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"Il ne faut pas être cardiaque !" : au quotidien, ceux qui ont investi dans le bitcoin prennent cher

Franceinfo a interrogé plusieurs adeptes de la cryptomonnaie, qui ont connu les frissons de l'explosion du cours en décembre, mais surtout sa dégringolade depuis le début de l'année.

Article rédigé par Vincent Matalon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8 min
Après avoir frôlé les 17 000 euros peu avant Noël, le cours du bitcoin s'établit mercredi 14 février 2018 à environ 7 500 euros l'unité. (JACK GUEZ / AFP)

Le Livret A et son taux à 0,75% ? Sarah, Baptiste et Mathias* ne mangent pas de ce pain-là. Tous les trois ont investi dans le bitcoin et d'autres cryptomonnaies ces derniers mois. Un périple financier qui n'est pas de tout repos : après s'être envolé jusqu'à environ 17 000 euros à la fin décembre, le cours de la plus célèbre des monnaies virtuelles a vu sa valeur divisée par trois début février.

De quoi donner des sueurs froides à certains, surtout lorsque la quasi-totalité de leurs économies est en jeu.

Sarah : "J'ai les boules, mais j'ai toujours gagné plus qu'avec mon Livret A"

Lorsqu'elle a entendu parler de bitcoin pour la première fois, il y a trois ou quatre ans, Sarah n'a pas sauté sur sa chaise. "Ça me semblait très flou, je ne comprenais pas comment en acquérir, ni même l'intérêt que cela pouvait avoir", se souvient cette designeuse de 31 ans, qui travaille dans le secteur des nouvelles technologies. 

Lassée de se sentir "un peu bête" quand ses collègues ou clients parlaient de monnaies virtuelles, elle finit par se rendre à la fin 2016 sur un forum spécialisé pour suivre un tutoriel expliquant comment acheter du bitcoin sur la plateforme d'échanges Coinbase. "J'ai dû acheter l'équivalent de 3 euros la première fois, puis je suis passée à autre chose. J'avais presque oublié cet épisode, jusqu'à ce qu'au printemps suivant, un collègue intéressé par le fait d'acheter du bitcoin sur Coinbase me demande conseil sur la manière de procéder."

Je me suis reconnectée sur Coinbase après quelques mois, et mes 3 euros en valaient désormais 40 ! Je me suis dit : 'Wow, mon PEL ou mon Livret A n'ont jamais fait un truc comme ça.'

Sarah

à franceinfo

Emballée, Sarah, dont les revenus fluctuent entre 6 000 et 9 000 euros par mois, décide d'investir plus massivement. Entre le printemps et l'été 2017, lorsque le cours du bitcoin fluctue entre 950 et 2 500 euros l'unité, elle acquiert pour environ 4 000 euros de cryptomonnaies. "Essentiellement du bitcoin, de l'ethereum et du litecoin. Ce sont les trois 'cryptos' les plus populaires et qui peuvent s'acheter facilement sur les plateformes d'échange", détaille-t-elle.

Un placement qu'elle envisage avec un certain détachement. "Pour moi, c'est vraiment un pari, de l'argent que je suis prête à perdre, et que j'aurais pu dépenser en sorties ou en shopping. Il ne faut vraiment pas investir de l'argent sur lequel on compte. En tout cas, je ne serais pas prête à jouer ma retraite là-dessus."

Lorsque le bitcoin double de valeur en deux semaines en décembre, passant d'environ 8 500 euros l'unité à 16 000 euros, Sarah ne s'enflamme pas. "J'étais contente, mais je me suis dit qu'il allait forcément redescendre, même si je n'imaginais pas que ça serait à ce point [un bitcoin s'échangeait contre 5 000 euros environ le 6 février] !", sourit-elle

En décembre, mon bénéfice sur ma mise de départ avait atteint 300% ! Alors oui, j'ai les boules, mais je reste encore aujourd'hui à 65% de profit sur ma mise de départ. Je n'aurais pas gagné autant si j'avais mis cet argent sur mon Livret A.

Sarah

à franceinfo

La designeuse n'hésite pas à évoquer le sujet avec ses proches. "Mon partenaire a décidé d'investir un peu à la suite de nos conversations sur le sujet. Mais il nous porte vraiment la poisse : il suffit qu'il décide d'investir dans une 'crypto' pour que le cours s'écroule dans l'heure !", s'amuse-t-elle. Ses parents, eux, sont "curieux mais méfiants" : "Ma mère m'envoie régulièrement des articles de presse alarmants sur la chute du cours, en me disant de tout retirer. Ce que je ne fais pas : sauf gros coup dur, je me suis de toute manière promis de ne pas toucher à cet argent avant deux ou trois ans." 

Baptiste : "Ça m'a tellement obsédé que j'ai investi toutes mes économies"

Entre Baptiste et les cryptomonnaies, l'histoire est récente. "J'en avais entendu parler comme tout le monde il y a plusieurs années, mais je ne m'y suis penché sérieusement qu'en août dernier", raconte cet informaticien de 36 ans. Il vient de rentrer en France après huit années passées à l'étranger, dont l'essentiel en Grande-Bretagne. "A peine arrivé, un de mes nouveaux collègues me parle du bitcoin avec beaucoup de passion. Autour d'un verre, il me suggère d'y investir chaque mois une petite partie de mon salaire, en présentant cela comme un investissement dans la technologie. Selon lui, même si le cours pouvait baisser, la tendance générale était haussière", se souvient le trentenaire, qui gagne environ 2 000 euros par mois.

