karin Smirnoff décrit avec minutie les mécanismes de cette voracité, qui n’épargne personne. La Fille dans les serres de l’aigle voit aussi le retour des deux personnes les plus attachantes de Millenium : Lisbeth Salander et Mikael Blomkvist. Ils ont pris de l’âge et font face à des sentiments inattendus. Fidèles à eux-mêmes, ils se lancent dans un combat salvateur. La Fille dans les serres de l’aigle, une aventure grisante.
(La Fille dans les serres de l’aigle, Karin Smirnoff, traduit du suédois par Hege Roel-Rousson, Actes Sud, 23,80 euros).
"Ouragans tropicaux " : la mort d’un "salopard"
Deux romans en un, pour un exercice jubilatoire et réussi. Leonardo Padura est un pessimiste multirécidiviste, ou un réaliste doté d’une lucidité mélancolique. Pour la dixième enquête de Mario Conde, ancien policier devenu détective et libraire de livres d’occasion, Ouragans tropicaux (éditions Métailié), l’écrivain cubain signe un très grand livre. Un chef-d’œuvre, sûrement l’un de ses meilleurs romans. Cette fois-ci, le célèbre détective fauché doit enquêter sur la mort d’un apparatchik. Nous sommes en 2016 à La Havane. La capitale cubaine se prépare à accueillir Barack Obama, les Rolling Stones et un défilé Chanel. La police, dépassée, fait donc appel à Mario Conde qui observe cette effervescence avec détachement. "C’est comme les ouragans tropicaux : ils passent, ils font un max de dégâts et puis ils s’en vont, ils se perdent… " Ceux qui croyaient en une nouvelle Cuba ont vite déchanté. Pour Mario Conde, il n’y aura pas un avant et un après Obama à La Havane, juste une continuité immuable, émaillée de spectacles passagers.
(Ouragans tropicaux, Leonardo Padura, traduit par René Solis, éditions Métailié, 23,5 euros)
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