"Stephen Jones, chapeaux d'artiste" : le plus Frenchy des modistes anglais en majesté au Palais Galliera
Pour la première fois depuis plus de quarante ans, une exposition au Palais Galliera est dédiée à un accessoire, le chapeau. Stephen Jones, chapeaux d'artiste présente l'œuvre de ce créateur britannique – sans conteste l'un des plus grands modistes contemporains – de ses premières collections dans les années 1980 jusqu'aux plus récentes. Incroyablement riche de 400 œuvres, elle réunit 170 chapeaux, des archives – dessins préparatoires, photographies, extraits de défilés – et une quarantaine de silhouettes.
La première partie du parcours met l'accent sur son processus créatif, les sources d'inspiration à l'origine de ses créations et le lien que l'artiste entretient avec Paris, la culture française et la couture parisienne.
Dans la seconde partie, il ne s'agit plus de penser l'accessoire pour lui-même, le modiste plonge dans l'univers d'un autre créateur et imagine le chapeau comme ponctuation d'une silhouette au cœur d'une collection. Explications en quelques mots par l'artiste lui-même : "Je pourrais partir du même nœud en gros-grain, destiné à quatre stylistes différents, en y inscrivant chaque fois leur signature. Celui de Maria Grazia Chiuri refléterait sa vision du nœud idéal, parfaitement symétrique. Pour Rei Kawakubo, je pourrais nouer le ruban, puis délaver les couleurs. Si je réalisais un nœud pour Thom Browne, il serait un peu BCBG : les extrémités du ruban remonteraient un peu, pour qu'il ait l'air aussi impeccable que joyeux. Avec Daniel Roseberry, chez Schiaparelli, le nœud prendrait une allure extravagante, avec une boucle plus longue que l'autre."
Focus en douze images sur ces looks – vêtements et chapeaux – qui témoignent de ses liens de fidélité avec de grandes maisons. À ne pas rater, c'est surprenant de créativité. Bluffant !
1Jean Paul Gaultier
La rencontre avec Jean Paul Gaultier marque l'entrée de Stephen Jones dans l'univers de la mode parisienne. Ils se croisent dans les clubs londoniens, notamment au Blitz. En 1983, Le couturier, qui a vu le jeune modiste apparaître, coiffé d'un fez en velours rouge, dans le clip Do You Really Want to Hurt Me de Culture Club, lui propose de défiler pour lui. Une opportunité ratée mais quelques mois plus tard, Jean Paul Gaultier lui demandera de créer les chapeaux de sa collection printemps-été 1984 en s'inspirant du fez qu'il portait dans ce clip : "Ces vingt-cinq variations autour d'un fez sont un immense succès et mon sésame dans la mode parisienne", dira le créateur. Jean Paul Gaultier pousse le modiste sur scène à la fin du défilé : il fait son apparition sur le podium installé au Cirque d'hiver, un panier autour du cou, dans lequel les mannequins déposent tour à tour leurs chapeaux...
2Claude Montana
Stephen Jones entame sa collaboration avec Claude Montana en 1986. Sollicité à plusieurs reprises, il décline sa proposition en raison de son engagement avec Thierry Mugler mais accepte cependant lorsque Montana lui demande de créer des chapeaux pour sa ligne homme. Même si Mugler ne présente pas de collection masculine, il cesse alors sa collaboration avec le modiste. Stephen Jones travaillera avec Montana jusqu'à la fermeture de sa maison en 2002 ainsi que pour la maison Lanvin, que Montana dirige de 1990 à 1992. "Souvent, les chapeaux se réduisaient à une simple passe, voire une simple ligne, comme sur un dessin d'Antonio. Et pour atteindre cette simplicité et cette élégance, Montana m'obligeait à tout refaire, encore et encore, de manière obsessionnelle."
3Thierry Mugler
La rencontre avec Thierry Mugler a lieu en 1983. Mugler lui présente son projet de défilé pour les 10 ans de la maison, programmé le 23 mars 1984 au Zénith de Paris, face à 6 000 spectateurs, et Stephen Jones prend part à l'un des événements marquants de l'histoire de la mode contemporaine. Il coiffe les mannequins Jerry Hall, Iman, Sayoko Yamaguchi, Dauphine et Pat Cleveland vêtue en vierge auréolée. Le modiste collabore jusqu'à la collection Été Sahara du printemps-été 1986. "Thierry croquait quelques chapeaux pour chaque thème de la collection et m'invitait, à partir de là, à créer tout un panel. J'allais à des réunions, nous faisions tous les chapeaux et, la veille du spectacle, nous recevions un coup de téléphone nous disant qu'en fait, toutes les couleurs avaient changé. Nous devions donc les refaire. Il fallait vraiment y passer la nuit et faire preuve de beaucoup d'ingéniosité."
