"C'est un inventaire, un état des lieux" : le chanteur de jazz David Linx présente "Be my Guest", son splendide album de duos, jeudi soir à Paris
Le fascinant vocaliste belge présente jeudi soir à Paris son dernier album "Be my Guest", un merveilleux recueil de duos enregistrés sur plusieurs années. À ses côtés dans une affiche haut de gamme, le pianiste Grégory Privat et trois des invités du disque : le pianiste Gustavo Beytelmann, le guitariste Nguyen Lê et le flûtiste Magic Malik. David Linx nous présente ce projet ambitieux.
David Linx, vocaliste virtuose originaire de Bruxelles, parisien d'adoption, présente jeudi soir, 17 février, à Paris, au Bal Blomet, son dernier disque en date, le splendide Be my Guest (Cristal Records), lancé à la mi-novembre 2021, un an après l'excellent Skin in the Game. Un projet musical ambitieux, éclectique et chatoyant. Un album de duos qui voit le chanteur multiplier les rencontres avec des artistes de tous horizons, des pianistes Tigran Hamasyan, Ran Blake et Or Solomon au mandoliniste Hamilton de Holanda, du guitariste Marc Ducret au chanteur Theo Bleckmann... Au menu de ces duos, des relectures passionnantes de morceaux de Björk, Thelonious Monk, Pixinguinha ou des Carpenters, mais aussi des chansons et textes méconnus. En ouverture de l'album, Trevor Baldwin, neveu de l'écrivain James Baldwin dont Linx fut un proche, lit une lettre de son oncle, accompagné par le chanteur.
Trois artistes présents sur Be my Guest sont annoncés jeudi soir à Paris : le flûtiste Magic Malik, le guitariste Nguyen Lê et le pianiste Gustavo Beytelmann qui joua autrefois avec Astor Piazzolla. Hôte de la soirée, David Linx aura à ses côtés le pianiste Grégory Privat, son partenaire de scène pour ce nouveau programme. Le 19 novembre dernier, le tandem a donné un concert éblouissant au Sunside, à Paris, lors d'une toute première présentation. Leurs retrouvailles au Bal Blomet, lieu splendide et chargé d'histoire, s'annoncent effervescentes en présence de leurs invités de marque. Une occasion rêvée pour retrouver ou découvrir David Linx, chanteur au style aussi étincelant qu'original, distingué ces dernières années par l'Académie du Jazz (palmarès de l'année 2020) et les Victoires du jazz (palmarès 2019).
David Linx et le pianiste Or Solomon revisitent Hunter de Björk
Franceinfo Culture : À quand remonte votre envie d'enregistrer un album de duos ?
David Linx : L'idée m'est venue en 2011. J'avais envie de faire un projet en périphérie de mes autres albums. Je savais que ça allait nécessiter plus de temps : faire quinze duos, c'est comme faire quinze petits projets. À chaque fois qu'on établit une relation avec un artiste, cela nécessite du temps. En 2013, j'ai reçu un prix de la SABAM, la SACEM belge, cela m'a permis de disposer d'une certaine somme d'argent pour réaliser ce projet qui impliquait différents voyages.
Vous avez donc été à la rencontre des musiciens avec lesquels vous souhaitiez chanter ?
Oui. Par exemple, en marge d'un voyage à Rio, je suis allé enregistrer avec Hamilton de Holanda. En allant voir ma famille à Philadelphie, j'ai fait un détour par Boston pour enregistrer avec Ran Blake... Puis j'ai mis le projet de côté vers 2016, j'avais alors cinq ou six duos qui étaient prêts, mais j'étais trop impressionné. Je n'étais pas sûr d'être à la hauteur... Je les ai réécoutés un an plus tard, et là j'ai été très content. J'ai remis le projet en route et j'ai finalisé quinze duos. La grande majorité des sessions ont eu lieu avec les artistes invités, à l'exception de Theo Bleckmann qui m'a envoyé l'enregistrement de sa partie vocale. J'ai fini de mixer l'album pendant la pandémie.
David Linx et Hamilton de Holanda revisitent Pagina de dor, de Pixinguinha
Un véritable projet au long cours !
En effet. Entre-temps, j'ai fait cinq ou six disques "normaux", disons ! J'ai vraiment eu envie de consacrer du temps à ce projet. Il y avait l'idée de faire un état des lieux : où en étais-je, artistiquement, vocalement ? J'avais surtout envie de montrer une certaine palette... C'est un inventaire stylistique, avec plusieurs approches. Il y a par exemple un morceau de Randy Newman, I Think it's Going to Rain Today, qui est finalement très traditionnel. Et puis il a le duo avec Ran Blake, Vanguard, où il y a un rapport un peu plus free jazz à la musique... Je souhaitais aborder ces expressions complètement différentes et apporter le style qui mettrait de la cohérence à l'ensemble. J'ai eu peut-être envie de me prouver à moi-même que le style, c'est moi ! [il rit] Et si ce n'est pas moi qui le pose, c'est que je ne suis pas assez fort ! Je me suis mis la pression, en quelque sorte. C'est un peu comme un examen.
On ressent à la fois l'envie du partage et celle de redevenir étudiant...
