Loin de Nicolas Vanier, ces explorateurs qui galèrent
Alors que l'explorateur très médiatique s'élance pour une incroyable traversée de l'Asie, francetv info revient sur le parcours d'explorateurs moins connus, qui peinent parfois à boucler le budget nécessaire à leur passion.
"L'Odyssée sauvage", nouveau défi de Nicolas Vanier. L'explorateur débute une traversée longue de 6 000 kilomètres de la côte Pacifique de la Sibérie jusqu'aux rives gelées du Lac Baïkal, samedi 21 décembre. Le tout à la tête d'une meute de dix chiens de traîneau qui vont affronter des conditions extrêmes, puisque les températures peuvent descendre à moins 50 degrés. De longs mois ont été nécessaires pour préparer ce nouvel exploit et pour boucler le budget de l'aventure, qui s'élève à 400 000 euros, selon le journal La Croix.
Réalisateur de plusieurs films à succès, dont Belle et Sébastien – actuellement à l'affiche –, Nicolas Vanier fait partie des aventuriers les plus médiatiques de France, au même titre que Nicolas Hulot, Yann Arthus-Bertrand ou Jean-Louis Etienne. Pour autant, tous les explorateurs ne sont pas logés à la même enseigne.
Il y a les grands reporters, les réalisateurs, les écrivains-voyageurs – comme Patrice Franceschi ou Sylvain Tesson – et quelques noms qui ont réussi à sortir du lot. Mais il est difficile de savoir combien de personnes vivent réellement de leur passion. "Une chose est sûre, ils sont peu et c'est un Graal", précise Olivier Archambeau, président de la Société française des explorateurs, qui regroupe les "professionnels" de l'aventure. Survivre au bout du monde, d'accord, mais il faut aussi pouvoir en vivre.
La baroudeuse et l'esprit de solidarité
"Je suis dans une autre catégorie d’aventurier", sourit Capucine Trochet, qui ne dispose "d'aucun budget de fonctionnement". Cette Bretonne au cœur bien accroché, contactée par francetv info, a accompli la traversée de l’Atlantique en 2012 à bord du Tara Tari, un bateau en fibre de jute du Bangladesh, entre les Canaries et la Martinique. Tout sauf un "voyage paréo", plaisante celle qui a connu une attaque d'orque traumatisante. Voilà deux ans qu’elle vit avec moins de 100 euros par mois. Un choix assumé et revendiqué, qui "montre qu'on peut faire de belles et grandes choses, même sans le budget" des explorateurs les plus médiatiques.
Pour monter son projet, après une lourde opération des jambes, elle a décidé de "faire les choses autrement", en misant sur la solidarité. "Je vis à Lorient (Morbihan). La course au large est un petit milieu. Armel Le Cléac'h m’a proposé un téléphone satellite et Eric Péron, un petit GPS. Des PME m’ont aussi aidé, avec des balises de détresse… Et Tanguy de Lamotte m’a filé une combinaison de survie qui coûtait 1 000 euros."
Son exploit a fait grand bruit dans le milieu mais Capucine Trochet garde la tête froide. "J’ai rencontré un producteur de Los Angeles aux Canaries. Moi la nana seule sur un petit bateau, il m’a dit que j’étais bankable. Et que si je voulais, on ferait un film", rigole-t-elle. Et quand elle a fait des conférences en Espagne, elle n'a rien demandé, à la surprise d'autres marins. "Je trouve difficile de demander des sous sans dénaturer l’esprit de la traversée." Elle pense, pourquoi pas, à écrire un livre.
Capucine Trochet n'en a pas bénéficié. Mais pour débuter dans le "métier" quelques aides existent, comme la Guilde européenne du raid, qui délivre quelques bourses et permet aux aventuriers de se lancer dans un esprit routard de partage. Les passionnés peuvent également s'entraider au sein d'associations, comme Aventure du bout du monde.
