"Sa vie est un western" : l'incroyable histoire du roi français d'Araucanie et de Patagonie
A l'occasion de la sortie du film "Rey", de Niles Atallah, franceinfo revient sur l'histoire d'Orélie-Antoine de Tounens, un aventurier français qui a régné de manière éphémère sur ce territoire à cheval sur le Chili et l'Argentine, au milieu du XIXe siècle.
Un Périgourdin roi d'Araucanie et de Patagonie, aux confins de l'Amérique du Sud. Cette histoire n'est pas seulement le scénario de Rey, le dernier film du réalisateur américano-chilien Niles Atallah, sorti mercredi 29 novembre. C'est aussi et surtout l'un des événements les plus improbables de l'histoire du continent. Au XIXe siècle, un avoué de Périgueux (Dordogne), Antoine de Tounens, a régné brièvement au sud du río Biobío et du río Negro, à cheval sur le Chili et l'Argentine. Franceinfo revient sur l'histoire de cette monarchie méconnue, dont la dynastie, qui vit en exil en France, existe toujours. "Si certains de vos lecteurs souhaitent nous rejoindre, ils sont les bienvenus", propose même le prince Antoine IV – un titre non reconnu –, lointain successeur du fondateur du royaume.
En 1858, Antoine de Tounens, 33 ans, ferme son étude de Périgueux et embarque pour l'Amérique du Sud. A l'époque, de nombreux habitants du Sud-Ouest partent tenter leur chance sur le continent, via le port de Bordeaux, dans l'espoir de faire fortune. Ses premières lettres mentionnent d'ailleurs le prix du cuivre. Pour Jean-François Gareyte, auteur d'une biographie du personnage, Le Rêve du sorcier (Editions La Lauze), Antoine de Tounens, aventurier et franc-maçon, a plutôt pour projet de démarrer "une carrière politique". "A cette époque, l'idée à la mode dans les loges, c'est de fédérer les nouvelles républiques d'Amérique du Sud", explique-t-il à franceinfo.
La légende du guerrier blanc
L'ambition d'Antoine de Tounens va se fracasser sur la guerre civile chilienne de 1859. Mais il ne va pas tarder à se trouver un nouvel objectif. Pour poursuivre les révolutionnaires vaincus, l'armée chilienne se prépare à franchir le río Biobío, qui marque la frontière entre le Chili et le territoire des Amérindiens mapuches depuis la conquête du continent par l'Espagne. Selon Jean-François Gareyte, qui a mené pour son livre un long travail de recherches dans les archives chiliennes, Antoine de Tounens entre en contact avec les Mapuches via les révolutionnaires en fuite. Contre toute attente, ce peuple autochtone, redouté après ses victoires sur les Incas et les conquistadors, est réceptif à ses avances.
Selon le récit de Jean-François Gareyte, le Français va profiter d'une légende locale, dont son biographe a constaté la persistance de nos jours : le salut des Mapuches viendra d'un guerrier blanc, comme l'a rêvé leur chef. Ce dernier vient d'ailleurs de mourir et Antoine de Tounens réussit à se faire adouber comme son successeur.
Si on pense comme des Blancs, c'est un concours de circonstances incroyable. Mais si on pense comme des Mapuches, cela devait arriver ainsi.
Jean-François Gareyte, biographe d'Antoine de Tounensà franceinfo
En novembre 1860, Antoine de Tounens devient Orélie-Antoine Ier, roi d'Araucanie et de Patagonie. Il dote ce nouveau royaume d'une constitution et d'un drapeau bleu-blanc-vert.
"Les Mapuches n'écoutent que le Français"
Moquée par la presse française et chilienne, la réalité de ce royaume est attestée par les archives du Chili, assure Jean-François Gareyte. "Quand je suis arrivé là-bas, on m'a donné des cartons pleins d'archives diplomatiques, judiciaires et militaires. Dans les rapports des soldats qui franchissaient le río Biobío, on lit : 'Les Mapuches n'écoutent que le Français'", raconte le biographe, qui a travaillé huit ans à l'écriture du premier tome de son livre, paru en avril 2016.
