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"Azzedine Alaia, couturier collectionneur" au Palais Galliera : une inestimable collection constituée dans le plus grand secret et jamais dévoilée de son vivant

Le couturier avait réuni plus de 20 000 pièces, témoins de l’art de ses prédécesseurs, depuis la naissance de la haute couture à la fin du XIXe siècle jusqu’à certains de ses contemporains. 140 pièces donnent ici un aperçu de cette collection exceptionnelle. Emotion garantie.
Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 9min
Exposition "Azzedine Alaia, couturier collectionneur" au Palais Galliera à Paris : modèles Adrian, septembre 2023 (Gautier Debonde)

Dix ans après la rétrospective consacrée au couturier au Palais Galliera, Azzedine Alaïa y est, de nouveau, mis en lumière à travers une exposition qui présente, pour la première fois, sa collection patrimoniale exceptionnelle qu’il a réunie au fil du temps.

Depuis de nombreuses années, j’achète et je reçois les robes, les manteaux, les vestes qui témoignent de la grande histoire de la mode. C’est devenu chez moi une attitude corporative de les préserver, une marque de solidarité à l’égard de celles et ceux qui, avant moi, ont eu le plaisir et l’exigence du ciseau. C’est un hommage de ma part à tous les métiers et à toutes les idées que ces vêtements manifestent

Azzedine Alaïa

Virtuose de la coupe - sa technicité lui venait de l’admiration qu’il éprouvait, entre autres, pour les couturiers du passé - Azzedine Alaïa était un exceptionnel collectionneur. Il débute, en 1968, à la fermeture de la maison Balenciaga dont il récupère de précieuses pièces et développe alors une passion pour l’histoire de sa discipline. Il réunit 20 000 pièces témoins de l’art de ses prédécesseurs, depuis la naissance de la haute couture à la fin du XIXe siècle jusqu’à certains de ses contemporains. 

Les créations de huit couturiers - Jeanne Lanvin, Jean Patou, Cristóbal Balenciaga, Madame Grès, Paul Poiret, Gabrielle Chanel, Madeleine Vionnet et Elsa Schiaparelli - ont retenu notre attention car elles prouvent à quel point Azzedine Alaïa aimait passionnément l'histoire de la mode : il n'a pas collectionné que des grands maîtres, mais aussi des noms aujourd'hui oubliés. Un trésor à savourer. 

La fermeture de la maison Balenciaga comme déclencheur

Installé à Paris depuis 1937, Cristóbal Balenciaga (1895-1972) a régné sur plusieurs décennies de mode. En 1968, ne se reconnaissant plus dans l’industrie nouvelle du prêt-à-porter, il ferme sa maison. Mademoiselle Renée, qui la dirigeait, invite Azzedine Alaïa à venir choisir les tissus qui pourraient satisfaire sa curiosité. Au contact de ces modèles, il réalise sans doute combien la préservation des patrimoines de mode est essentielle. Sensibilisé à la fragilité de la mémoire que la fermeture de Balenciaga suggérait en lui, le couturier devient le gardien des formes et des souvenirs de chacun. Dès lors, il accumule les trésors de mode et tous les documents pouvant raconter la vie des ateliers et commenter l’œuvre de création. Sa collection compte plusieurs centaines de pièces majeures du couturier espagnol des années 1930 à 1968.

Exposition "Azzedine Alaia, couturier collectionneur" au Palais Galliera à Paris : modèles de Balenciaga, septembre 2023 (Corinne Jeammet)

Modèles sulfureux et documents rares d'Elsa Schiaparelli

Dans les années 1930, Elsa Schiaparelli (1890-1973) fut considérée comme la plus surréaliste de toutes les couturières. Son goût de la provocation et de l’insolite la conduit à faire d’une chaussure un chapeau (1937) et à collaborer avec Salvador Dalí à la création de motifs imprimés inédits. Elle ornait ses pièces d’artifices iconoclastes et de paraphes : tout chez elle avait valeur de talisman. Les boutons de porcelaine de ses vestes tailleurs et les broderies astrales accompagnaient les femmes tels des attributs protecteurs. Outre des modèles sulfureux de Schiaparelli, Azzedine Alaïa acquit également des documents rares, comme la correspondance de la couturière avec sa secrétaire pendant la guerre et un nombre important de toiles à patrons issus de ses ateliers. Sa passion pour "Schiap" le mena à organiser chez lui en 2009 une exposition à l’occasion d’une vente inédite des modèles de la couturière.

Exposition "Azzedine Alaia, couturier collectionneur" au Palais Galliera à Paris : modèles de Schiaparelli. septembre 2023 (Corinne Jeammet)

Madame Grès, une source d’enseignement et d’admiration

Connue pour ses créations sous le nom d’Alix en 1934, Germaine Émilie Krebs, dite Grès (1903-1993), fonda en 1942 la maison Grès, anagramme du prénom de son mari Serge. Des années 1930 aux débuts des années 1980, elle édifia une œuvre intemporelle faite de robes drapées à l’antique, de plissés savants et de volumes découpés et aériens. Comme Grès, Azzedine Alaïa se voulait sculpteur et ils le furent tous deux en exerçant leurs ciseaux dans les tissus avec virtuosité et technique. Ses créations furent une source d’enseignement et d’admiration pour Azzedine Alaïa qui possédait plus de sept cents modèles. Plusieurs centaines de photographies qui documentent la vie de la maison, notamment signées des ateliers Robert Doisneau, Roger Schall, Eugène Rubin, complètent ce fonds important. Une exposition Alaïa / Grès, au-delà de la mode, qui associe les œuvres de ces deux grands couturiers se tient actuellement à la Fondation Azzedine Alaia à Paris.