4Givenchy
Lorsque John Galliano est nommé directeur artistique de Givenchy, en 1995, il entraîne Stephen Jones avec lui. Comme au sein de sa propre maison, le chapeau, aux références souvent historiques, reste un accessoire de premier ordre, faisant du modiste un collaborateur essentiel des quatre collections signées par le couturier : "Je travaille avec Stephen un peu comme avec tous mes collaborateurs : il y a d'abord l'inspiration, puis nous imaginons les personnages, puis nous allons chercher loin dans le détail, une figure qui prend vie, le parfum qu'elle porte ou encore une promenade dans une ville côtière – quelque chose qui évoque chacun des sens. Stephen saisit tout cela, notamment la ligne. Toutes les composantes du personnage et, toujours, la ligne. Il a le sens des proportions et du volume ; il collabore très étroitement avec les coiffeurs, que ce soit pour empiler des éléments animaux dans une chevelure ou déterminer la hauteur d'un chapeau et son angle. Tout cela renforce l'assurance du mannequin."
5Azzedine Alaïa
En 1983, Sibylle de Saint Phalle organise une entrevue avec Azzedine Alaïa, qui vient tout juste d'ouvrir sa maison. Stephen Jones est reçu par Zuleïka, l'assistante d'Alaïa. Le modiste lui présente quelques créations mais le couturier n'a pas besoin de chapeaux dans l'immédiat. À défaut de travailler avec lui, il l'introduit auprès de Thierry Mugler. Il faut attendre 2004 pour voir naître la première collaboration entre Jones et Alaïa. "Je plaçais un chapeau devant Azzedine, je reculais et je l'ajustais de façon moins évidente. Il appelait cela 'le chic et le chapeau'", se souvient le modiste.
6Comme des Garçons
La rencontre avec Rei Kawakubo a lieu en 1983, lors du premier voyage au Japon du modiste. La créatrice de la maison japonaise demande à celui qu'elle considère comme un gentleman anglais de créer les chapeaux de sa collection printemps-été 1984. De 1984 à 2013, il imagine des bérets asymétriques, des casquettes à oreilles de lapin ou des couronnes en Meccano… Les instructions de Rei Kawakubo sont toujours abstraites et elliptiques, juste quelques mots pour guider le modiste. "Pour elle, le plus important est l'élément de surprise. Elle attend de moi que je la surprenne, que ce que je propose ne soit pas prévisible ou que cela n'aille pas forcément avec les vêtements."
7John Galliano
En novembre 1993, Stephen Jones reçoit l'appel de Steven Robinson, l'assistant de John Galliano, lui demandant de créer des chapeaux pour la collection Princess Lucretia (printemps-été 1994). Une complicité s'installe entre les deux artistes. Chaque collection de Galliano est une narration s'appuyant sur de longues recherches en archives dans laquelle s'incarnent des personnages. Stephen Jones se doit de pénétrer l'univers du couturier pour mieux cerner ses attentes et apporter, avec chacun de ses chapeaux, la touche finale d'une silhouette. Pour le modiste, la présentation des modèles ne se fait pas sans appréhension : "C'était un saut dans le vide. Est-ce que je vais y arriver ou pas ? Ces chapeaux jouaient un rôle si fondamental. John commençait par me dire ce qu'il avait en tête, en décrivant l'histoire de chaque fille. Parfois, les chaussures et les chapeaux étaient conçus en premier, puis il complétait la tenue mais il n'y avait jamais qu'un seul type de femme qui défilait."
8Elsa Schiaparelli
Stephen Jones participe aux collections de la maison Schiaparelli depuis le défilé haute couture printemps-été 2014, le premier organisé par la maison depuis sa fermeture en 1954 et sa renaissance en 2012. Il a collaboré avec les directeurs artistiques qui se sont succédé, de Marco Zanini à Bertrand Guyon et, depuis 2019, Daniel Roseberry. La complicité avec ce dernier s'est nouée lorsque le créateur travaillait aux côtés de Thom Browne. Comme Elsa Schiaparelli, Daniel Roseberry accorde une place importante à l'accessoire, en particulier au chapeau, se jouant des volumes ou des matières. Stephen Jones peut exprimer sa créativité tout en jouant avec les codes historiques de la maison, à commencer par les inspirations surréalistes, en réinterprétant notamment l'emblématique chapeau-chaussure.
