De Marine Le Pen à Bruno Gollnisch, le mariage des homos embarrasse le FN
Marine Le Pen ne participera pas à la manifestation du 13 janvier contre le mariage et l'adoption pour les couples homosexuels mais elle ne donne aucune consigne. Ce choix révèle de profonds clivages au sein du parti.
Le bureau politique du Front national s'est réuni à huis clos, vendredi 4 janvier. Au cours de cette réunion, le parti a déterminé sa position officielle, tout en subtilité, sur la manifestation du 13 janvier contre le projet accordant le droit au mariage et à l'adoption aux couples homosexuels.
Marine Le Pen déclare dans un communiqué "son opposition [et celle de son parti] au mariage, à l’adoption et la PMA". Pour autant, elle annonce qu'elle "ne participera pas" à la protestation. La présidente du FN ne donne cependant aucune consigne et laisse libres les "élus, militants et sympathisants" frontistes d'aller manifester. Un choix politique qui révèle de profonds clivages au sein du mouvement.
Des dirigeants en ordre dispersé
La stratégie adoptée par le Front national faisait peu de doute. Lors des précédents défilés des 17 et 18 novembre, Marine Le Pen n'avait en effet pas apporté le soutien officiel de son parti et avait laissé à ses cadres et adhérents la liberté de s'y rendre.
Une liberté qu'avaient saisie, entre autres, l'eurodéputé et figure du FN Bruno Gollnisch et la vice-présidente du parti Marie-Christine Arnautu, présents le 18 novembre dans les rangs du cortège mené par les catholiques intégristes, rappelle Le Figaro. Et Louis Aliot, vice-président du FN et compagnon de Marine Le Pen, indiquait le 20 décembre sur LCI qu'il manifesterait le 13 janvier à Perpignan, dans sa région d'élection.
Cet entre-deux choisi par Marine Le Pen, un autre vice-président du FN, Florian Philippot, y est attaché. Il a indiqué dès le 2 janvier sur Europe 1 qu'il ne prendrait personnellement pas part à la manifestation. Et de développer les mêmes arguments que sa présidente, qui dénonce à travers ce débat sur le mariage des homos "une grossière tentative de récupération politicienne et d’enfumage sociétal de la part de l’UMP et du PS ; celle-ci visant à détourner l’attention des Français des questions urgentes que sont la sécurité, la prospérité et la défense de l’identité".
Le signe d'une fracture politique profonde
Cette division dans les rangs du FN révèle les tensions nées depuis que Marine Le Pen en a pris la tête. Dans son numéro du 2 janvier, Minute affirme poser une "question taboue" : "Existe-t-il un lobby gay au FN ?". Selon l’hebdomadaire d’extrême droite, la réponse est oui. Le magazine dénonce son poids politique.
"Au sein du FN, des cadres accusent effectivement les gays de constituer un lobby, une hiérarchie parallèle", confirme aux Inrocks Nicolas Lebourg, spécialiste de l'extrême droite. "Marine Le Pen, c’est le phénomène Dalida, elle est adulée par un encadrement gay", analyse le coauteur du livre Dans l’ombre des Le Pen. Une histoire des numéros 2 du FN (Nouveau Monde éditions).
Minute met "pour la première fois sur la place publique quelque chose qui agite le parti depuis l’arrivée de Marine Le Pen au pouvoir", observe Nicolas Lebourg. Sous l'impulsion d'une nouvelle génération, le parti a, souligne-t-il, opéré une "mue néo-populiste".
Le FN à la conquête d'un nouvel électorat
Ce "retournement politique sans précédent" s'illustre par le fait que "Marine Le Pen drague les gays", explique Didier Lestrade, journaliste et écrivain, dans Pourquoi les gays sont passés à droite (Le Seuil), dont Slate publie des extraits.
Si "elle leur fait de l’œil pour les attirer sur le terrain de la critique de l’islam", estime Didier Lestrade, c'est "parce que le Front national sent très bien que certains homos peuvent se sentir menacés par cette religion dont les médias ne cessent de soupçonner 'l’incompatibilité' avec les valeurs de la République".
Le FN aurait donc assimilé le concept d’"hédonisme sécuritaire", formulé par Gaël Brustier, docteur en sciences politiques, membre du PS et coauteur de Voyage au bout de la droite (Mille et une nuits). Selon le chercheur, cité par Marianne, "les enfants des soixante-huitards veulent, comme leurs parents, jouir sans entraves et demandent avec insistance que leur ordre moral soit placé sous la protection d’un appareil sécuritaire renforcé".
Un pari politique à risque
"Le FN ne va pas marquer des points sur l’homophobie", relativise Nicolas Lebourg dans Les Inrocks. "Sa martingale c’est l’anti-immigration. Ils ne vont pas faire de la politique sur une demande sociale homophobe car il n’y a pas la clientèle politique pour ça. Il n’y a que des coups à prendre pour le FN en se lançant dans ce débat."
Et en effet, même chez les militants homosexuels du FN, interrogés par Rue89, la question ne fait pas débat. "Je suis contre le mariage et l’homoparentalité", dit l'un. "Une amélioration du Pacs est suffisante", juge un autre, tandis qu'un troisième fustige "une revendication communautariste". Tous soulignent en outre qu'ils sont très discrets sur le sujet au sein de leur parti, car leur homosexualité relève de leur vie privée.
Pour le politologue Jean-Yves Camus, contacté par francetv info, un homme pourrait tirer profit de l'absence de Marine Le Pen dans les cortèges : Bruno Gollnisch. "Lui a toujours tenu des positions claires sur le sujet. Il est hostile à l’union homosexuelle, fidèle à la défense des valeurs traditionnelles, fait remarquer le chercheur. Il pourrait attirer à lui les électeurs du FN qui sont sensibles à cette question." Moralité, conclut-il, "c'est un test important pour Marine Le Pen".
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