"C'est compliqué de bâtir une programmation attractive et cohérente" : le directeur de Rock en Seine Matthieu Ducos raconte l'envers du décor de l'édition 2024

Le festival francilien fait le pari de remplir la pelouse de Saint-Cloud durant cinq jours cette année, de mercredi à dimanche. Son directeur nous éclaire sur le pourquoi, le comment et le making of de cette 20e édition de Rock en Seine.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 8min
Matthieu Ducos, le directeur du festival francilien Rock en Seine, en 2024. (ROCK EN SEINE)

Comment équilibre-t-on les finances et la programmation d'un festival qui s'étend désormais sur une cinquième journée cette année ? L'affiche est belle et variée, entre Lana Del Rey en ouverture et LCD Soundsystem en clôture, avec Gossip, Fred Again, Jungle, The Offspring, PJ Harvey et Massive Attack au milieu.

Des têtes d'affiche souvent arrachées de haute lutte à la concurrence, comme nous l'a confié Matthieu Ducos, directeur de Rock en Seine depuis plus de trois ans. Pour cette 20e édition, du mercredi 21 au dimanche 25 août, qui monte le volume et propose comme toujours une foule de groupes émergents à découvrir, il espère attirer au total 180 000 personnes.

Franceinfo Culture : Cette année, Rock en Seine a ajouté une journée et se déroule sur cinq jours. Pourquoi ? Est-ce une façon d'amortir les coûts ?
Matthieu Ducos : Oui, parce que l'aspect économique rentre effectivement en ligne de compte. C'est-à-dire qu'on a des coûts d'installation, d'infrastructure pour aménager le site du domaine de Saint-Cloud afin d'accueillir nos festivaliers. Or ces coûts ont augmenté de manière très significative ces dernières années et on a du mal à rationaliser économiquement le projet en ne faisant que trois jours de spectacles. D'où notre envie d'aller un peu plus loin après la parenthèse Covid, et donc de passer à quatre jours l'an passé, voire cinq jours quand on le peut. Après, on compose aussi en fonction de l'offre artistique disponible. L'année dernière, on n'avait pas trouvé de quoi alimenter une cinquième journée de festival. Par chance, on y arrive cette année, donc on ne se prive pas du plaisir de prolonger un peu le festival.

C'est aussi un pari ?
Organiser un festival est un pari permanent. Mais avec cinq jours, il y a la nécessité de vendre plus de billets et d'accueillir plus de festivaliers. Cette nouvelle prise de risque doit se faire à bon escient, avec une affiche suffisamment alléchante et diversifiée pour attirer à la fois nos fidèles et des festivaliers qui ne viennent pas d'habitude à Rock en Seine, dans des esthétiques qui s'éloignent peut-être un peu de notre cœur de cible. Cette année, on a donc à la fois une programmation qui rassure les habitués, avec des artistes familiers du festival comme PJ Harvey, The Offspring ou Massive Attack, qui était présent dès la première édition en 2003 et est revenu plusieurs fois par la suite, mais aussi une journée teintée d'électro, de soul et de R&B le vendredi avec Fred Again, Jungle, Loyle Carner et Sampha. Et puis Lana Del Rey, qui est absolument dans la ligne artistique du festival, et a acquis ces dernières années une aura beaucoup plus large qu'en 2014 lorsque nous l'avions accueillie la première fois. Cela nous permet d'attirer un public plus jeune, qui n'a pas forcément l'habitude de venir en festival. Car on cherche aussi à travers ces cinq jours de festival à s'adresser à plusieurs publics.