Mais l'aventure royale d'Orélie-Antoine tourne court. Piégé par son guide, il est capturé en janvier 1862 par l'armée chilienne. Qualifié de fou par ses geôliers, le "roi blanc" est rapidement expulsé vers la France. Il reviendra en 1868, alors que la région est à feu et à sang. "En 1871, selon les archives chiliennes, il est aperçu à plusieurs reprises au milieu des combattants mapuches, avec son poncho et ses rubans bleu-blanc-vert", raconte Jean-François Gareyte. Une période au cœur du second tome de sa biographie, à paraître en mars 2018. Mais le Chili parvient à mater les Mapuches et Orélie-Antoine meurt chez lui, à Tourtoirac (Dordogne), le 17 septembre 1878.
Sa vie est un western. S'il avait été anglais ou américain, il y aurait déjà eu dix films à Hollywood.
Jean-François Gareyteà franceinfo
"Vive le royaume d'Araucanie et de Patagonie"
Août 2016. Cent trente-huit ans après la mort d'Orélie-Antoine 1er, des dizaines de personnes se pressent dans le bourg de Dordogne où il est enterré. Au centre, un homme à la cravate bleu-blanc-vert prononce un discours pour l'inauguration du buste de l'éphémère souverain. "Vive le royaume d'Araucanie et de Patagonie, vive le peuple mapuche et vive Tourtoirac !" lance le prince Antoine IV sous les applaudissements. A 75 ans, cet éducateur spécialisé provençal est l'héritier du royaume d'Araucanie et de Patagonie. Depuis le XIXe siècle, le "roi blanc" ne vit pas seulement à travers les livres de Bruce Chatwin (In Patagonia, 1977) ou Jean Raspail (Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie, 1981). Une centaine de passionnés continuent d'incarner son royaume.
Comment devient-on prince du royaume d'Araucanie et de Patagonie ? Pour Jean-Michel Parasiliti di Para, son nom à l'état civil, l'histoire commence avec de vieux papiers sur l'Araucanie retrouvés dans les affaires de son père, en 1972. "Cela m'a intrigué, j'ai fait quelques recherches et j'ai appris qu'il y avait un prince à Paris, Philippe Boiry", raconte Antoine IV. Il reprend le fil de la tradition familiale – son arrière-grand-père et son grand-père avaient soutenu le royaume – et finit par être désigné successeur de Philippe à la mort de ce dernier en 2014.
Un royaume symbolique
Depuis son avènement, Antoine IV se consacre aux affaires du royaume "une à deux heures par jour" en moyenne : interviews, courriers, manifestations à organiser, activité humanitaire pour les Mapuches via l'ONG Auspice Stella... Le royaume est d'abord là pour faire vivre le souvenir d'Orélie-Antoine 1er – Jean-François Gareyte a été décoré de la "Couronne d'acier" pour sa biographie – et soutenir ses anciens sujets. Aucune expédition militaire pour reconquérir les terres d'Araucanie et de Patagonie n'est à l'ordre du jour.
Géopolitiquement, ce serait ridicule de restaurer le royaume.
Antoine IV, prince d'Araucanie et de Patagonieà franceinfo
Antoine IV n'a de toute façon jamais mis les pieds au sud des ríos Biobío et Negro. Les vives tensions entre les Mapuches et les autorités ne se prêtent pas vraiment à une telle visite. En Argentine, les Amérindiens revendiquent toujours leurs terres ancestrales, vendues en 1991 à l'Italien Luciano Benetton.
Comme le raconte Le Monde, le 1er août, un militant qui soutenait les Mapuches, Santiago Maldonado, a disparu après une intervention musclée de la gendarmerie. Son corps a été retrouvé le 17 octobre dans une rivière. "Imaginez si le prince d'Araucanie débarquait là-bas pour dire qu'il soutient les Mapuches contre les oppresseurs argentins, lance Antoine IV. Ce serait une provocation pure et simple." Plus d'un siècle après les charges d'Orélie-Antoine 1er contre l'armée chilienne, le royaume d'Araucanie et de Patagonie continue la lutte, avec d'autres armes.
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