"Le Vol du Boli", un spectacle hybride entre théâtre, musique, ombre et lumière sur les planches du Châtelet
Sur la scène du théâtre du Châtelet à Paris pendant trois jours, l'opéra "Le Vol du Boli" déterre un évènement historique oublié : le vol d'un fétiche animiste africain par l'écrivain Michel Leiris dans les années 1930.
Le Vol du Boli est le fruit d'une rencontre : celle du cinéaste mauritanien multi-récompensé Abderrahmane Sissako (La Vie sur Terre, Timbuktu) et du musicien britannique Damon Albarn, cofondateur des groupes alternatifs à succès Blur et Gorillaz. Le spectacle revient sur une question universelle : celle des rapports de force entre l'Europe et l'Afrique, en plein mouvement #BlackLivesMatter. Cet opéra transversal, dont la première - spectaculaire - avait lieu le 7 octobre, a nécessité deux ans de préparation.
Voir cette publication sur InstagramLe Vol Du Boli. Theatre Du Chatelet. Paris. 7/8/9 October 2020. For tickets Chatelet.com
"Désenchanter" un objet sacré
Janvier 1931. Michel Leiris, écrivain, poète et ethnologue français, est recruté pour une mission ethnographique, la "Mission Dakar-Djibouti". Pendant plusieurs mois, l'homme consigne ses souvenirs de mission dans un journal de bord. Un écrit personnel publié sous le titre L'Afrique fantôme, où il couche sur le papier ses impressions et ses doutes.
C'est lors de cette mission que Leiris dérobe, au Mali, un "Boli", fétiche animiste africain, exposé par la suite au Quai Branly. Ce vol et les 3 500 autres pièces rapportées de l'expédition hantent l'écrivain : au fil du temps, il comprend qu'il a franchi une limite. "Tout ça lui crée un profond trouble. Il est en train de désenchanter quelque chose, et il comprend que ça va avoir des conséquences lourdes", souligne Dorcy Rugamba, collaborateur à la mise en scène du spectacle, que nous avons rencontré.
Le spectacle n’a pas vocation à faire la leçon à l’Europe.
Dorcy Rugambaà franceinfo Culture
Le vol du Boli devient "le fil conducteur qui nous amène à voir l’état des rapports entre l’Afrique et l’Europe. Mais le spectacle n’a pas vocation à faire la leçon à l’Europe. Il vise à mieux comprendre le monde d’aujourd’hui", tempère Dorcy Rugamba. Un moyen pour Abderrahmane Sissako et Damon Albarn de raconter à travers cet épisode une histoire universelle, de l'Empire mandingue (XIIe siècle) à nos jours.
Le "Boli", objet de toutes les attentions
Comment représenter cet objet sur scène ? Comment faire en sorte que l'ensemble découle avec cohérence d'un fait divers ? "C’est la musique qui le symbolise. Ça lui apporte une dimension spirituelle. On suit un objet de culte, d’époque en époque, à travers la musique", nous explique Dorcy Rugamba. Une musique toujours contrastée et métissée, comme une réponse "à ceux qui veulent compartimenter les gens, les essentialiser".
Lorsque le Boli entre en jeu, les percussions se déchaînent et la musique se fait lourde, oppressante. Une manière de faire comprendre au spectateur l'importance de cet objet sacré en Afrique de l'Ouest, amalgame de bois et de débris animaux. Chargé de magie, le petit buffle est capable d'accomplir des actes extraordinaires. Il est le lien entre le monde des vivants et l'au-delà. Inviolable, donc, et pourtant profané par Michel Leiris.
"On a volé notre histoire"
Le Vol du Boli ne se targue pas de représenter l'Afrique dans sa globalité. Mais il nous rappelle, au fil du spectacle, la richesse de son histoire et les exactions perpétrées par l'Europe, notamment au Congo par le roi belge Léopold II. "On a volé notre histoire", s'exclame un comédien dès l'ouverture.
Empire mandingue, traite négrière, colonisation, spoliations et racisme ordinaire font partie des thématiques et évènements relatés par cet opéra contemporain, mis en musique sous la houlette de Damon Albarn, qui joue aussi sur scène. Une odyssée captivante servie par la mise en scène audacieuse, presque psychédélique, qui joue sur les clairs-obscurs. L'ensemble de la salle est dans le noir, masques inclus (fournis dès l'entrée). Une manière de concentrer tous les regards sur la beauté de cette Afrique, trop souvent laissée-pour-compte.
A travers cette mise en scène où chaque plan, chaque chorégraphie ont été exécutés au millimètre par une troupe de 37 artistes, on reconnaît la "patte" d'Abderrahmane Sissako, homme de cinéma.
Fatoumata Diawara, reine mère à la voix ensorcelante
Sur scène, le timbre puissant de la chanteuse malienne Fatoumata Diawara fait frissonner la salle. L'artiste, proche d'Abderrahmane Sissako et Damon Albarn depuis ses apparitions dans Timbuktu et dans un clip de Gorillaz, enfile ici plusieurs casquettes (Sogolon la reine mère, la femme magique ou encore une esclave...).
Plus tard, percussions africaines et chants grégoriens se mélangent à la voix de François Sauveur (interprète notamment de Michel Leiris). Celle-ci est modifiée par un vocodeur, un choix qui surprend : l'objectif est-il d'en faire un instrument de musique à part entière ?
Reste que l'ensemble, d'une rare beauté malgré la dureté du propos, fourmille de trouvailles esthétiques et musicales. Et pour ajouter encore plus de magie à cette soirée singulière, des Bolis atttendent les spectateurs à la sortie. Le Vol du Boli, marquant, sera repris dès la prochaine saison au théâtre du Châtelet.
Le Vol du Boli, jusqu'au 9 octobre au théâtre du Châtelet. Nouvelles dates (non communiquées) en 2021. Informations sur chatelet.com
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