Cette édition se déroule entre les Jeux olympiques (26 juillet-11 août) et les Jeux paralympiques (28 août-8 septembre). Cela vous a-t-il compliqué la tâche ? Avez-vous eu des surcoûts et des tensions sur les ressources humaines et matérielles ?
Oui, mais à la marge. Au niveau des coûts, on a une inflation qui est là, mais on n'a pas senti de délire par rapport à cette concomitance avec les JO. Pour le reste, on s'était préparés, on savait que cette échéance allait forcément créer des tensions sur un certain nombre de sujets clairement identifiés comme ceux que vous citez. Nous avons donc anticipé et sécurisé un certain nombre de choses. Mais nous avons pu aussi compter sur la grande fidélité de nos équipes et de nos prestataires, avec lesquels on travaille depuis de nombreuses années. Rock en Seine est un rendez-vous important de leur calendrier.

Il y a deux ans, vous avez inauguré l'Espace Garden, dont l'entrée est plus chère (de 30 à 50 euros supplémentaires) et plus confortable. Il y a eu des critiques, certains estimant que cela instaurait une discrimination entre festivaliers, contraire à l'esprit de partage de ce genre de manifestation. Or ces billets ont été rapidement épuisés pour l'édition 2024, ce qui semble vous donner raison.
En 2022, effectivement, la mise en place de cet espace, prévu alors pour accueillir 2 500 personnes, a essuyé pas mal de critiques. Pour rappel, c'est une proposition de confort supérieur, avec notamment un point de vue privilégié sur la scène sans avoir à jouer des coudes. C'est comme les différentes catégories de sièges dans les arénas et les stades, ça vient répondre à une demande réelle du public. Et comme vous le disiez, tous les billets Garden sont partis l'année dernière, et sont partis à nouveau les premiers cette année. Mais nous avons pris en compte les critiques et modifié le dispositif dès l'an dernier en réduisant la capacité de l'espace à 1 500 personnes. On a aussi décalé légèrement cette zone pour qu'elle ne soit pas centrale, en tout cas qu'elle ne prenne pas une moitié de devant de scène, comme c'était le cas en 2022. Et l'an dernier, ça s'est très bien passé. Je pense donc que nous avons trouvé la bonne formule.

Avez-vous obtenu certains artistes de haute lutte pour cette 20e édition ?
Les têtes d'affiche, comme Lana Del Rey, LCD Soundsystem ou Fred Again, on les obtient toujours de haute lutte. Parce que la concurrence est très vive entre les festivals, à l'échelle européenne. Là, on parle d'artistes internationaux qui sillonnent la planète. Alors quand on arrive à avoir un artiste, c'est souvent au détriment d'autres festivals et d'autres événements qui ont aussi leurs qualités, leur force d'attraction et leur notoriété dans leur propre territoire. C'est un exercice compliqué de bâtir une programmation, d'être à la fois cohérent et attractif. Parce qu'il faut réussir à emporter le morceau face aux autres organisateurs qui ont, eux aussi, envie de proposer la plus belle affiche. C'est assez excitant, mais c'est aussi du stress pendant de longs mois.

Quels sont les artistes que vous attendez personnellement avec le plus d'impatience ?
Je commence un peu par la fin parce que nous les attendons en clôture dimanche, mais LCD Soundsystem a donné en juillet deux concerts chez nos amis de Beauregard en Normandie et aux Nuits de Fourvière à Lyon, dont j'ai eu des échos dithyrambiques ! Ils n'étaient pas venus en France depuis 2017 et ça promet d'être un super concert que j'attends avec beaucoup d'impatience. Ce mélange de groove électronique, véritable machine à danser, avec un esprit revendiqué post-punk, est aussi détonant que jouissif. Du côté des découvertes, j'attends particulièrement les Australiens de Glass Beams. C'est un trio énigmatique qui se présente sur scène avec des masques de perles qui cachent leurs visages. C'est assez symbolique de leur musique instrumentale, qui est, elle aussi, assez mystérieuse et envoûtante, avec des sonorités indiennes ici ou là. C'est un groupe qui embarque, avec un univers dans lequel j'ai plaisir à me plonger. Ça montre que Rock en Seine propose des choses variées, de qualité, et surtout, très singulières.

La 20e édition de Rock en Seine se déroule du mercredi 21 au dimanche 25 août sur la Pelouse de Saint-Cloud (92210). Toute la programmation par ici.

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