Deux jours de campagne avec Nathalie Arthaud, candidate de Lutte ouvrière
Très peu connue, celle qui a la "lourde responsabilité" de succéder à Arlette Laguiller comme candidate de Lutte ouvrière à la présidentielle s'est lancée dans un marathon de déplacements.
Quelque 95 villes entre début septembre et Noël, ça frôle le porte-à-porte à l’échelle de l’Hexagone. Mais Nathalie Arthaud, 41 ans, brunette, coupe courte et look décontracté le sait, elle a un sérieux déficit de notoriété.
Sans cesse comparée à Arlette Laguiller, à qui elle a succédé comme porte-parole de Lutte Ouvrière, parfois confondue avec la navigatrice Florence Arthaud, la trotskyste enfile cette année "les habits de candidate à la présidence". Mais c’est pour mieux "se faufiler sur les plateaux télé", espère-t-elle.
En attendant, d’Evreux à Metz en passant par Mantes-la-Jolie, Rouen et Thionville, les samedi 5 et dimanche 6 novembre 2011, elle a prononcé trois fois le même discours, tenu trois conférences de presse avec des journalistes locaux, été à la rencontre d’associations et de "camarades" et assisté à une fête du parti. Temps forts d’un week-end de campagne.
Samedi, 17 heures, Mantes-la-Jolie (Yvelines) : "Patrons-voyous contre travailleurs exploités"
Salle commune d’une résidence du quartier Gassicourt de Mantes-la-Jolie, une centaine de personnes, trois paquets de gâteaux secs et quelques boissons sur la table du fond, des drapeaux rouges dans tous les coins.
Comme à chaque fois, Nathalie Arthaud est introduite par un militant LO local ou un salarié d’une entreprise emblématique du cru. Très applaudie, elle lance l’incontournable "Travailleurs, travailleuses", avant de s’attaquer sans détour au capitalisme, "loi de la jungle". Et d’abord, le G20 : "[Depuis 2008], si on avait jeté l’argent par les fenêtres, il aurait été mieux utilisé !" Ensuite, le "patronat", "qui mène la lutte des classes de façon très violente" au détriment "des travailleurs, les exploités que l'on peut toujours écraser".
Mais aussi le candidat socialiste, François Hollande, qui "lui aussi sert les intérêts des banquiers-vautours". Nathalie Arthaud, pull vert foncé zippé à capuche, a l’air doux mais n’a pas de mots assez durs contre le système. Sa phrase la plus applaudie ? "Cette dette, c'est celle de la bourgeoisie et c'est à elle de la payer !" Et de proposer "d’arracher l’argent aux exploiteurs pour qu’ils embauchent !"
Samedi, 19 heures, A13 entre Paris et Rouen : "On fait tout nous-mêmes !"
Sur l’autoroute, deux monospaces loués par le parti se suivent. Entre sérieux et décontraction, Daniel, retraité de l’aéronautique qui chapeaute la sécurité de la candidate, coordonne les voitures via un système d’oreillettes. Comme il se doit, il achève toutes ses interventions par "Terminé !"
Avec Camille et Pierre, deux quadras enseignants "qui s’arrangent avec leurs emplois du temps", il fait partie de l’équipe très resserrée qui accompagne tous les déplacements de Nathalie Arthaud. La candidate, enseignante également, travaille à 80 % et a réussi à concentrer tous ses cours le lundi et le vendredi. "On est une organisation militante, on fait tout nous-mêmes, le plus professionnellement possible", confie Pierre, responsable de la presse. "Au plus pratique et au moins coûteux", confirme Camille, qui a toujours des "munitions", gâteaux, barres chocolatées et briquettes de jus de fruits dans son sac.
Côté stratégie, là encore on bricole au mieux. Nathalie Arthaud rédige elle-même ses discours, relus ensuite par Camille ou Pierre, mais Arlette Laguiller n’est jamais loin, qui regarde les vidéos et commente chaque intervention. Dans l’ombre également, "d’autres camarades plus anciens de LO" dont on n’obtiendra pas les noms, ainsi que l’appui ponctuel des adhérents qui écrivent sur tel ou tel sujet dans le journal du parti.
"Demande-leur de nous garder de l’apéro !", réclame l’un des militants qui assure la sécurité de la candidate, alors que Daniel passe un énième coup de fil d’organisation aux camarades sur place. A l’arrivée au palais des congrès d'Oissel (Seine-Maritime), malgré les deux GPS et toutes les précautions, Nathalie Arthaud manque de descendre de voiture derrière le bâtiment. "On a failli rentrer par les cuisines", s’esclaffe Daniel d'un rire un peu jaune.
Samedi, 21 heures, fête d'Oissel (Seine-Maritime) : "Il faut faire connaissance"
La fête d'Oissel est une tradition annuelle : jeux, vente de livres, animations et petits spectacles sont au programme, ainsi que "banquet" et "bal". Là encore, Nathalie Arthaud serre des mains et écoute chacun quelques minutes. "J’aime bien, parce que ça me permet de rencontrer les militants de chaque coin, à l'échelle d'un pays… Il faut faire connaissance", sourit-elle, les traits un peu tirés.
La décontraction prime. Quand un militant local lui présente "un pote de Cléon", l’usine Renault située à quelques kilomètres de Rouen, elle sourit, lance un "salut !" et s’assoit pour discuter. Même s’ils ne sont pas adhérents ou militants, les "gars" sont réceptifs au discours. "Le fait que les entreprises cherchent à compenser les pertes de la crise sur le dos des travailleurs, ça, ça passe tout seul", se réjouit Nathalie Arthaud.
