Trois questions sur Marcel Campion, le "roi des forains" qui a bloqué la place de la Concorde
Il a bloqué la place de la Concorde, jeudi matin, pour protester contre le démontage de son manège. Franceinfo revient sur le parcours rocambolesque de ce monument parisien.
C'est devenu sa croisade personnelle. Jeudi 24 novembre au petit matin, Marcel Campion a fait appel au syndicat des forains pour le soutenir contre le démontage de sa grande roue, installée place de la Concorde à Paris. Plus d'une soixantaine de poids lourds ont fait le déplacement pour se réunir aux abords et sur la place, bloquant la circulation de cet axe majeur parisien. Plusieurs camions abordaient des banderoles "les forains soutiennent la roue de Paris", comme l'a constaté sur place un journaliste de franceinfo.
Place de la #Concorde bloquée par plusieurs dizaines de camions de forains contre le démontage de la #RouedeParis pic.twitter.com/2v0ZgIItex
— Jérôme Jadot (@jeromejadot) 24 novembre 2016
L'affaire n'est pas nouvelle. Surnommé le "roi des forains", Marcel Campion, 77 ans, se bat depuis plusieurs années pour voir sa grande roue installée à vie sur la Concorde. Mais ses déboires avec la justice ont amené les autorités à prendre leurs distances avec lui. Alors que les forains ont levé le blocus en milieu de matinée et que Marcel Campion semble avoir obtenu gain de cause, franceinfo revient en trois questions sur ce personnage parisien rocambolesque.
Sa grande roue est-elle installée illégalement sur la Concorde ?
C'est là l'éternelle question. D'après Marcel Campion, la dernière convention qu'il a signée avec la ville en juillet 2016 lui donne le droit d'occupation pour deux ans, renouvelables deux fois pour une durée de six mois, indique Le Parisien. "On m'a fait porter un courrier du ministère, la grande roue est autorisée", a-t-il affirmé, juste avant l'évacuation des forains qui bloquaient la place de la Concorde.
Un retournement de situation express. Et pour cause, Marcel Campion est un habitué des passages en force pour défendre ses droits, ce qui lui vaut d'être admis dans les petits papiers des autorités. Mais la méthode trouve aussi ses limites. En septembre, ce dernier a été contraint de démonter sa grande roue après avoir reçu un procès verbal de la Direction des affaires culturelles (Drac) du ministère de la Culture pour "occupation illicite sur un site classé".
"Nous avons absolument rien contre l'installation de la Grande roue et l'activité de Marcel Campion", a assuré jeudi sur franceinfo Nicole Da Costa directrice régionale des affaires culturelles d'Ile-de-France (DRAC). "Nous ne faisons que respecter la réglementation." Marcel Campion dispose bien d'"une autorisation à compter du 30 novembre et non pas plus tôt comme il l'avait demandé. On a dressé un PV constatant l'infraction. Il n'avait pas à installer sa Grande roue, avant d'avoir l'autorisation de la Direction Régionale des affaires culturelles d'Ile-de-France, place de la Concorde qui est un site classé au titre des monuments historiques", a-t-elle expliqué.
Quelques mois auparavant, il avait refusé de se plier à une sommation similaire de l'Etat. La préfecture d'Ile-de-France lui avait ordonné de démonter son manège au plus tard le 20 février. Trois mois plus tard, la grande roue était toujours installée. La raison, selon Marcel Campion : la mairie l'a exceptionnellement autorisé à rester dix mois afin "d'accompagner la programmation culturelle et festive autour de l'Euro", rapporte Le Parisien.
Interrogé par le quotidien francilien, la mairie donnait néanmoins une version différente : "La convention d’occupation signée mentionne en toutes lettres que c’était au bénéficiaire de s’assurer d’obtenir toutes les autorisations nécessaires. La ville n’a pas à intervenir dans ce dossier entre Marcel Campion et l’Etat." Balle au centre.
Pourquoi la justice s'intéresse de près à son cas ?
