: Vrai ou faux Les impôts vont-ils augmenter si le budget n'est pas voté, comme l'affirme le gouvernement ?
Risque de "shutdown", augmentation des impôts, versement des retraites gelé... A mesure que l'étau se resserre sur le gouvernement de Michel Barnier, menacé d'une censure mercredi 4 novembre après que le Premier ministre a utilisé lundi l'article 49.3 pour faire adopter le budget de la Sécurité sociale, l'exécutif alerte sur les conséquences d'une France sans textes budgétaires. Interviewé sur TF1 et France 2, le locataire de Matignon a affirmé que "près de 18 millions de Français verront leur impôt sur le revenu augmenter (...) parce qu'on n'aura pas pu inscrire dans la loi de finances la réindexation qui est prévue, que j'ai prévue". "L'absence de budget, c'est du perdant, perdant, perdant", avait déjà prévenu Laurent Saint-Martin, le ministre chargé du Budget et des Comptes publics, dans Le Parisien.
Sans le projet de loi de finances 2025, actuellement examiné au Sénat et qui pourrait aussi faire l'objet d'une censure si le gouvernement ne tombe pas d'ici là, le ministre de l'Economie et des Finances, Antoine Armand, a évoqué des "effets mécaniques pervers" sur l'impôt sur le revenu. "Comme il ne serait pas indexé sur l'inflation, son barème resterait alors identique à celui de l'année 2024. 380 000 Français qui n'étaient pas soumis à l'impôt le paieront. Plus globalement, plus de 17 millions de contribuables verraient leur impôt sur le revenu augmenter", a développé le ministre dans Le Journal du dimanche. Si le raisonnement est juste, il fait fi des mécanismes de correction possibles au cours de l'année 2025.
Les salaires augmentent mais pas les tranches d'imposition
Si le gouvernement tombe, les textes budgétaires discutés depuis octobre – budget classique dit projet de loi de finances, budget de la Sécurité sociale et projet de loi de finances de fin de gestion – ne pourraient pas être adoptés. Une option se dessine alors : en attendant un nouveau budget, "un projet de loi spéciale" pourrait ainsi être soumis au Parlement, comme le stipule l'article 45 de la loi organique relative aux lois de finances. "Cela permettrait de lever l'impôt au 1er janvier", explique le constitutionnaliste Thibaud Mulier, enseignant-chercheur à l'université Paris-Nanterre. En clair, ce projet de loi spéciale serait une "pure reconduction" des dispositions prévues par le budget 2024, schématise Anne-Charlène Bezzina, maîtresse de conférences en droit public, auprès de LCP.
Ainsi, le barème de l'impôt sur le revenu, qui devait être revalorisé de 2% dans le projet de loi de finances pour 2025 pour tenir compte de l'inflation et plus particulièrement de l'augmentation des revenus des ménages, resterait au niveau de celui voté pour le budget 2024. Les tranches du barème de l'impôt sur le revenu ne suivraient donc pas la hausse des prix, estimées par l'Insee à 2% pour 2024. Sans indexation, cela entraînerait théoriquement une augmentation de la pression fiscale pour les revenus 2024 qui sont fixés dans le budget 2025.
Pour avancer que "plus de 17 millions de contribuables" paieraient davantage d'impôts, le gouvernement se base sur une étude de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) publiée début octobre. L'OFCE avait ainsi calculé l'impact du gel du barème de l'impôt sur le revenu, une option alors envisagée par Michel Barnier au moment de construire son budget. Les recettes fiscales d'une telle mesure avaient été estimées à "3 milliards d'euros" et l'organisme avait noté que 17,6 millions de foyers verraient ainsi leur impôt augmenter.
Tous les contribuables payeraient davantage d'impôts
Le barème de l'impôt se décompose en six tranches et la première, en dessous de 11 294 euros de revenus annuels, n'est pas imposable. Si le barème n'évoluait pas, le début de la deuxième tranche, à partir duquel une personne est imposable à 11%, resterait ainsi à 11 295 euros au lieu du montant révisé à 11 520 euros dans le projet de loi de finances 2025. Le début de la troisième tranche resterait lui à 28 798 euros (au lieu de 29 373 euros) et ainsi de suite.
"Si on ne neutralise pas les effets de l'inflation, un certain nombre de personnes pas éligibles à l'impôt vont le devenir."
Mathieu Plane, économiste à l'OFCEà franceinfo
Le gouvernement estime que "380 000 Français" qui ne paient pas d'impôt sur le revenu passeront dans la deuxième tranche et devront s'y soumettre. En 2012 – l'une des dernières années où un gel du barème de l'impôt avait été décidé par le gouvernement – le nombre de foyers imposés avait augmenté de 939 000, notait la Cour des comptes dans un rapport publié en 2015.
"Si la loi de finances n'est pas votée, et que les salaires augmentent sans que le barème n'évolue, ceux qui se trouvent juste en dessous des différentes tranches d'imposition vont changer de tranches, et donc payer plus d'impôts", résume Simon-Pierre Sengayrac, économiste à la Fondation Jean-Jaurès. "Tous ceux qui en paient vont en payer plus", prévient Mathieu Plane. L'OFCE avait estimé, en octobre, qu'"en cas de gel, les ménages proches du niveau de vie médian [24 179 euros selon l'Insee] perdraient entre 50 et 100 euros par an par rapport à une situation d'indexation usuelle, soit entre 0,2% et 0,3% de leur niveau de vie annuel". Selon l'économiste de l'OFCE, indexer le barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation ou sur l'évolution du revenu des ménages est "la norme".
Cette hausse mécanique pourrait être corrigée en 2025
Si le gouvernement y avait renoncé en 2012 et 2013, comme le note l'Institut des politiques publiques (IPP), le budget 2025 prévoyait bien de le faire évoluer. Ce barème serait donc gelé, mais de manière temporaire. "Cette mesure serait théorique à l'instant T jusqu'à ce qu'un budget soit adopté", précise le constitutionnaliste Thibaud Mulier. "La loi spéciale est explicitement faite pour passer janvier, pas pour être le budget 2025", rassure le député insoumis Eric Coquerel, président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, dans Les Echos.
"Un nouveau texte sera élaboré et examiné en début d'année. Et le barème de l'impôt sur le revenu pourra parfaitement être modifié."
Eric Coquerel, président de la commission des finances de l'Assembléedans "Les Echos"
Pour Victor Fouquet, docteur en droit et spécialiste des finances publiques, les déclarations du gouvernement s'inscrivent dans une stratégie visant à "faire peur" aux contribuables. L'absence d'indexation du barème de l'impôt sur le revenu "reste rattrapable au cours de l'année 2025, et cela de manière rétroactive", remarque-t-il, évoquant une rétroactivité totalement légale du point de vue "constitutionnel en matière fiscale". "Idéalement, il faut le faire avant le printemps prochain et la date de déclaration des revenus [pour 2024]. Et au pire, l'administration pourra toujours rembourser les contribuables via un crédit d'impôt", conclut le spécialiste des finances publiques. Malgré tout, les prochains mois s'annoncent animés avec l'absence de majorité politique à l'Assemblée.
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