L'équipée sauvage en quête de reconnaissance
Capucine Trochet n'est pas la seule à vivre ce genre de difficultés. Avec plus de 50 000 kilomètres au compteur, la plupart du temps à vélo, Morgan Monchaud, 28 ans, est rentré le 31 août d'un tour du monde de trois ans réalisé avec quatre amis, de l'Amazonie à l'ancien Tibet en passant par l'Australie. Ils sont même allés jusqu'en Antarctique à bord d'un voilier. Avant le départ, ils ont "contacté des centaines d’entreprises, notamment dans les secteurs de l'outdoor et du vélo". "Nous avons aussi demandé à Air France pour avoir des vols de transit gratuits. Sans réponse", regrette-t-il.Ils sont tout de même parvenus à collecter 80 000 euros, dont la moitié est venue de particuliers.
Aujourd'hui, Morgan Monchaud tente de vivre de sa passion. Un livre, Solidreams, trois ans de défi et d’amitié, déjà disponible sur leur site, sera publié en mars prochain aux éditions Transboréal. "Nous prévoyons aussi d'intervenir dans des conférences sur les salons de cyclo-voyageurs et de tourisme, et pourquoi pas, de vendre un documentaire à une chaîne de télé." Une option séduisante, mais pas toujours suffisante. "La création de nombreuses chaînes, comme Voyages ou Disney Channel, a permis à beaucoup de jeunes de se lancer", explique Olivier Archambeau. "Mais parfois, la production ne permet même pas de couvrir les frais engagés au début de l'exploration."
Pour boxer dans la même cour que les grands aventuriers cathodiques, Morgan Mouchaud devra patienter. "Yann Arthus-Bertrand, Nicolas Vanier, Nicolas Hulot ont une équipe de tournage et sont des professionnels. Nous, nous sommes des amateurs. Mais je ne suis pas envieux. L'aspect professionnel de ces expéditions fait perdre l'essence même de leur projet de départ."
L'expédition sponsorisée
Pour financer leurs rêves, d'autres ont un "vrai" métier, comme Bernard Tourte, spéléologue, qui vend du matériel spécialisé. Il sera à la tête d'Ultima Patagonia, une expédition d'une trentaine de personnes, qui débute le 2 janvier à Diego de Almagro, une petite île bourrée de secrets, battue par les vents de Patagonie. Un projet mené grâce à Centre Terre, structure créée en 2003. "Pour ceux, comme moi, qui partent deux mois, cela représente 1 300 euros. Chacun des 35 participants se paie son billet d’avion. Et puis, il faut prendre des congés." Et puis, il faut compter les frais logistiques pour acheminer les quelque 20 tonnes de matériel par conteneur jusqu'à Punta Arenas (14 000 euros), puis dans de plus petits ports. Un budget difficile à boucler sans partenariats.
Il faut donc savoir se vendre. Et promettre des retombées directes aux partenaires. L’équipe va photographier en situation les embarcations prêtées par Zodiak. Au retour, ces clichés viendront nourrir le catalogue de la marque. Une cinquantaine d'entreprises portent aujourd'hui le projet, du boucher qui a donné 50 euros à la société Astrium, qui conçoit des systèmes de communication satellite. Celle-ci considère l'expédition comme une opportunité de tester ses produits dans des conditions extrêmes. Pourtant, ce n'est pas toujours évident. "L'esprit d'aventure n'est plus une denrée intéressante pour les entreprises", regrette Olivier Archambeau, car l'air du temps se prête davantage "au principe de précaution qu'à la prise de risque". Sans compter les phénomènes de mode. "Les entreprises donnent plus facilement des sommes énormes dans un bateau du Vendée Globe que dans une mission océanographique."
Les partenaires financiers, eux, ont vu d’un bon œil les deux documentaires annoncés sur le projet Ultima Patagonia, qui devraient leur permettre de retrouver la mise de départ. L’argent dégagé permettra de nourrir les caisses de l’association au retour et monter de nouveaux projets. Au total, l’association en a monté une douzaine depuis sa création. "Mais je n'ai pas vocation à en faire mon métier", conclut Bernard Tourte, qui, pourtant, a déjà travaillé avec Nicolas Hulot sur des tournages.
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