Marcel Campion est dans le viseur de la justice : le 7 septembre, Le Canard enchaîné révèle en effet que l'homme d'affaires fait l'objet de deux enquêtes judiciaires. La première, ouverte en septembre 2015, concerne des faits de blanchiment de fraude fiscale, d'abus de confiance et de travail dissimulé. La seconde, confiée en juillet 2016 au magistrat du pôle financier Renaud Van Ruymbeke, a été ouverte pour abus de biens sociaux, blanchiment de fraude fiscale et, élément gênant pour la ville de Paris, pour soupçons de favoritisme et participation à une entente illicite. Le juge s'interroge en effet sur la régularité des procédures dans l'octroi "des conventions d'occupation du domaine public", rapporte Le Parisien. Depuis des années la mairie lui ouvre les portes des plus beaux emplacements : pour la grande roue, la fête aux Tuileries ou le marché de Noël sur les Champs-Elysées.
Début juillet, les policiers de l'Office central de lutte contre les infractions financières et fiscales, saisis de l'enquête préliminaire, ont un temps envisagé de perquisitionner les locaux de l'hôtel de ville, avant de se rétracter, indique une source judiciaire citée par l'AFP début septembre. Selon cette même source, le directeur des affaires juridiques de la mairie devait être entendu au statut de témoin dans le bureau du juge.
Des taches d'huile judiciaires qui ont amené la municipalité à prendre ses distances avec le "roi des forains". La veille de ces publications, elle s'est en effet constituée partie civile dans l'affaire, afin de "faire respecter ses droits" et "protéger son image, en s'assurant (...) qu'aucune des procédures d'attribution qui concernent la société 'Fête et Loisirs' n'a été faussée".
De son côté, Marcel Campion se défend de toute irrégularité. "Aucune concession n'a jamais été attribuée à une de mes sociétés par la mairie de Paris sans appel d'offre" et "aucune de mes sociétés n'a jamais bénéficié du moindre favoritisme", s'est-t-il défendu jeudi 9 septembre dans un communiqué.
Une caste me reproche une seule chose : être un forain qui a réussi. Pour cette caste, la place d'un forain, c'est dans sa caravane sur un parking de supermarché, pas place de la Concorde.
Comment s'est-il imposé dans la capitale ?
Ancien proche de Jacques Chirac et de Jean Tiberi lorsqu'ils étaient maires de Paris, Marcel Campion, 77 ans, a su imposer son style atypique dans la capitale, le plus souvent grâce à des coups de poker. "J'ai poussé la ville de Paris à ramener dans la capitale les manèges et les forains. (...) On ne fait pas des omelettes sans casser des œufs", reconnaissait-il en mars dernier dans le JDD.
En 1985, il occupe avec d'autres forains les jardins des Tuileries dans le but de relancer la fête éponyme. "On nous disait qu'avec les roulottes et les manèges, on allait abîmer les jardins, alors que la municipalité faisait en même temps des animations dedans, expliquait-il dans le JDD . Alors on est rentré quand même et après les flics nous ont encerclés en nous intimant de sortir. Mais nous, on ne voulait pas." L'histoire veut que l'affaire se réglera en face-à-face avec François Mitterrand, dans un coin du parc, à l'abri des regards.
Marcel Campion parvient à installer sa première grande roue sur la place de la Concorde en 1993 au nez et à la barbe de Jacques Chirac. "J'avais trouvé un accord avec Jacques Chirac [alors maire de Paris], il était d'accord pour que j'installe un manège pour les fêtes de Noël. Quand il a vu que j'avais installé une roue, il m'a dit que ça ne faisait pas parti de l'accord. Mais je lui ai répondu simplement qu'une grande roue, c'est un manège."
Une audace largement récompensée. Au fil des années, les manèges du personnage controversé se sont imposés dans la capitale.
Je paye 120 000 euros par mois de redevance à la mairie. J’anime la ville. Mon idée de grande roue a été reprise dans le monde entier… Ça mériterait une médaille, pas des critiques permanentes.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.