Baptiste se rend sur la plateforme d'échange Coinbase et achète l'équivalent de 50 euros en bitcoin, et autant d'ethereum. Le cours est alors en pleine hausse : de 2 300 euros début août, le bitcoin passe à 3 600 euros en deux semaines. De quoi griser l'informaticien : "Une semaine plus tard, je rachète pour 100 euros de bitcoin et autant d'ethereum, puis 500 euros de bitcoin. A la mi-août, j'avais déjà investi entre 1 000 et 1 500 euros."

En parallèle de ces premiers placements, Baptiste ne cesse de se documenter. "L'aspect intellectuel, voire philosophique, derrière la technologie du bitcoin me passionne. J'ai regardé sur YouTube de nombreuses conférences d'Andreas Antonopoulos, qui analyse l'impact que pourraient avoir les 'cryptos' dans la société, s'enthousiasme-t-il. Il soutient que cela permet d'inclure de nombreuses personnes dans un système économique qui les laisse aujourd'hui sur le bord de la route."

Taux en forte hausse, conviction d'être aux premières loges d'une révolution "au moins aussi importante que celle d'internet"... Baptiste décide de franchir une nouvelle étape dans son investissement. "J'avais sur un compte anglais l'équivalent de huit ans d'économies, soit un peu moins de 30 000 euros auxquels je ne touchais pas. Je savais que rapatrier cet argent en France allait me coûter cher, d'autant qu'à cette époque-là, la livre anglaise était à la baisse", se remémore le trentenaire.

Pendant plusieurs mois, j'ai hésité à sauter le pas. Et puis ça a commencé à m'obséder : je voyais le cours grimper, je regrettais de ne pas m'être lancé plus tôt... Finalement, j'ai décidé d'y investir progressivement toutes mes économies.

Baptiste

à franceinfo

"J'avais peur de passer à côté de quelque chose d'énorme. Il fallait que je me lance, ne serait-ce que pour arrêter d'y penser", détaille Baptiste, qui n'a pas fait état de cet investissement à ses proches, par peur de les inquiéter.

Quelques semaines après ce choix drastique, le cours du bitcoin s'effondre. "Mes économies avaient atteint l'équivalent de 48 000 euros, avant de retomber à environ 22 000 euros. Forcément, je regrette de ne pas avoir acheté aujourd'hui plutôt qu'au moment où le bitcoin était à 15 000 euros l'unité, mais je reste serein car je suis dans une vision de long terme : je pense que cette baisse n'est que temporaire et que je m'y retrouverai à l'avenir", se persuade-t-il.

Mathias : "Il ne faut pas être cardiaque !"

"Market cap", "ICO", "ROI"... Pas facile de suivre une conversation sur les cryptomonnaies avec Mathias. Depuis qu'il a plongé dans cet univers en janvier 2017, ce trentenaire, qui travaille pour un cabinet de conseil spécialisé dans le numérique, s'est transformé en trader

A ses yeux, les fluctuations des cours du bitcoin ou de l'ethereum sembleraient presque trop sages : "Ma thèse d'investissement, c'est d'obtenir le plus possible de ces deux cryptomonnaies en les tradant contre des 'altcoins.'" Comprendre : miser sur des jeunes monnaies virtuelles encore faiblement valorisées, et qui ne peuvent s'échanger sur les marchés que contre des bitcoins et de l'ethereum, en espérant dénicher une perle rare.

"J'ai eu du walton, de l'icon, du vcoin, de l'omisego..." énumère le jeune homme, qui gagne environ 3 300 euros par mois. "Grâce à ces 'altcoins', ton retour sur investissement peut être bien plus important. Tu peux multiplier tes gains par 10, 20 ou 30 en l'espace de quelques semaines !", s'enthousiasme-t-il. Son plus gros coup a été d'investir sur du NEO, dont le cours a connu une hausse spectaculaire ces derniers mois

J'ai acheté du NEO en juin [quand une unité valait environ 1 euro], et j'ai tout revendu en décembre : entre temps, sa valeur avait été multipliée par soixante !

Mathias

à franceinfo

Pour repérer les futures cryptomonnaies à potentiel, Mathias fréquente assidûment des communautés d'investisseurs sur des plateformes de chat comme Slack, Discord et Telegram, sur lesquelles des traders plus ou moins confirmés s'échangent des tuyaux.

Le jeune homme, qui préfère rester discret sur la valeur totale de ses investissements, masque mal son excitation liée à la forte volatilité des cours. "Tu peux voir une monnaie multiplier sa valeur par 200 un jour et retomber d'autant le lendemain, ça n'a rien à voir avec la Bourse, où tu peux t'estimer heureux si ton action a pris 5% en un an... Il ne faut pas être cardiaque !"

L'euphorie, c'est ce qu'on recherche tous : tu prends parfois une de ces doses de dopamine dans le cerveau... C'est comme une drogue !

Mathias

à franceinfo

Mathias, dont le premier geste en ouvrant l'œil le matin est de consulter l'évolution de son portefeuille, reste en tout cas serein face à l'effondrement du cours qu'a connu le bitcoin en janvier. Il a ses raisons : trois mois après ses débuts dans le monde des cryptomonnaies, le trentenaire a retiré sa mise initiale d'environ 1 000 euros. Ses investissements suivants ont été effectués avec ses différentes plus-values. "Si le marché se crashe demain et que le bitcoin tombe à zéro euro, je serai forcément malheureux, mais au moins je n'aurai rien perdu. J'ai même profité des hausses de l'hiver pour retirer un peu d'argent et faire des cadeaux de Noël à ma famille !", se rassure-t-il.

Persuadé que le bitcoin atteindra les 500 000 euros d'ici à dix ans, Mathias se fixe d'ici là un autre objectif : atteindre l'indépendance financière grâce aux cryptomonnaies. Et profiter de ses gains "pour investir dans l'immobilier sans passer par le crédit".

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.

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