L'histoire du métissage entre les "homo sapiens" et les hommes de Néandertal éclairée par deux études

Des chercheurs suggèrent que la migration des premiers hommes modernes depuis l'Afrique a eu lieu au plus tard il y a 43 500 ans
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Photo de 2016 montrant un crâne d'Homo Sapiens, provenant de Grimaldi (Italie). (LEEMAGE / AFP)

Le puzzle se reconstitue peu à peu. Le métissage des homo sapiens avec les Néandertaliens, qui serait survenu sur la route de leur migration de l'Afrique vers l'Eurasie, est plus récent qu'on ne le pensait. C'est ce que montrent deux études publiées dans les revues Nature et Science, jeudi 12 et vendredi 13 décembre.

Une équipe internationale dirigée par des chercheurs de l'Institut Max Planck d'Anthropologie évolutionnaire à Leipzig (Allemagne) a séquencé les plus anciens génomes humains modernes connus, appartenant à sept individus ayant vécu entre 42 000 et 49 000 ans avant notre ère. L'un d'eux (un crâne complet de femme) provient du site archéologique de Zlatý Kun (République tchèque). Les six autres vivaient à environ 230 kilomètres de là, dans la grotte d'Ilsenhöle à Ranis (Allemagne). L'analyse de leur génome apporte des informations sur ces pionniers qui peuplaient un vaste territoire s'étendant du Royaume-Uni à la Pologne alors qu'ils n'étaient que quelques centaines d'individus.

Première surprise, "les individus de Ranis et de Zlatý Kun constituent les premiers membres connus d'une famille humaine moderne, d'un point de vue génétique", a expliqué Arev Sümer, première autrice de l'étude, lors d'un point-presse. A Ranis, les chercheurs ont identifié trois hommes et trois femmes, dont une mère et sa fille. Un autre individu était lié au deuxième ou troisième degré avec la mère. Plus étonnant encore, le crâne retrouvé à Zlatý Kun est aussi un parent au cinquième ou sixième degré, peut-être "une lointaine cousine ou une arrière-arrière-grand-mère".

Entre 2 et 3% d'ADN néandertalien

Les variantes génétiques ont aussi délivré des indices sur leur apparence, suggérant "une pigmentation de peau et des yeux foncés, ainsi que des cheveux bruns, comme on pouvait s'y attendre pour des populations venant de quitter l'Afrique", a relevé Arev Sümer. Surtout, les chasseurs-cueilleurs de Ranis-Zlatý Kun portent dans leurs gènes la trace d'un seul mélange avec les Néandertaliens, qui peuplaient l'Europe et l'Asie occidentale depuis des centaines de milliers d'années au moment où l'homme moderne y a migré. Cela a permis à l'équipe d'estimer la date de ce métissage originel, élément clé de notre histoire.

En effet, aujourd'hui encore, toutes les populations non-africaines portent dans leurs gènes 2 à 3% d'ADN néandertalien, lointain héritage de ce mélange qui s'est "probablement" produit sur les routes migratoires du Proche-Orient, selon Johannes Krause, un des auteurs de l'étude. "Nous avons calculé que cet événement avait eu lieu il y a entre 45 000 et 49 000 ans", environ 80 générations avant celle des individus de Ranis-Zlatý Kun, "ce qui est beaucoup plus récent que ce qui était supposé auparavant", rapporte-t-il. Les premiers humains modernes ont eu des échanges avec l'homme de Néandertal pendant environ 7 000 ans, a résumé Mathilde Fontez, rédactrice en chef au magazine Epsiloon, sur franceinfo. L'homme de Néandertal a disparu il y a environ 40 000 ans alors qu'homo sapiens, lui, a continué à peupler le monde.

7 000 ans de cohabitation

Leur résultat est corroboré par une autre étude publiée simultanément dans la revue Science. Cette deuxième équipe a utilisé une méthode différente en comparant 300 génomes contemporains et anciens (dont 59 prélevés sur des individus ayant vécu entre 2 000 et 45 000 ans avant notre ère) à la recherche des traces du métissage avec Néandertal.

"La grande majorité du flux génétique néandertalien s'est produite au cours d'une période prolongée unique", note Priya Moorjani, de l'université de Berkeley (Etats-Unis). "Nous avons daté cette période entre 43 500 ans et 50 500 ans, ce qui est très cohérent avec l'estimation de l'article de Nature, ainsi qu'avec les preuves archéologiques, qui ont daté le chevauchement entre les Néandertaliens et les humains modernes en Europe."

Cette datation a des répercussions importantes sur la compréhension de l'évolution humaine. Elle implique notamment que la migration de notre lignée depuis l'Afrique a eu lieu, au plus tard, il y a 43 500 ans. Elle signifie également que les centaines de découvertes anthropologiques ou archéologiques hors d'Afrique attribuées à des humains modernes de plus de 50 000 ans – soit avant la rencontre avec Néandertal – ne peuvent provenir de nos ancêtres directs. Pour Johannes Krause, "l'histoire humaine n'est pas seulement une histoire de succès. Nous nous sommes en fait éteints plusieurs fois".

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