Confirmation des militants : "Les riches se gavent et nous, on doit se serrer la ceinture, ça, on n'a plus du tout à convaincre là-dessus." Et c’est ce qui compte pour Pierre, le responsable de la com’ de la campagne : "Le retour qu'elle souhaite, c'est celui de nos copains, des gars et de leurs potes dans les sites, notre panel, c’est les quartiers populaires et les usines !"
De toute façon, les sondages, eux, plafonnent à 1,5 % dans le meilleur des cas.
Dimanche, 10h45, TGV Paris-Metz : "Les gens sont paralysés"
Le JDD et le Parisien Dimanche dans une main, un café dans l’autre, l’équipe saute dans le train direction l’est. Nathalie Arthaud picore dans la presse pour actualiser son discours.
Là, ce sont les propos de François Fillon, qui promet que "le budget de la France annoncé [le lendemain] serait le plus rigoureux depuis 1945", qu’elle reprend pour souligner que le gouvernement "court après les agences de notation". Elle peut aussi s’inspirer des questions et témoignages que les camarades sont invités à formuler à la fin de chaque meeting.
L’essentiel, c’est que le discours résonne chez ses auditeurs. Comme quand cette employée d’une société de ménage vient souligner une partie du discours sur le rapport grands groupes/sous-traitants par ce commentaire : "C’est exactement ça !" Mais ça ne suffit pas. "Il y a une faible combativité, reconnaît la porte-parole de LO. Beaucoup de travailleurs sont sonnés par la crise, les gens sont paralysés. Mais on est convaincus que ça changera, et là, il faudra être prêts."
Dimanche, 14 heures, Thionville (Moselle) : "Comment on fait grève, nous, les chômeurs ?"
Devant le Pôle Emploi de Thionville, Gilbert et Daniel, responsables de l’association de défense des chômeurs La ligne Thionville-Philadelphie, attendent Nathalie Arthaud de pied ferme. Avec eux, Nicole, "la Marianne des chômeurs, qui souffre". Parmi leurs actions, interpeller les politiques, et notamment les candidats à la présidentielle, sur la question du traitement des chômeurs.
"Et les patrons licencieurs ? Il faut les interpeller aussi", reprend d’emblée la trotskyste, fidèle à son discours. L’échange est rythmé. Un chômeur : "On en a marre, ça va exploser là !" "Tant mieux, on la souhaite, nous, cette explosion sociale !"
Mais Gilbert la coince : "On est au chômage, nous, comment on fait grève ?" "Vous pouvez peser dans le mouvement", rétorque Nathalie Arthaud, avant de se raccrocher de justesse à sa proposition de "répartition du travail entre tous, sans baisse de salaires" : "Ça c'est une proposition où chômeurs et travailleurs se retrouvent." Ouf.
Quelques minutes après, à une militante CGT soutien de l’association, elle admettra "qu'il faudrait d’abord que les travailleurs descendent dans la rue pour que les chômeurs puissent s'agglomérer autour du mouvement". Au final, Nicole-la-Marianne n’est pas convaincue : "Pour la révolution je suis pas d'accord, en temps que maman et tout ça, ça fait peur, je suis sûre qu’on a d’autres moyens de résister."
Dimanche, 16 heures, Metz : "La révolution ne passera pas par les urnes"
L’équipe est rodée. Après une mini-conférence de presse avec le journal local dans un sous-sol au Foyer du jeune travailleur Pilâtre de Rozier, Nathalie Arthaud reprend son discours, le même qu’à Mantes-la-Jolie et Rouen à quelques phrases près, puis répond aux questions.
L’occasion de voir l’état des troupes à la gauche du PS. Deux anciens du PCF prennent la parole, dont l'un pour appeler à se rallier à Jean-Luc Mélenchon, le candidat du Front de gauche. Tacle immédiat : "Qui a d’abord divisé en créant son propre parti avant de se poser en rassembleur ?" Pour Nathalie Arthaud, il y a bien"deux logiques" et celle de LO est claire : pas question de participer à un quelconque gouvernement, la révolution "ne passera pas par les urnes".
L'autre a quarante-deux ans de militantisme au PCF mais, cette année, il va tenter de convaincre autour de lui de voter Lutte Ouvrière. "Merci", sourit la candidate. Alors que l’équipe débriefe, Pierre se félicite : "C'est ça qui compte, ça veut dire que pour ces gens, c’est nous qui incarnons la transformation communiste de la société."
Enfin, les écolos en prennent aussi pour leur grade. A l’un d’entre eux qui demande la position de LO sur le nucléaire : "On est écologistes de façon plus sérieuse et plus conséquente car on s’attaque à la logique du profit. Le nucléaire, il faut le sortir des griffes des capitalistes !"
Dimanche, 19h45, TGV Metz-Paris : "On a quoi demain ?"
Alors que l’équipe a réussi à s'installer dans un compartiment isolé, chacun se concentre. Nathalie Arthaud surligne des coupures de presse et rédige un billet sur son blog, tout neuf et dont ils sont très fiers. Elle insiste pour que des photos soient transmises à l’association de chômeurs : "Il y en a une très belle avec Nicole."
A Pierre : "On a quoi demain ?" "Le boulot", rigole-t-il, rappelant presque à la candidate qu'elle enseigne au lycée d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) le lundi. Mais mardi, c’est reparti, Nathalie Arthaud devrait aller à Reims soutenir le mouvement de grève de l’imprimerie de Paru Vendu, journal de petites annonces placé en liquidation judiciaire. Mercredi, ce sera au tour de Quimper et Lorient. Sa vie privée, sur laquelle elle est extrêmement discrète ? "J’en ai plus que d’autres, sourit-elle avec malice. Vous l’aurez compris, je ne croule pas sous les sollicitations médiatiques." En attendant la fameuse "explosion sociale".
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