Exposition "Azzedine Alaia, couturier collectionneur" au Palais Galliera à Paris : modèles de Madame Grès. septembre 2023 (Corinne Jeammet)

La première exposition d’envergure de Madeleine Vionnet à Marseille

Dans les années 1980, Azzedine Alaïa fit beaucoup pour la reconnaissance et l’appréciation de Madeleine Vionnet (1876-1975), couturière des années 1920 et 1930, dont seuls se souvenaient quelques historiens. Il lança en 1991 la première exposition d’envergure consacrée à la couturière à Marseille. Appréciée pour sa grande technicité, Madeleine Vionnet exerçait une fascination sur Azzedine Alaïa qui, toute sa vie, secrètement, souhaitait se mesurer à elle. Les robes qu’il possède sont des aveux de techniques : en mousseline ou en tulle arachnéen, en velours dévoré ou en crêpe, elles illustrent l’étendue des connaissances de la couturière.

Exposition "Azzedine Alaia, couturier collectionneur" au Palais Galliera à Paris : modèles de Madeleine Vionnet. septembre 2023 (Corinne Jeammet)

Une exposition-vente de Paul Poiret au sein de sa maison

Paul Poiret (1879-1944) occupe une place de choix dans les collections rassemblées par Azzedine Alaïa. Ses créations des années 1910, qui libèrent les femmes du corset et s’inspirent de la mode Empire, celles des années 1920, où résonne l’exotisme à la mode, côtoient des vêtements d’enfant et des pièces textiles. D’autres vêtements ayant appartenu à son épouse Denise Poiret, dont la veste Moscovite, permettent de reconstituer la garde-robe portrait d’une femme aux avant-gardes de son époque. En 2005, Azzedine Alaïa exprima l’admiration qu’il portait pour Poiret en accueillant une exposition-vente historique au sein de sa maison, souhaitant célébrer le rapprochement de l’art et de la mode qu’avait opéré tôt ce couturier inspiré par les folklores du monde et par l’orientalisme, le détournement et même le recyclage avant l’heure des matériaux.

Exposition "Azzedine Alaia, couturier collectionneur" au Palais Galliera à Paris : modèles de Paul Poiret. septembre 2023 (Corinne Jeammet)

Mademoiselle Chanel, un style au-delà des modes

Mademoiselle Chanel (1883-1971) a inversé le cours solennel de l’histoire de la mode à deux reprises. En 1926, sa petite robe noire est un manifeste radical qui renvoie les couturiers ampoulés au rang des souvenirs. En 1954, son tailleur en tweed oriente la mode vers un futur définitif. Azzedine Alaïa reconnaissait en Chanel une visionnaire géniale, un précurseur sans équivalent qui sut édifier un style au-delà des modes. La collection qu’il réunit pour illustrer son œuvre compte une sélection rigoureuse de robes du soir des années 1930 et de tailleurs et manteaux des années 1950 et 1960. Les premières illustrent le travail raffiné et parisien de la couturière aux principes de mode si déterminants, les seconds rappellent son obstination stylistique.

Exposition "Azzedine Alaia, couturier collectionneur" au Palais Galliera à Paris : modèles de Gabrielle Chanel, septembre 2023 (Corinne Jeammet)

Jeanne Lanvin, un style de création intemporel

Depuis 1885, Jeanne Lanvin (1867-1946) a développé un style de création intemporel où les lignes sobres privilégient la retenue à l’exubérance. Le travail de surpiqûre et de broderie qui caractérise certains de ses modèles se devine sans s’imposer. Les tissus raffinés, les couleurs modérées favorisent l’épanouissement des formes simples. Jeanne Lanvin brille dans les années 1910 et 1920, qu’elle gratifie de l’invention de la "robe de style", dont les jupes amples jusqu’à l’excès, réminiscence des paniers du XVIIIe siècle, sont une alternative aux robes tout en verticalité de l’époque. Dans les années 1930, elle surpasse ses contemporains par des robes longues du soir, noires et ivoire, aux coupes majestueuses. Azzedine Alaïa possédait aussi plusieurs centaines de modèles de Jeanne Lanvin.

Exposition "Azzedine Alaia, couturier collectionneur" au Palais Galliera à Paris : modèles Lanvin, septembre 2023 (Corinne Jeammet)

Jean Patou et son chic si parisien

Jean Patou (1887-1936) s’installe à Paris en 1914 et séduit d’emblée par une mode aussi sophistiquée le soir qu’elle est pragmatique le jour. Il invente une tenue complète, réduite au plus simple dans le jersey fluide. Jupe plissée, sweater, twin-set et gilet pour des combinaisons variables à foison. Cette garde-robe simplifiée s’accorde de motifs d’inspiration cubiste. Patou inaugure avant l’heure un rayon sport, il invente le monogramme et brille sur les cours en habillant la joueuse de tennis Suzanne Lenglen. Des Années folles aux années 1930, ses robes courtes ou longues du soir sont l’expression ultime de la mode française. Représenté de manière parcellaire dans les musées français, Azzedine Alaïa multiplia les acquisitions en faveur de Patou dont il admirait le chic si parisien.

Exposition "Azzedine Alaia, couturier collectionneur" au Palais Galliera à Paris : modèles de Jean Patou. septembre 2023 (Corinne Jeammet)

Exposition "Azzedine Alaia, couturier collectionneur", jusqu’au 21 janvier 2024. Palais Galliera, musée de la Mode de Paris. 10, avenue Pierre Ier de Serbie. 75016 Paris.

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