9Louis Vuitton
La collection printemps-été 2006 marque la première collaboration de Stephen Jones avec la maison Louis Vuitton, alors dirigée par Marc Jacobs. Les deux créateurs uniront leur créativité le temps de dix collections, parmi lesquelles l'une des plus emblématiques celle de l'automne-hiver 2012. Les mannequins descendent d'un train à vapeur, accompagnées de porteurs tenant sacs et bagages. Elles portent de hauts chapeaux inspirés à Stephen Jones par Anna Piaggi, la journaliste de mode italienne. "C'est l'un des grands avantages de la collaboration avec Vuitton. Les chapeaux sont à la fois beaux et agréables à porter. L'idée de quelque chose de léger et confortable, mais toujours spectaculaire, est pour moi la définition du luxe." Le modiste participe au dernier défilé de Marc Jacobs en 2014 et crée d'incroyables coiffures en plumes de paon et d'autruche qui accompagnent jeans et blousons en cuir. Le modiste a également travaillé avec Kim Jones pour la collection homme automne-hiver 2013-2014 et avec Nicolas Ghesquière (printemps-été 2022).
10Walter Van Beirendonck
En 1987, Geert Bruloot ouvre la boutique Louis à Anvers. Il est le premier à promouvoir les Six d'Anvers, six stylistes belges sortant de l'Académie des beaux-arts d'Anvers – Dirk Bikkembergs, Ann Demeulemeester, Dries Van Noten, Dirk Van Saene, Walter Van Beirendonck et Marina Yee. Dans le même temps, Bruloot découvre Stephen Jones et lui achète huit chapeaux de la collection Room Service. C'est par son intermédiaire que le modiste rencontre Walter Van Beirendonck, avec lequel il collabore pour la première fois dans le cadre de la collection Avatar automne-hiver 1997-1998. Dès lors, le styliste fait appel à Stephen Jones pour ponctuer ses silhouettes de créations souvent démesurées, complexes par le volume et les questions de stabilité, véritables challenges techniques. Il associe pour cela des matériaux comme du bois, du plastique ou du papier mâché. " [Walter] veut que vous le suiviez et il est très déstabilisé si quelque chose de différent de ce qu'il attend est jeté sur la table. Mais c'est ce que je fais – j'essaie de le faire sortir de sa zone de confort", se souvient Stephen Jones.
11Thom Browne
Leur collaboration débute à l'occasion de la collection homme automne-hiver 2014-2015 présentée à Paris. Elle est parcourue de masques éléphant, casques lapin, chapeaux melon ours, casquettes faucon ou renne ou hauts-de-forme renard pour une dimension fantasmagorique. Thom Browne se rend deux fois par saison au sein de l'atelier de Stephen Jones, à Londres, une première fois pour échanger sur le thème de la collection, une seconde pour étudier les propositions du modiste et procéder aux essayages. "Chaque chapeau est conçu pour une tenue spécifique et nous passons beaucoup de temps à faire des recherches. Ce qui est intéressant, c'est de constater à quel point il est prêt à consacrer du temps et de l'argent pour des chapeaux." Thom Browne s'appuie beaucoup sur l'art du tailleur, une rigueur de la coupe que les chapeaux de Stephen Jones et leurs volumes, souvent imposants, viennent ponctuer d'audace et d'humour.
12 Christian Dior
Stephen Jones intègre la maison Christian Dior lors de la nomination de John Galliano en tant que directeur artistique en 1996. Cette maison présente la particularité de posséder un atelier de haute mode, que Stephen Jones dirige depuis vingt-huit ans. Il a ainsi participé à l'ensemble des collections haute couture et prêt-à-porter avec les directeurs artistiques successifs, John Galliano (1996-2011), Raf Simons (2012-2015), Maria Grazia Chiuri (depuis 2016) et Kim Jones (depuis 2018). Il crée également des chapeaux pour la ligne Baby Dior de Cordelia de Castellane et la ligne de maquillage dirigée par Peter Philips. L'extrême variété des créations imaginées témoigne de sa capacité à se renouveler. Preuve de sa place essentielle, Kim Jones l'invite à monter sur le podium lors du défilé prêt-à-porter Dior Men automne-hiver 2022-23, pour célébrer ses vingt-cinq ans au sein de la maison.
Exposition Stephen Jones, chapeaux d'artiste jusqu'au 16 mars 2025. Palais Galliera, musée de la Mode de Paris, 10 avenue Pierre Ier de Serbie. 75116 Paris.
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