Quelle efficacité pour les mesures anti-tabac ?
Le député UMP Yves Bur a dévoilé jeudi une série de propositions radicales pour lutter contre le tabac. Pour quelle efficacité ? FTVi a posé la question à des médecins.
En finir avec le tabac. C'est ni plus ni moins ce que propose le député UMP Yves Bur dans son rapport remis jeudi 1er mars au ministre de la Santé, Xavier Bertrand. L'élu, engagé de longue date dans la lutte contre le tabagisme, se donne pour premier objectif de diviser par deux le nombre de fumeurs d'ici à 2025. Ensuite, "on pourra envisager une sortie du tabac", explique-t-il. Le but est très ambitieux mais quelle peut être l'efficacité des mesures proposées ? FTVi a posé la question à des professionnels du tabagisme.
• Les augmentations de 10%
La mesure que les fumeurs redoutent le plus : "des hausses de prix efficaces." Pour le député UMP, les augmentations de 6% par an observées ces dernières années ne sont pas suffisantes. Il souhaite mettre en place des hausses de 10%, motivées "uniquement par des considérations de santé publique".
"Un grand nombre d'études montrent qu'il faut une hausse de 10% au moins pour avoir un effet sur la consommation, explique Anne Borgne, tabacologue et membre de la Société française de tabacologie. En-dessous, cela ne fait qu'enrichir que l'Etat et les fabricants de cigarettes". Si l'augmentation est faible, les fumeurs réduisent simplement leurs dépenses dans d'autres postes pour maintenir leur niveau de consommation de tabac.
Pour les médecins, il faut également que cette hausse se fasse sur l'ensemble des produits du tabac et qu'elle s'accompagne de mesures pour aider les fumeurs à arrêter. En l'absence de suivi, l'augmentation frappe d'abord les moins fortunés, pour qui la cigarette joue un rôle psychologique important. "Pour ceux qui sont en bas de l’échelle sociale, même si les hausses pèsent plus sur le budget, c’est beaucoup plus difficile de renoncer à la cigarette", explique Patrick Peretti-Watel, sociologue à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et co-auteur d'une étude "La Cigarette du pauvre" en 2010.
Autre condition importante, l'utilisation de l'argent ainsi récupéré. Il doit servir en priorité à financer la prévention et la prise en charge du tabagisme. "Aujourd'hui, sur les 12 à 15 milliards d'euros récoltés chaque année, on n'a pas affecté une seule fraction de cette somme à la prévention", s'agace le sociologue.
Un constat partagé par Bertrand Dautzenberg, pneumologue à l'hopital parisien de la Pitié-Salpêtrière et spécialiste du tabac. Il dénonce le fait qu'à l'heure actuelle les hausses ne sont pas motivées par des impératifs de santé publique. Pour preuve : le fait que les recettes liées aux augmentations du prix des cigarettes sont calculées dans le budget de l'Etat pour l'année suivante avec le même niveau de consommation. "C'est la traduction chiffrée qu'on se moque du monde, lance-t-il, avant de résumer : On tue les Français pour leur piquer leur fric."
• Un monsieur anti-tabac
Première mesure préconisée par Yves Bur : la création d'"une structure interministérielle spécifique pour la lutte contre le tabac". Actuellement, cette mission est l'affaire d'une multitude d'organismes et d'associations. "La mesure la plus efficace [du rapport Bur], c'est nommer un commissaire pour le tabac, comme pour la sécurité routière", estime Bertrand Dautzenberg. Car si les acteurs français de la lutte contre le tabac maîtrisent les différentes mesures pour réduire le tabagisme, ils souffrent d'un manque de coordination.
En cas de création de ce poste, "il va y avoir des interventions plus spécifiques, qui dépendront moins des politiques de fiscalité et d'autres considérations qui n'ont rien à voir avec la santé", veut croire Ivan Berlin, médecin et président de la Société française de tabacologie. "Créer une coquille, cela ne suffit pas forcément pour empêcher que tout le monde se tire dans les pattes", tempère Patrick Peretti-Watel, qui attend de juger sur pièce.
• La lutte contre le lobby du tabac
Autre mesure choc du rapport Bur, une investigation "approfondie" sur l'influence des industriels du tabac sur les politiques gouvernementales en la matière. "L'industrie du tabac a toujours essayé de rentrer par la fenêtre, dénonce Bertrand Dautzenberg. Il y a des moments où on ne la laisse pas rentrer, et des moments où elle prend les commandes." Un travail de lobbying particulièrement important mis en lumière récemment par les "tobacco documents", ces archives des industriels américains de la cigarette analysées sur Le Monde.fr.
• La prise en charge gratuite du traitement
Pour mieux accompagner médicalement les fumeurs désireux d'arrêter, le député UMP préconise la prise en charge gratuite des traitements du tabagisme pour les personnes en affection de longue durée (ALD), les femmes enceintes et le bénéficiaires de la couverture maladie universelle. Une mesure réclamée de longue date par les médecins.
Le docteur Ivan Berlin donne l'exemple d'un malade en ALD, remboursé à 100% pour le traitement d'un infarctus du myocarde mais pas pour le celui de son tabagisme. Le président de la Société française de tabacologie estime que cette mesure présente le meilleur rapport coût/efficacité. "Ce serait le plus rentable, c'est là qu'il faut pousser."
• Le paquet neutre
Pour lutter contre les stratégies marketing des cigarettiers, le rapport préconise de mettre en place un "paquet neutre standardisé". S'il estime que c'est une bonne mesure, Patrick Peretti-Watel craint que les industriels s'adaptent. Ces derniers pourraient par exemple vendre des pochettes dans lesquelles glisser son paquet. "Il est plus facile de faire la prévention de drogue illicite, ironise le sociologue, car vous n’avez pas en face une industrie très puissante qui vous prend à contre-pied à chaque fois."
• La mesure essentielle ? La volonté politique !
Si l'ensemble des spécialistes interrogés se félicitent des propositions du rapport Bur, beaucoup doutent de leur mise en application. "Si toutes les mesures qui sont proposées sont prises, ce sera génial pour la lutte contre le tabac, résume Anne Borgne, ajoutant : On ne va pas tout changer, mais en tout cas, on avance."
Bertrand Dautzenberg se montre plus sceptique : "Depuis cinq ans, la politique de la France est une politique pro-tabac qui apporte plein de sous aux buralistes mais tuent les Français." En 2010, le baromètre santé (en pdf) de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) a constaté une augmentation de deux points de la consommation entre 2005 et 2010.
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