C'est exactement ça. Je suis autodidacte. Je viens d'une époque où il n'y avait pas d'école. Quand j'étais jeune, j'ai toujours appris en travaillant avec des gens que je croyais être mieux que moi. Pour ce projet, je ne me suis pas dit cela en allant en studio, mais je suis allé enregistrer avec des artistes extrêmement pointus. On arrivait en studio extrêmement préparés, mentalement et artistiquement. On est très exigeants, et en même temps, on a envie que le public capte ce que l'on fait. Et de mon côté, je tiens à être sûr d'être le reflet de mon époque. Ce projet me donnait l'occasion de réaliser ce vœu avec quinze personnes différentes ! C'était quinze petits examens !
Comment les morceaux ont-ils été choisis ?
C'est moi qui demandais aux artistes de trouver une idée de ce qu'ils voudraient m'entendre chanter. Après, on discutait de leur proposition, il n'y avait rien d'arbitraire. Nguyen Lê est venu avec un de ses morceaux, il m'a demandé d'écrire des paroles dessus. Concernant Letter to Trevor, alors que j'étais à New York, j'avais demandé à Trevor Baldwin, le neveu de James Baldwin, qui est comme ma famille, de me lire un texte en studio, parce qu'il écrit très bien. Il est venu finalement avec la lettre que son oncle lui avait écrite trois mois après sa naissance, dans laquelle il s'excusait du retard qu'il avait pris pour lui souhaiter la bienvenue au monde, avec tout un développement philosophique sur le retard... C'est très beau. Et c'était pour moi une façon de continuer le travail avec James Baldwin avec qui j'avais fait un disque dans les années 80. Ça faisait bizarre, c'était comme un plongeon de 35 ans en arrière... Avec l'enregistrement de sa voix, je me suis mis au piano, une nuit, au studio de Cristal Records à Rochefort, et j'ai ajouté quatre voix.
David Linx et Tigran Hamasyan revisitent 'Round Midnight, de Monk
Qu'est-ce qui a motivé le choix des autres artistes invités ? Des admirations ? Des histoires d'amitié ?
J'avais une trentaine d'artistes en tête... Je ne sais pas, d'ailleurs, s'il y aura un second volet à ce projet. Tous les invités sont des gens que je connaissais déjà, comme par exemple Diederik Wissels [pianiste néerlandais avec lequel il a beaucoup travaillé], à l'exception de la chanteuse Rani Weatherby. J'étais en concert à Seattle. Elle se trouvait dans le public. Après, elle m'a chanté quelque chose sur son ukulélé. Je lui ai proposé d'enregistrer ce morceau le lendemain matin avant que je prenne mon train pour Portland. On a trouvé un studio à Seattle et en une heure, on avait notre chanson, ce qu'elle proposait était tellement frais ! J'ai toujours adoré aller d'un style musical à un autre, avec le même sentiment. Quand je chante avec Marc Ducret [ndlr : grand guitariste de jazz] ou Ran Blake, ce n'est pas différent de quand je chante une mélodie traditionnelle, ou quelque chose censé être plus facile, c'est l'âme qu'on y met qui compte. C'est important pour moi de montrer qu'il est possible de divertir avec quelque chose qui a l'air un peu pointu, mais qui ne l'est pas.
Gardez-vous d'autres souvenirs forts des sessions d'enregistrement ?
Avec Tigran Hamasyan, on a bu un thé, on a joué, on connaît tellement bien 'Round Midnight... Ça fait 40 ans que je le chante, mais j'avais l'impression de l'avoir chanté pour la première fois ! Ran Blake ne voulait ni casque, ni partition, ni texte, il fallait tout connaître par cœur, être très alerte. On a fait plusieurs prises, mais vous ne saviez pas où il allait commencer ! À Rio, j'étais ravi que Hamilton de Holanda ait choisi une ballade, lui qui est un tel acrobate comme instrumentiste. Ça montre sa force intérieure et dévoile une autre facette de son énorme technique. Il a choisi un morceau très peu chanté de Pixinguinha, l'inventeur du choro [ndlr : genre musical brésilien]. Il m'a dit que ce travail avait servi de déclencheur à un projet d'hommage à Pixinguinha. J'ai aimé aussi le travail avec Diederik Wissels. Avec lui, on s'attend à de belles ballades romantiques... Or, à l'époque, il s'amusait à bidouiller sur un nouveau synthé... Il m'a envoyé un morceau électro, je l'ai découpé en plusieurs parties et j'ai fait l'arrangement. Je l'ai terminé avec des chœurs qui font un petit clin d'œil à Queen. Avec Magic Malik, c'était magique. Il m'a demandé de chanter juste la mélodie, sans trop de variations. Quand il s'est mis à jouer, j'ai eu l'impression d'avoir un orchestre symphonique autour de moi...
David Linx en concert
Jeudi 17 février 2022 au Bal Blomet, à Paris, 20H
En partenariat avec Jazz Magazine
David Linx (voix), Grégory Privat (piano), Magic Malik (flûte), Nguyen Lé (guitare), Gustavo Beytelmann (piano)
> David Linx prépare une tournée en duo avec Grégory Privat
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