: Tribune "Il a suffisamment souffert" : les quatre enfants de Carlos Ghosn alertent sur la situation de leur père
Un an après l'arrestation au Japon de l'ancien PDG de Renault-Nissan-Mitsubishi, ses enfants signent une tribune. Ils estiment que leur père est "victime [d'un] système judicaire japonais cruel et injuste." Ils réclament un procès équitable.
Il y a un an, le 19 novembre 2018, Carlos Ghosn, l'ancien patron de l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, était interpellé par la police japonaise alors qu'il atterrissait à Tokyo. Libéré sous caution après 130 jours en détention, il est poursuivi pour "non-déclaration aux autorités boursières de rémunérations différées" et pour "abus de confiance aggravé". Il encourt jusqu'à 15 ans de prison. Le patron déchu, assigné à résidence dans sa villa de Tokyo dans l'attente de son procès, nie tout en bloc de même que ses proches. Dès les premiers jours, ils ont crié au complot.
Ses quatre enfants, Anthony, Maya, Nadine et Caroline Ghosn publient mardi 19 novembre 2019 une tribune "pour attirer l’attention sur un système juridique japonais à la fois cruel et injuste" qui "maltraite" leur père . Ils s'expriment ici librement.
Il était de tradition de fêter tous les anniversaires dans notre famille. Ce n’est plus vraiment le cas depuis quelques mois et ce ne sera pas du tout le cas pour l’anniversaire de ce jour. Il y a un an maintenant notre père, Carlos Ghosn, ancien Président-directeur général de Nissan, était piégé et arrêté au Japon. Il a finalement été remis en liberté sous conditions mais ne dispose de quasiment aucune liberté d’action. Nous ignorons totalement quand son procès commencera et quand son cauchemar prendra fin.
Si nous nous exprimons sur ce triste anniversaire, c’est pour attirer l’attention sur un système juridique japonais à la fois cruel et injuste. Injuste, parce qu’il traite plus durement que ses citoyens ceux qui n’ont pas la nationalité japonaise. Cruel, parce qu’un traitement "modéré" au Japon est considéré comme inhumain dans toutes les démocraties des autres pays développés. Un tel constat ne peut que porter atteinte à la réputation du Japon sur la scène internationale et, avec elle, à la réputation de tous les individus qui, comme notre père, se retrouvent piégés par un système sans présomption d’innocence, reposant sur une "justice de l’otage".
Comme beaucoup d’enfants, nous pensons que notre père est un homme formidable. Et nous ne sommes pas – ou n’étions pas – les seuls à le penser... Pendant des années, les Japonais eux-mêmes ont reconnu et salué les mérites de notre père qui a réussi à sauver Nissan de la faillite. Qui a pris à bras-le-corps l’avenir de l’entreprise, alors au bord du gouffre. Qui en a fait un succès mondial tandis que personne ne voulait s’en occuper. Les résultats qu’il a obtenus ont été si remarquables qu’il a été le premier chef d’entreprise étranger à recevoir de l’Empereur la médaille honorifique Blue Ribbon. Il est ainsi rapidement devenu l’un des dirigeants les plus connus et respectés au monde.
Aujourd’hui, ce même pays qui le considérait depuis longtemps, et jusqu’il y a peu de temps encore, comme un héros, le soumet à des traitements abominables. Notre père ne mérite pas d’être maltraité ainsi.
Anthony, Maya, Nadine et Caroline Ghosnà franceinfo
Après son arrestation à Tokyo, les autorités japonaises l’ont détenu en le gardant à l’isolement total pendant 129 jours, le forçant à passer Noël et le Nouvel An seul, sans pouvoir voir sa famille. Durant son incarcération, les procureurs japonais l’ont interrogé, jour et nuit, sans arrêt, pendant des heures, refusant la présence de ses avocats. Leur objectif était clair : le pousser à avouer des crimes qu’il n’a pas commis.
Bien qu’il ait été libéré depuis, on l’empêche toujours de voir sa femme Carole et de communiquer avec elle par quelque moyen que ce soit. Où qu’il aille, il est suivi en permanence. Tel est son quotidien alors qu’il est en train de préparer son procès dans un pays où le taux de condamnation s’élève à 99% ! Partout dans le monde, des médias ont très justement écrit que notre père était victime d’un système judiciaire japonais défaillant. Notre père a justement transmis récemment à la Cour les documents qui prouvent son innocence face aux charges retenues contre lui. Il a également transmis de nombreux éléments démontrant l’inconduite flagrante de l’accusation. Ces documents indiquent notamment que les procureurs, les dirigeants de Nissan ainsi que des officiels du gouvernement japonais ont fabriqué de toutes pièces cette procédure pénale dans le but d’évincer notre père de son poste par peur que l’alliance entre Nissan et Renault ne menace l’indépendance de Nissan.
Face à un exemple de guerre économique poussée à un tel extrême, nous en sommes réduits à chercher des réponses à nos nombreuses questions. Chacun de nous tente de comprendre comment un pays aussi développé que le Japon peut laisser les droits de l’homme – dont devrait bénéficier notre père – être bafoués de la sorte. Pour nous qui avons grandi au Japon, ce pays était avant tout un endroit merveilleux. Nous ignorions cette face sombre. Elle nous a été révélée par cette affaire. Cette proximité avec ce pays nous pousse aussi à vouloir l’abolition d’un tel système non pas seulement pour notre père mais aussi pour tout le peuple japonais.
Au-delà du combat politique que nous menons, nous ressentons aussi la douleur intime de l’absence, celle d’un père qui souffre injustement et inutilement chaque jour.
Anthony, Maya, Nadine et Caroline Ghosnà franceinfo
Nous demandons urgemment aux autorités de Tokyo de mettre un terme à l’interdiction qui l’empêche de rentrer en contact avec son épouse ; une telle mesure n’ayant été mise en place que dans le seul but de le pénaliser encore davantage. Il a suffisamment souffert avant même que son procès ne commence. Et si ce procès voit bien le jour, nous prions pour qu’il soit équitable afin que notre père ait une chance de prouver son innocence et de retrouver sa liberté. Et être ainsi tous réunis. Enfin.
Anthony, Maya, Nadine et Caroline Ghosn.
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